Dors en paix, dors en paix, étrange créature,
Dans ton tombeau mystérieux ;
Ton époux court le monde, et ta forme immortelle
Veille près de lui quand il dort ;
Autant que toi sans doute il te sera fidèle,
Et constant jusques à la mort.

Les Fleurs du Mal (1857), extrait de « Une martyre », Charles Baudelaire.


† † †


Comme la première fois, le froid me réveilla. J'ouvrais les yeux sur un monde flou. De la buée s'échappait d'entre mes lèvres. Pourtant, une petite présence chaude était pelotonnée contre mon flanc. En comparaison du reste de mon corps raidi, cette présence passait pour un volcan enroulé sur lui-même.

Je tendis les doigts, rencontrai une dense fourrure duveteuse. Un faible miaulement me répondit.

— Tann... soupirais-je avec un sourire.

Mon chat-Démon monta sur mon ventre, s'y allongea en ronronnant. Petit à petit, je me réchauffais en même temps que je m'éveillais.

J'avais atterri dans ma chambre d'adolescente. Sur le sort pour retourner à mon époque, j'avais précisé que je souhaitais apparaître en sécurité. Je souris de plus belle. Le coven avait beau avoir été un endroit où je n'étais pas sûre d'être à ma place, il avait toujours été ma maison.

Je me levais de mon lit, Tann dans les bras. Oui, c'était bien une chambre d'adolescente. Mes murs étaient encore placardés de poster de AC/DC et de Andie Black – dont j'étais carrément amoureuse quand j'avais quinze ans. Ma collection de romans bit-lit prenaient la poussière dans un coin d'étagère, entre l'intégrale d'Alan Poe et les chef-d'œuvres de Mary Shelley. Sur une commode, les quatre rescapées de mon assortiment de peluches me fixaient avec leur yeux que j'avais remplacés par des boutons à quatre trous, façon Caroline. Je n'avais pas eu le cœur de remiser des polaroïds animés délavés, ayant capturé des moments que j'avais passé avec des amis, et même quelques ex-petits-copains, souvent perdus de vue. L'une des photos les plus récentes et les mieux encadrées montrait Duncan, Rhodes, Faith, Sirius, Piper et sa petite amie, Natasha, et moi-même, à une fête foraine, en train d'enchaîner des grimaces et de nous gaver de sucreries devant le photomaton magique.

Cette chambre était celle d'une fille, d'une adolescente. Pas d'une jeune femme. J'avais changé. J'avais grandi. Je ressentais à présent une douce nostalgie en parcourant ces étagères, ces bibelots du bout des doigts. Je savais qui j'étais. Je pouvais avancer, sans crainte, ni remords.

— Astaroth ? Vlad ? Saffre ? Iglesias ? Esmeralda ? Dante ?

Est-ce que tout ce beau monde allait entrer dans ma chambre ?

La réponse fut : oui. On était serrés, mais on passait tous. Vlad se baissa précipitamment quand ses cornes de pierre s'enfoncèrent dans mon plafond. Astaroth jugea ma décoration avec un sourcil haussé, les mains dans les poches, son serpent persiflant autour de ses épaules. Les trois diablotins se jetèrent sur moi pour me serrer dans leurs petits bras osseux.

Tann n'apprécia pas beaucoup ces effusions de joie. Il se libéra de mes bras et monta se réfugier au-dessus de ma tête de lit. Il feula pour la forme, avant de prendre confortablement place, comme autrefois.

— Nous avons eu si peur pour vous !

— C'est Venge'Rouges sont vraiment ravagés du ciboulot !

— Pourquoi n'avez vous pas voulu de notre aide ?

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant