Ring-a-round the rosie,
A pocket full of posies,
Ashes, Ashes,
We all fall down!

Ring-a-round the rosies (1881), comptine anglaise.


† † †


Il était certain que l'orage, au dehors, se calmait un jour. Par contre, la toux et les respirations sifflantes des pestiférés nous suivaient où qu'on allât.

- Et donc, ta maîtresse a été mariée à l'ancien propriétaire des lieux ?

- Oui. Mais la dernière fois que je suis venue, tout était magnifique, les fidèles étaient en bonne santé, il n'y avait aucune trace d'épidémie.

- Quand es-tu venue pour la dernière fois ?

- Il y a... Un, deux... Un an et demi, deux ans, environ.

En 1663 ou en 1664, donc. C'était beaucoup trop étonnant que la bourgade ait développé une peste aussi virulente avant même que Londres ne perdît 20 % de sa population, et que personne n'arrivât à la réguler.

- D'ailleurs, nous étions venues pour l'enterrement et pour signer les derniers papiers officiels auprès du secrétaire de Feu Milord, et aussi pour visiter une ultime fois ce lieu que Milady aimait tant. D'après sœur Virginia, l'épidémie s'est déclarée peu de temps après. Nous avons eu de la chance quant à nos dates...

- Mmh... Une sacrée chance, en effet...

Je tirai sur le bras de Rhodes. N'y voyant rien dans l'obscurité, elle avait manqué de foncer dans le buste de marbre d'une ancienne abbesse. Moi, j'avais enfin l'occasion d'user de la Marque du Familier : grâce à Tann, je pouvais me procurer, durant un temps limité et tant qu'il restait près de moi, des yeux de chat, avec iris jaunes et pupilles fendues inclus.

J'étais en quelque sorte heureuse de retrouver un fragment de cette vie nocturne, à laquelle je n'avais plus le droit. Tann, justement, marquait une pause, une patte en l'air, en nous regardant, attendant que nous nous remissions à la suivre. Il trottinait devant nous, traquant le Démon.

Moi-même, je savais que nous approchions : le sentiment d'être coincée entre le feu et la glace se faisait de plus en plus vif, la sensation de fatigue, de maux de tête, de fièvre et de frissons se faisaient plus oppressant, ma respiration était plus lourde à chaque mètre et j'avais très envie de démanger des cloques imaginaires. Le pire, c'était cette main de brume autour de ma gorge. La jeune Rhodes, elle non plus, ne pouvait s'empêcher de gratter son bras, ou de se racler la gorge aussi discrètement que possible. Mais je savais que tout ceci n'était que le fruit de notre sixième sens. Ainsi, je chassais le tout pour me concentrer sur le but de cette sortie nocturne : débusquer le Démon de la maladie et l'occire.

La main bronzée et frêle de Rhodes agrippa la mienne. Rhodes m'avait assurée qu'elle n'était pas encore capable de deviner à coup sûr quel genre de créature se trouvait à proximité, seulement qu'il y avait « quelque chose » de surnaturel. Et elle savait que nous nous jetions sciemment dans la gueule du loup. Je serrais ses doigts entre les miens, lui fit un sourire que j'espérais rassurant. Comme l'aurait fait une grande sœur, supposais-je.

Une fois dans la prison, nous nous fîmes aussi silencieuses que possible en passant à proximité de la porte de la « chambre » de Roscelin. Quelques couloirs plus loin, l'atmosphère changea. Nous débouchâmes dans la cour intérieure de la bâtisse en pierre. Ça se déplaçait et ça avançait vers nous. Notre attention se braqua sur la bouche béante d'un escalier.

Une masse noire, brumeuse, bossue, voûtée pour s'extraire des marches, avançait sur ses postérieurs fléchis. Ses bras étaient repliés pour ne pas traîner au sol, mais ses mains osseuses étaient prolongées par des griffes frottant les dalles de pierre, comme des couteaux qu'on aiguisait sans cesse.

Le Démon marqua une pause, tourna vers nous une tête pointue.

Alors que ma chevalière reprenait une forme de griffes noires et rouges autour de mes doigts, je resserrai ma poigne sur la main de Rhodes, l'obligeant à rester près de moi, à ne pas fuir ; ça ne devait pas savoir que nous avions peur. Dans la masse à la fois opaque et brumeuse que formait sa face, une bouche démesurément grande fendit entièrement son visage de droite à gauche, comme un croissant de Lune écarlate renversé.

Le Démon nous souriait.

Rhodes se cacha derrière moi, je déguainai ma baguette magique, Tann feula.

- Amène-toi, Démon de la maladie !

Il bondit sur nous. Je poussai Rhodes à gauche, fis une roulade sur la droite, lançais une boule de feu. Il concentra tous ses efforts sur moi. J'évitai ses griffes et l'occupai comme je pouvais.

- Rhodes ! Dépèche-toi de tracer le cercle !

- Je fais ce que je peux ! croassa-t-elle.

Je donnai un coup de griffes dans le ventre du Démon, mais il était inconsistant ! Il se redressa de toute sa hauteur, sa tête toucha le plafond de la coursive. Ses griffes s'enroulèrent autour de mon bras, me jetèrent contre les dalles.

- Miss ! Ça y est !

Le Démon leva sa main au-dessus de sa tête, comme une lame, griffes serrées les unes contre les autres. Je roulais sur le côté juste avant qu'elles ne fendent le granite sur lequel je reposais, la seconde précédente. Je sautai sur mes pieds et m'élançai vers Rhodes, le Démon sur mes talons.

Je m'étalai de tout mon long au sol et évitai de justesse à mon nez de s'y briser dans une giclée de sang. Une main osseuse avait attrapé ma cheville, me traîna sur le ventre, en arrière.

Un cri de peur et de colère m'échappa. Si seulement mon équipe avait été avec moi, je ne me serais pas fait avoir si facilement. Duncan aurait combattu à main nu la bête. Faith n'aurait pas hésité à brandir sa hache ensorcelée. Sirius aurait invoqué un violent vent d'ouest. Même Piper ne m'aurait pas laissé dans la mouise, car on ne laissait tomber personne quand on combattait ensemble. Et Rhodes...

Je refusais de céder à la panique ! Mon familier ne m'abandonnait jamais, et il fallait que je fisse confiance à l'adolescente ; elle était intelligente et débrouillarde. Je plantai mes propres griffes en dentelle métallique contre le rebord d'une dalle mal alignée, m'y cramponnai de toutes mes forces. Le Démon avait une force spectaculaire ; le tintement de mes bagues d'arme cédant à la traction résonna contre les murs concaves. Le Démon de la maladie m'entraînait vers le fond d'un couloir. La Nephilim courait après nous, sa voie s'envolant dans les aigus, paniquée, mais elle ne pouvait rien faire.

L'arrêt fut encore plus brutal. Je me retournai sur le dos pour découvrir Rhodes, mon Rhodes, combattant le Démon à l'épée.

Un vent chaleureux m'emporta au comble de la joie. Pour chasser l'étourdissement lié à ma petite « séance de jeu » - au cours de laquelle le Démon m'avait pris pour une poupée de chiffon - je clignai des paupières et...


† † †


NDA

Et, oui, l'image en média est absolument parfaite. J'ai été tellement heureuse de tomber dessus sur Pinterest :-)

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant