Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange !), 

Je voudrais avant toi m'éveiller le matin Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange, 
Égal et murmurant comme un ruisseau lointain.

Les solitudes (1869), extrait de « Le réveil », René-François Sully Prudhomme.


† † †


Un profond et lent soupir s'échappa d'entre mes lèvres entrouvertes. C'était le genre de soupir alanguie qu'on exprimait lorsqu'on se sentait comme à la maison.

J'attendais patiemment que mes paupières se décollassent, d'elles-mêmes. Rien ne pressait. Et le plus beau des spectacles m'accueillit au réveil. Mon Ange dormait encore, innocemment, face à moi. Et, tout contre lui, ma maison aurait pu se trouver n'importe où sur Terre, n'importe quand à travers le temps.

Nos jambes étaient entremêlées, l'un de ses bras était enroulé autour de ma taille, l'autre agrippait encore ma hanche. Il n'y avait plus d'oreillers sur le lit. Je ne savais pas trop où ils avaient atterri, dans la chambre. Je me mordis la lèvre pour éviter de pouffer, de peur de le réveiller. Pas si innocent que ça, mon petit Ange.

Les souvenirs de la journée passée remontèrent, rappelant à mon corps et mon esprit toutes les sensations merveilleuses que j'avais éprouvées toutes les fois où nous avions fait l'amour.

L'amour.

Lui et moi.

Mes joues s'échauffèrent de plaisir, et d'une sorte de nostalgie impatiente.

Vraiment pas si innocent.

Ça s'agita. Roscelin resserra sa prise autour de moi et mon nez se retrouva écrasé contre son torse nu. Il grommela un peu dans son sommeil, comme s'il n'avait pas vraiment envie de quitter le pays des songes. Son supposé désappointement disparu aussi vite qu'il était venu, car je sentais son sourire se former contre mes cheveux. Je me redressai pour lui faire face. Il me souriait comme un bienheureux. Sous l'effet d'un drôle de charme qui me faisait agir comme une psyché, les commissures de mes lèvres se rehaussèrent.

— Salut, mon Ange.

— Salutation... miss sorcière, murmura-t-il rien que pour moi, la voix encore éraillée.

Je délogeai ma main de son dos, la remontai pour repousser la mèche d'un noir soyeux qui obstruait sa vue. Il était inadmissible que je sois privée de ces deux ciels printaniers mis en fiole.

Il embrassa mon front, comme on effleurait les pétales d'une rose. Je n'avais jamais eu le droit à pareille attention au réveil. J'en voulais pour tous les matins futurs. (Impossible, impossible, impossible.) Je chassais toutes vilaines pensées ; rien ne me ferait descendre de mon petit nuage. Un nouveau soupir d'extase m'échappa. La manière qu'il avait de m'effleurer du regard éveillait les papillons de nuit dans mon ventre.

En comprenant ce à quoi j'étais en train de penser, je me pinçais les lèvres pour ne pas trop glousser en me moquant de moi-même.

— Qu'est-ce qui te fait rire comme ça ?

— Je pensais au fait que tu m'as complètement envoûtée, répliquais-je tout de go.

— Vraiment ?

— Tu te serais réveillé seul dans un lit froid, autrement.

Le sourire de Roscelin s'élargit. Il avait l'air fier comme un paon. Même ça, ça lui allait drôlement bien. Ses fossettes ne me transmettaient pas la sensation d'être un trophée qu'il était parvenu à garder dans sa madrague, mais d'être la femme à côté de laquelle il était simplement heureux d'ouvrir les yeux.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant