Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide

Les Fleurs du Mal (1857), extrait de « L'avertisseur », Charles Baudelaire.


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Je sortis sur le balcon, couvert de belle-de-nuit en fleurs, là où nous garions nos balais. Le mien était accroché à l'une des nombreuses attaches murales, un peu à l'écart, juste à côté de celui, très élégant et noir, de Morticia.

Avec une suite de gestes bien huilés, je nouai ma cape grâce à une broche en forme de rose hérissée d'épines, mis mes lunettes d'aviation sur la tête, et Tann disparut de lui-même à l'intérieur de mon sac-sans-fond. Je ceinturai ce dernier autour de ma taille, et vérifiai qu'il était correctement scellé. En appuyant un pied sur la rambarde, je sautai à califourchon sur mon balai.

Tout en mangeant ma pomme, je volais tranquillement vers l'Académie de Magie de Salisbury. Sirius ne tarda pas à me rejoindre sur le trajet. Ses cheveux blonds étaient plaqués en arrière par le vent, son regard pétillant et rusé se devinait derrière ses lunettes à carreaux mauves, son corps était aussi long et fin que son balai, et son familier, une chauve-souris à grandes oreilles, le suivait en grinçant.

Je fronçais les sourcils en voyant cette dernière voltiger dans tous les sens pour se gaver des quelques insectes que nous trouvions à cette altitude. N'était-elle pas censée retrouver ses congénères afin de s'accoupler et de constituer ses réserves de graisses vitales pour affronter le jeûne hivernal ?

Chaque année, c'était la même chose, cette petite chauve-souris retardait l'échéance pour rester avec Sirius, et se retrouvait à la rache pour l'hibernation. Au final, je devais subtiliser des potions engraissantes dans la cuisine de mon coven et les donner à Sirius qui lui laissait un coin de la charpente de sa chambre pour dormir, tête en bas, durant des mois.

Moi, aussi, j'aurais bien aimé pouvoir hiberner jusqu'au dégel...

— La belle nuit, Rosabeth !

Sa salutation me sortit de mes pensées, et je tendis enfin l'habituel criquet séché que son familier me réclamait durant chaque trajet pour l'Académie. Il fallait bien que quelqu'un l'aidât à s'engraisser, puisqu'elle était toujours là.

— La belle nuit, Sisi.

Il leva les yeux aux étoiles. Après quelques échanges banals sur nos covens respectifs et ce putain de contrôle de Sortilège, charme et versification, Sirius me posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres :

— Dis, est-ce que ça va depuis la nuit dernière ?

— Ouais, ouais, c'était juste une mauvaise nuit, assurais-je en balayant la question d'une main.

Il voulait évidemment se montrer plus insistant, me tirer les vers du nez pour s'assurer que j'allais bien, mais je préférais mettre mon énergie à profit pour trouver un autre sujet et mettre en sourdine mes soucis. Un virement à 90°, tout trouvé, se présenta à moi :

— Au fait, t'as des nouvelles de ce violeur qu'on a maudit ?

— Oui. La fille m'a envoyé une lettre avant-hier. Je voulais t'en parler hier, mais on n'a pas eu le temps avec les cours, et puis la mission, et là quand ça a pas hyper bien tourné, je voulais te laisser tranquille parce que... Bref. Elle m'a envoyé une lettre.

— Trop chou.

— Tu l'as dit bouffi !

Je souris à son expression sortie de nulle part.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant