Chapitre XXXIX

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Une nouvelle journée s'était levée sur la ville de Deos. Les oiseaux gazouillaient sur les rebords des fenêtres du château. Tiphon les observait, un léger sourire sur les lèvres. Ces petits êtres étaient plus libres que quiconque foulant cette terre. Ils pouvaient aller et venir sans se soucier de quoi que ce soit, si ce n'était leurs prédateurs mais haut dans le ciel, ils ne risquaient pas grand chose. Ils pouvaient déployer leurs ailes et laisser le vent les guider. Tiphon les enviait par moment. Il avait voulu toutes ces responsabilités. Il avait désiré sa place sur le trône. Cependant, il ne savait plus si c'était encore le cas. Peut-être bien que oui mais il avait la sensation qu'il avait fait les choses de la mauvaise manière. Prendre le trône aux Rexaron était une chose mais avait-il réellement régner comme un vrai et bon roi ? Après tout, il avait jalousé l'admiration que les neuf royaumes portaient à Kal, son prédécesseur. Tous le trouvaient incroyablement généreux, bon, juste, intelligent, redoutable sans pour autant le redouter, ... Un homme bourré de qualité. Hors, lui, Tiphon... Tous le craignaient, le haïssaient, le méprisaient profondément. Personne, sauf sous la contrainte de la peur, ne lui avait jamais dit qu'il était bon. Seule cette aveugle le lui avait fait remarquer. Il s'était sentit étrangement bien en faisant preuve de gentillesse envers elle. Ses remerciements sincères l'avaient touché. Il ne savait pour quelle raison. Il s'était comme sentit en paix avec lui-même. Était-ce parce qu'il ne craignait plus pour sa vie ? Parce que la prêtresse lui avait confirmé la mort de la princesse ? Parce qu'il retrouvait son âme, perdue dans les ténèbres jadis ? Il soupira doucement à ces pensées. Tiphon souhaitait se repentir. Faire le bien plutôt que de régner grâce à la terreur. Il ne savait cependant pas si cela était une bonne idée. Il était peut-être bien trop tard pour penser à une telle chose. Tiphon désirait laisser une empreinte neuve dans l'histoire des neuf royaumes. Il voulait que les chants à son propos soient doux. Il ne voulait plus entendre des chants sur la médiocrité dont il avait preuve toutes ces années, l'horreur et le chaos qu'il avait imposé, la haine qui lui était vouée... 

L'homme sortit de sa chambre et il se dirigea vers les appartements de la prêtresse. Il souhaitait avoir une discussion avec celle qui le conseillait le mieux. Elle était peut-être une étrangère, n'étant pas native de Ponenterra, mais elle était la seule à être réellement honnête avec lui. Elle lui avait dit que les dieux étaient en colère et il espérait pouvoir apaiser leurs esprits et faire preuve de la bonté et la clémence qu'il aurait dû offrir aux habitants des royaumes, à son peuple. Peut-être était-il temps de changer les choses maintenant que son avenir avait été modifié par ses actions. Peut-être était-il trop tard mais peut-être y avait-il de l'espoir. Il frappa donc à sa porte et elle le somma d'entrer. Il l'ouvrit et la referma derrière lui.

-Bonjour prêtresse, dit-il en souriant. Puis-je ? demanda-t-il ensuite en désignant une chaise.
-Bonjour roi Tiphon. Je vous en prie, répondit-elle, se demandant ce qu'il lui voulait.
-Merci, fit-il en s'installant avant de soupirer. Soyez honnête avec moi, je vous en prie. Trouvez-vous que je suis un bon roi ? 

La femme haussa un sourcil, penchant légèrement la tête. Elle n'était pas sûre de devoir répondre à cette question, la trouvant plutôt étrange venant de la part du souverain.

-Il n'y a pas de piège, dit-il en souriant. J'aimerais simplement une réponse sincère.
-Et bien, souffla-t-elle avant de s'asseoir en face de lui. Je ne juge jamais qui que ce soit. Les actes parlent pour eux, mais puisque vous me le demandez, je vais répondre à votre question le plus honnêtement possible. Désirez-vous un verre avant que nous explorions mes pensées ? demanda-t-elle en se relevant.
-Ma foi, il n'est jamais trop tôt pour du vin, répondit l'homme. Volontiers. 

La prêtresse versa donc deux coupes de vin et elle en posa une devant le roi, se réinstallant sur son siège. Elle but une gorgée, pensant à comment elle formulerait sa réponse mais puisqu'il désirait de la sincérité, elle le serait et laisserait simplement ses mots exprimer son ressenti.

-Non, dit-elle d'abord. Je ne pense pas que vous ayez été un bon roi. Tout d'abord, pour atteindre ce rang, cette noblesse, vous avez fait couler le sang des élus des dieux.
-Élus... S'ils l'étaient, pourquoi sont-ils tous morts ? Les dieux n'auraient-ils pas dû les protéger ? demanda-t-il, sans animosité.
-Être élu ne veut pas dire que votre destin ne peut pas être chamboulé. Savez-vous seulement pourquoi ils l'étaient ? demanda-t-elle.
-À vrai dire, non. Je l'ai entendu toute ma vie mais je n'ai jamais su quelle était la cause de cette affirmation, avoua Tiphon, attentif.
-Vous le savez, nous sommes en 272 après Rhiannon, commença-t-elle.
-En effet, oui. Mais encore ? souffla-t-il.
-Rhiannon est la fille du père des dieux, le père de tous, Masha et de la femme de notre monde, Ashina. Cela faisait donc d'elle une demi-déesse. Il est dit que les dieux avaient abandonnés les humains. Ils avaient décidé de détruire le monde qu'ils avaient battit pour nous éliminer mais Masha les supplia de nous épargner car il avait découvert en Ashina une femme merveilleuse et il voyait en sa fille, mi déesse et mi humaine, une âme plus flamboyante que toutes les autres réunies. C'est donc sa naissance qui nous a amené à une nouvelle ère. Après Rhiannon... expliqua-t-elle ensuite.
-Cela ne me dit pas pour quelle raison... fit-il avant d'être interrompu.
-Je n'ai pas fini, souffla-t-elle. Les dieux bâtisseurs de notre monde avaient donc accepté de ne pas nous détruire et de veiller à nouveau sur nous. Cependant, il y avait une condition. Rhiannon devait vivre parmi eux, dans le royaume des dieux. Ce fut le cas durant de longues années. Jusqu'à ses dix huit ans, elle a vécu avec ses demi-frères et ses demi-sœurs. Le jour de son anniversaire, elle quitta le royaume céleste pour fouler notre terre. Elle tomba amoureuse d'un homme simple, un paysan. Ensemble, ils eurent un enfant qu'ils nommèrent Charles, né en 19 après Rhiannon, poursuivit la femme.
-Êtes-vous en train de parler de Charles Rexaron, premier du nom ? Le premier roi des neuf royaumes ? Celui qui a rassemblé tout le monde sous une seule et même bannière ? l'interrogea-t-il.
-Celui-là même, affirma-t-elle. Les Rexaron étaient donc les descendants directs des dieux. C'est donc pour cela qu'ils étaient les élus. 
-Je ne comprends pas pourquoi ils m'auraient laissé tué sa descendance si ils sont celle des dieux, souffla l'homme, perplexe. Est-ce seulement vrai ? demanda-t-il ensuite.
-Je ne peux le dire mais chez moi, à Kannibala, lorsque nous entamons notre chemin pour devenir prêtresse noire, c'est la première chose que l'on nous enseigne et cette histoire perdure depuis des centaines d'années alors je dirais qu'il y a sûrement beaucoup de vrai mais je n'y étais pas pour vous l'assurer, répondit-elle simplement. 
-Mh... Je vois, dit-il avant de boire une gorgée.

La prêtresse le suivit, buvant à son tour.

-Revenons donc à votre question initiale. Je vous disais que vous aviez donc atteint ce but en massacrant les élus, en trahissant votre propre sang en tuant votre neveu et en mettant fin à la vie de pauvres enfants innocents. Rhiannon, la princesse, a survécu plus longtemps que les autres, certes mais Aryn Rexaron et Thera Valerin étaient des dommages supplémentaires qui auraient pu être éviter. Ils n'étaient que des enfants qui n'avaient pas encore eu le temps d'explorer la vie et le monde. Ensuite, vous avez laissé place au chaos durant toute cette décennie. Vous avez agis totalement à l'inverse des Rexaron. Ils étaient bons, vous êtes mauvais. Je ne sais dire si cela est votre nature ou si elle vous a été imposée mais il faut faire face aux faits. Vous êtes profondément mauvais. Il n'y a rien eu de bon dans votre règne. Sang, larmes, sueurs, horreur, désespoir, tristesse, colère, haine... Sans parler de votre pauvre fils, exécuté car son amour était différent et votre femme qui ne l'a pas supporté. Voilà ce que votre gouvernance à apporter au monde. Je ne peux donc dire que vous avez été un bon roi mais dans le fond, qu'est-ce qu'un bon souverain ? Qui suis-je pour le déterminer ? Je ne peux que donner mon avis mais il n'a rien d'objectif. Votre fils, lui, vous vénère. Il trouve votre règne parfait. La terreur que vous inspiré est pour lui un modèle à atteindre. A-t-il raison ? Son jugement est-il le bon ? Ou est-ce le mien ? Peut-être est-ce même un juste milieu entre clémence et cruauté ? Je ne le sais, conclut-elle.

Tiphon l'avait attentivement écouté, buvant sa coupe gorgée après gorgée jusqu'à la vider. Il se leva et s'en servit une nouvelle avant de se rasseoir calmement. Il reprit une énième goulée avant de poser son verre dans un soupir.

-Pensez-vous qu'il est trop tard pour changer et être à nouveau dans les faveurs des dieux ? demanda-t-il en la regardant.
-Je suppose qu'il n'est jamais vraiment trop tard pour devenir quelqu'un d'autre, façonner son destin, prendre un autre chemin... Mais le faites-vous pour les bonnes raisons ? Est-ce pour plaire aux dieux que vous avez longtemps déçus ou est-ce pour vous-même car vous sentez qu'il est temps pour vous de revenir vers la lumière après avoir été plongé durant tant d'années dans les ténèbres ? l'interrogea-t-elle.
-Un peu des deux je suppose. Je sais que les dieux sont en colère après moi et j'aimerais les apaiser mais je sens aussi qu'il est temps que cette terreur cesse. Je ne veux pas que l'on se souvienne de moi comme Tiphon le Terrible bien que ce surnom me suivra très probablement jusqu'à ma tombe. J'aimerais avoir agis autrement jadis mais puisque je ne peux défaire le passé, j'aimerais au moins que l'avenir soit plus radieux, répondit-il sincèrement.
-Puis-je vous demander ce qui vous a mené à cette réflexion ? demanda la prêtresse.
-Cette jeune aveugle... Pour la première fois, quelqu'un complimentait ma personne avec sincérité et pas pour ma cruauté mais pour ma bonté. Cela a touché quelque chose en mon être. Je ne cesse de penser à cela. Au bien que cela m'a fait. J'ai été gentil et cela ne m'était pas arrivé depuis bien longtemps et j'ai senti mon être s'apaiser, avoua Tiphon avant de boire à nouveau.
-Ma foi, si la voie que vous désirez prendre est différente que celle que vous avez emprunté jusque là, rien ne vous retient. Faites le bien si c'est ce que vous voulez. Cela ne peut qu'être bénéfique de mon point de vue. Nous avons beau porter le nom de prêtresse noire, nous n'agissons pas spécialement pour les ténèbres. Ce n'est qu'un nom. Tout comme Tiphon le Terrible en est un autre. Les mots ne nous définissent pas. Ce sont les actes. Agissez, roi Tiphon, affirma-t-elle, un léger sourire aux lèvres.
-Merci pour votre temps et vos paroles. Je n'ai aucun regret de vous avoir fait venir ici. Vos conseils sont une bénédiction des dieux, dit-il en terminant sa coupe.

Il se leva ensuite et alla vers la porte. Il l'ouvrit et s'arrêta, se retournant vers la prêtresse.

-Dites... Quel est votre nom ? demanda-t-il, remarquant qu'il ne lui avait jamais posé la question.
-Asuntina, répondit-elle.
-C'est un beau prénom, affirma le roi avant de lui sourire, sortant de sa chambre.

Il parcouru les couloirs de son château, décorés de tableaux, de sculptures et des bannières de sa famille. Il s'arrêta dans une pièce qu'il appelait sa trésorerie, là où il gardait son argent, et il prit une bourse pleine de pièces d'or. Il l'attacha à sa ceinture et il sortit de sa demeure. D'abord, il se promena dans les rues de la ville, couvrant toujours son nez d'un mouchoir parfumé. Il se dit qu'il était peut-être temps de nettoyer ces rues nauséabondes pour offrir un endroit où il faisait bon vivre à ses habitants. Il s'arrêta devant un marchand de fruits et légumes et il sortit quelques pièces de sa bourse.

-Vous, là, lança-t-il au vendeur.
-Oh ! Mon, mon roi ! Que désirez-vous ? s'exclama l'homme, surpris.
-Voici de quoi offrir à l'orphelinat de quoi manger pendant un temps. Veuillez leur livrer. Je m'assurerai que c'est chose faite, dit-il en lui tendant les pièces.
-Bien sûr, mon roi. J'envoie quelqu'un livrer la marchandise au plus vite, affirma-t-il en prenant l'or.

Tiphon poursuivit ensuite sa route chez un boucher et il lui demanda exactement la même chose. Il souhaitait aider ces pauvres enfants, réparant ses erreurs passées. La prêtresse lui avait parlé de son neveu, de Thera Valerin et du fils Rexaron... Elle n'avait pas tort. Ils n'étaient que des enfants et peut-être ne méritaient-ils pas ce qui leur était arrivé. Il essayait donc d'offrir une vie meilleure à ces enfants qui n'avaient ni parents, ni famille. 

Tandis qu'il continuait sa quête de bonté, il vit un homme au sol, tabassé par des adolescents. Il s'approcha et posa ses mains sur leurs épaules. Les jeunes garçons qui s'en prenaient au vieillard s'arrêtèrent et se reculèrent d'un bon avant de fuir lâchement. Tiphon soupira, secouant la tête. L'homme qui était par terre plaça ses mains devant lui, tremblant.

-Ne me faites pas de mal, je vous en prie. Par pitié, épargnez-moi, souffla-t-il, n'osant même pas le regarder.
-Allons mon ami. Levez-vous, dit-il en lui tendant la main.

L'homme tourna les yeux vers lui et vit cette main. Il hésita quelques secondes, tremblotant avant de finalement la saisir. Tiphon le releva et il reconnu le mendiant qu'il avait repoussé des mois plus tôt. Il prit trois pièces d'or qu'il posa dans sa main.

-Je vous prie d'excuser mon comportement. J'espère que cela appartient désormais au passé et que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, s'excusa-t-il, un fin sourire aux lèvres.
-Bien, bien, bien sûr, mon roi, bégaya l'homme en serrant les pièces dans sa main, celle-ci étant contre sa poitrine.
-Prenez soin de vous, mon brave, dit-il en lui tapotant l'épaule, reprenant sa route.

Le roi fit le tour des rues, offrant de l'argent à ceux qu'ils voyaient dans le besoin. Il était sincèrement désireux de faire le bien. Il était fatigué d'être mauvais. Chaque bonne action qu'il effectuait l'apaisait. Il en faudrait des milliers d'autres avant qu'il ne puisse racheter tout ce qu'il avait fait subir aux peuples des neuf royaumes mais il fallait bien commencer quelque part. Cependant, une idée lui vint pendant qu'il déboursait son argent autour de lui. Les impôts étaient sources de problèmes chez les habitants. Il les avait doublé lorsqu'il avait prit le pouvoir. Il se dit donc qu'il était probablement temps de les diminuer. Revenir à ce qu'ils étaient avant. Cela soulagerait très probablement beaucoup de personnes. Cela leur permettrait de pouvoir profiter davantage, de se nourrir mieux surtout. 

Tiphon retourna donc dans son château et il alla jusqu'aux appartements de l'iatre qui vivait là. Il frappa à la porte et l'ouvrit lorsqu'il fut autorisé à entrer.

-Mon cher, j'ai une demande à vous faire, dit-il, restant dans l'ouverture de la pièce.
-Bien sûr. Je suis à votre service. Quelle est-elle ? demanda-t-il.
-Envoyez des corbeaux dans tous les royaumes. Faites savoir que les impôts reviennent à la normale. Vingt pièces au lieu de cinquante par semaine. Cela soulagera les peuples des neuf royaumes, affirma-t-il avant de le saluer, refermant la porte.

L'homme qui était assis à son bureau cligna plusieurs fois des yeux, se demandant quelle mouche avait bien pu piquer le roi. Il n'en avait jamais rien eu à faire des gens. Il n'avait pensé qu'à lui durant toutes ces années, écrasant tout et tout le monde sur son passage, sans jamais prendre en compte les conséquences que cela pouvait avoir. Il avait du mal à croire que cette demande était réelle mais il comptait bien obéir. C'était peut-être même la première fois qu'il était heureux de faire ce que Tiphon lui demandait. L'iatre ne put retenir un léger sourire, se mettant immédiatement à rédiger les lettres à envoyer partout sur les quatre continents.

The Lost Kingdom [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant