Chapitre 1 : Malheur

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- Es-tu prête ?!

La voix de ma mère me réveilla en sursauts. Voilà l'une des seules paroles qu'elle m'adressait, ce qui arrivait très rarement, comme si elle avait claqué violemment la porte qui déterminait nos liens mère-fille, qu'elle était fermée à double tour, impossible à ouvrir. Des liens censés être flagrants, visibles et sincères. Or, j'avais l'impression que ma mère avait fait en sorte de garder ses distances avec moi depuis longtemps.
Elle se comportait avec moi comme avec une inconnue, comme si j'étais inexistante à ses yeux.

Ma mère ne m'a jamais voulue.

Elle est tombée enceinte à l'âge de seize ans seulement. L'âge que j'ai aujourd'hui. Est-ce un âge pour avoir un enfant alors que l'on n'a aucun soutien de ses propres parents ?

Tout l'amour que ma mère n'a pas reçu, elle n'a même pas essayé de me le donner, le transmettre, ni de me considérer à ma juste valeur. En tant que fille.

Comme si je devais me contraindre à la même chose que ce qu'elle a vécu étant enfant et adolescente... Et cette incompréhension, cette relation qui n'en était pas une, tout cela me détruisait de l'intérieur.

- Adèle ! Je te parle !

La porte de ma chambre s'ouvrit à la volée, laissant apparaitre ma mère, vêtue d'un tailleur blanc immaculé, chaussée de hauts talons aiguilles blancs, et maquillée impeccablement. Ses cheveux blonds étaient rassemblés en un chignon parfait au dessus de sa tête. J'oubliais ! En plus d'être une inconnue pour elle, je suis au maximum une collègue de travail.

Sa rigueur et son perfectionnisme étaient mis à l'épreuve même lorsque j'étais là, même lorsque j'avais besoin d'un soutien, le soutien d'une mère, et que l'on écoute mes problèmes. Je suis une simple personne. Pas sa fille. Voilà ce qui me définissait.

- J'arrive, maman.

Désormais, ce dernier mot mettait beaucoup plus de difficulté qu'avant à franchir le seuil de mes lèvres. Je m'obstinais à l'appeler "maman", mais pourtant le seul élément qui nous liait est la filialité, pas l'affection. Ou, du moins, elle n'était pas réellement réciproque.

- Adèle, tu es en pyjama. Dépêche toi de t'habiller, je vais être en retard à ma réunion !

Le travail, son travail, passait toujours avant moi. Une réunion par ci, un rendez-vous par là... M'a-t-elle déjà demandé si mes journées au lycée s'étaient bien passées ? M'a-t-elle déjà consolée quand j'allais mal ? Non, jamais.

La seule chose qu'elle me demandait, c'était de mettre la table, faire à manger en son absence, me coucher tôt et de ne pas sortir le soir avec mes amis. Si seulement elle savait que je n'en avais pas vraiment eu, des amis... Nulle part je ne me sentais à ma place. Nulle part la vie n'a décidé de me rendre heureuse et épanouie.

Je prenais des vêtements en vitesse dans mon armoire, et me contentais juste d'un chemisier blanc que ma mère avait pris soin de laver et de repasser la moindre petite froissure, et d'un jean moulant noir.

Ce matin, je ne pris pas le temps de me maquiller. J'attrapai juste de quoi faire des retouches au lycée, et les mis dans mon sac à dos, déjà bien rempli la veille.

- Je suis prête, dis-je froidement, en tentant de ne faire ressortir aucune émotion.

- Bien. Descends vite et monte dans la voiture.

Sa seule façon de me parler était bien entendu de me donner des ordres. Sinon, ce ne serait pas drôle.

Je descendis l'escalier quatre à quatre comme elle me l'avait demandé et me dirigeai vers le jardin dans lequel elle avait garé son Audi. Ma mère étalait sa richesse partout : une maison de deux cents mètres carré, une voiture chère et un jardin gigantesque avec piscine.

Elle savait tout acheter, mais je pense que si elle savait s'offrir de l'amour et en donner aux autres, cela se saurait. Parfois, donner ce que l'on n'a jamais eu peut s'avérer difficile

Le trajet se fit en silence tout le long.

J'avais mes écouteurs dans les oreilles et la musique à fond, comme si c'était la seule manière pour me faire oublier mes problèmes. Cela m'aidait beaucoup.
Ma mère, quant à elle, était concentrée sur sa route, les yeux rivés sur le paysage devant elle. Au moins, elle avait un comportement responsable. Et encore...

Parfois, je lui jetai de petits regards à travers le rétroviseur ou le petit miroir au dessus de sa tête. Il était vrai que je lui ressemblais énormément. On peut même dire que j'étais sa copie conforme. Des cheveux blonds, des yeux très clairs et une bouche fine, j'étais son clone. Si seulement on avait une relation fusionnelle, toutes les deux, nous aurions l'étoffe de deux personnes parfaites, avec un lien parfait.

Ma mère n'a jamais connu le vrai amour.

A l'époque où elle est tombée enceinte, elle avait un petit-ami. Mais il a décidé de partir et de la laisser seule car je cite "il n'avait pas la capacité d'élever un enfant à cet âge".

Depuis ses seize ans, ma mère a consacré sa jeunesse pour me protéger, pendant un peu de temps, et elle m'a fait passer avant tout. Elle n'a plus jamais voulu réaliser son rêve : celui de devenir actrice. Maintenant, elle travaille dans le milieu du marketing. Encore une fois, cela était de ma faute et je l'avais toujours su.

Après tous ces sacrifices, lorsque je suis arrivée à l'école primaire, tout a changé. Elle venait d'accepter un poste dans une grande entreprise de la région et avait beaucoup de travail.

Depuis ce jour-là, je n'étais plus rien pour elle. J'avais gâché sa vie, sa jeunesse, je l'avais empêché de réaliser ses rêves, ceux qu'elle méritait amplement, et tout cela est de ma faute. C'est ce qu'elle avait essayé de me faire comprendre à travers son comportement. La profondeur de l'amour que je lui portais étant enfant est désormais la profondeur de ma blessure aujourd'hui, car plus rien de tout cela n'est réciproque. Ma mère savait-elle toujours aimer ? Si oui...pourquoi ne le montre-t-elle pas ? A-t-elle peur ou m'en veut-elle réellement ?

- Nous sommes arrivées. Bonne journée, Adèle.

Si son ton n'était pas trop distant, j'aurais été assez contente de l'avoir entendue m'adresser la parole. Or, ce n'était absolument pas le cas. Elle me regardait de ses grands yeux bleus d'une manière sévère. J'étais la cause de son malheur.

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