Chapitre XCIV

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Les rebelles avaient enfin atteint Antarsia après plusieurs semaines de marche. Ce fut un voyage long et fatiguant mais ils étaient tous, sans exception, de retour au village de la rébellion. Grâce à l'arrivée simultanée de Montvono, les soldats de Silo avaient lâché leurs armes et s'étaient rendus. Mieux, ils avaient décidé de rejoindre la rébellion, envoyant l'un d'eux à Silo pour qu'il puisse prétendre qu'ils étaient tous morts, terrassés par les forces ennemies. La décision de Nyala divisait énormément la rébellion. Certains acceptaient son choix de les avoir amené avec eux, d'autres étaient totalement contre. La rébellion qui, jusque là, avait toujours été unie se trouvait maintenant séparée en deux camps distinct. La cheffe des rebelles n'était pas idiote. Elle savait que c'était un gros risque que de les accepter parmi eux mais c'était nécessaire. Ils avaient cinq milles hommes de plus avec eux et ce n'était pas négligeable. Certes, s'ils les trahissaient, c'était la fin de la rébellion mais si ce n'était pas le cas, les forces de Silo se retournaient contre lui et c'était sur ce point là que Nyala se concentrait. S'ils avaient voulu faire des dégâts, ils se seraient battu contre eux à Terragi et ils auraient tenté de les tuer sur le chemin en rentrant mais tous étaient restés à leur place, tentant même de sympathiser malgré les rejets des rebelles qui refusaient de croire qu'ils avaient si aisément changé de camp.

Alors que Nyala rangeait ses affaires, plusieurs rebelles, hommes et femmes, se présentèrent à elle.

-Il faut qu'ils partent ! Tu nous mets tous en danger ! s'exclama une femme. Tu penses à nos enfants ?!

La jeune femme poussa un soupir, se redressant puisqu'elle était penchée et elle se tourna vers les rebelles qui exprimaient leur mécontentement.

-Ils sont en dehors de la ville, affirma-t-elle.
-Ce n'est pas la question ! Les intégrer à la rébellion... Es-tu devenu complètement folle ?! rétorqua un homme.
-Je comprends vos craintes mais... souffla Nyala avant d'être interrompue.
-Mais rien ! Ils partent ou nous partons ! grogna un troisième rebelle.

Nyala inspira profondément, passant une main sur son visage.

-Partez alors. Je ne vous retiens pas, répondit-elle calmement.
-Comment ?! s'exclama l'un d'eux.
-Tu préfères ces rats à ceux qui t'ont soutenu depuis le début ?! réagit une autre femme.
-Non. Je n'ai aucune préférence. Vous désirez vous en aller ? Très bien. La porte n'est pas loin. Vous êtes là, à me dire que je fais n'importe quoi, sans vouloir écouter mes arguments. Vous vous mettez en colère alors que vous ne comprenez rien à la situation et je n'ai plus d'énergie à dépenser dans des débats stériles, rétorqua Nyala. Soit vous écoutez, soit vous partez.
-Et quels arguments as-tu pour oser nous mettre en danger de la sorte ? grogna l'un des rebelles.
-Je ne vous mets pas en danger ! rétorqua la cheffe. Je sais que ce sont nos ennemis mais avez-vous seulement considérer le fait qu'ils ne font qu'obéir aux ordres sans pour autant être d'accord avec ceux-ci ? Certes, ce sont les soldats de Silo mais ceux de Tiphon avant et pour la plupart, ceux des Rexaron bien avant qu'ils se fassent massacrer ! Avez-vous l'impression qu'ils tentent de nous renverser ? Ils ont eu multiples occasions de le faire. Que ce soit à Terragi, sur le chemin du retour ou ici même. Ils ne font pas acte de violence. Ils tentent de s'intégrer et vous les repoussez, ce que je comprends mais si nous devions tous être massacrés, ce serait déjà chose faite ! Leur chef a exprimé son désir de nous rejoindre car il ne veut plus suivre les ordres de Silo. Tiphon c'était une chose mais le nouveau roi est horrible et ils en ont tous conscience. Ils ne souhaitent pas nous voir tous périr. Être un soldat, même en étant dans le mauvais camp, ne fait pas d'eux des êtres infâmes ! Ils sont l'ennemi pour nous mais nous sommes l'ennemi pour eux alors au fond, qui a raison ? Qui est le gentil de l'histoire et qui est le méchant ? demanda-t-elle, sans attendre de réponse et ne laissant pas le temps à ce qu'ils en donnent une. Évidemment, nous savons que nous sommes les bons, ceux qui cherchent à faire le bien mais ils obéissent simplement aux ordres. Silo n'aime que destruction et chaos. Il préfèrerait certainement voir tous ses soldats se battre et périr que de tenter une fausse alliance. Peut-être que je me trompe mais en attendant, nous sommes tous là, en vie, à débattre de mes choix. N'êtes-vous pas censés me suivre aveuglement, peu importe mes choix ? Vous pensez sincèrement que je vous mettrais en danger de la sorte ? Je peux faire des erreurs mais jamais volontairement ! J'ai travaillé autant que vous pour cette rébellion. Chaque jour, je vous ai accompagné dans le développement d'Antarsia pour que nous ayons tous un lieu où vivre ensemble. Chaque jour, je vous ai laissé vous détendre car je ne voulais pas vous surmener alors que j'aurai pu le faire. Chaque jour, j'attendais impatiemment de retrouver la femme de ma vie et pourtant, elle n'est pas ici et vous si ! J'ai tout sacrifié pour la rébellion et vous osez me dire que je la mets en danger ?! J'ai fait un choix et j'en accepterai les conséquences mais si j'ai raison, nous ne sommes pas près de deux milles mais sept milles et cela réduit les forces de l'ennemi ! Ne connaissez-vous pas cet adage : L'ennemi de mon ennemi est mon ami ?! Si ces soldats se retournent contre Silo car ils ne supportent plus sa façon de régner alors ils sont nos alliés ! Nous avons bien accepté Elina alors qu'elle porte l'enfant de celui qui nous a trahis ! Parce qu'elle est seule et que c'est une femme vous ne craignez rien ? C'est pourtant d'elle qu'il faudrait se méfier car ces soldats ont rendus les armes, ont demandé à nous rejoindre et nous ne sommes pas morts mais tous à la maison alors réjouissez-vous de cela ! déclara-t-elle non sans s'être quelque peu énervée, presque essoufflée d'avoir sortit tout cela d'une traite. Ceci dit, je ne vous dis pas de vous méfier d'Elina, reprit-elle pour éviter davantage de discorde. Alors, maintenant, soit vous partez, soit vous restez mais vous devez me faire confiance pour que tout cela fonctionne.

Les rebelles restèrent muets avant de soupirer et de s'éloigner de la jeune femme sans rien dire. Elle ignorait s'ils acceptaient son choix de les avoir intégrer à eux ou s'ils avaient décidé de s'en aller mais elle était certaine d'avoir fait le bon choix même si elle doutait quelque peu aussi. Il serait idiot qu'elle n'ait pas peur mais n'importe qui pouvait être un traître. Après tout, ceux en provenance d'Orien aurait pu venir pour les trahir par la suite, toujours à la botte d'Alin. D'autres pourraient avoir un mauvais fond et prétendre vouloir les rejoindre même s'ils venaient de Terragi et Montvono avant de gentiment prévenir Silo dans leur dos. Tout était possible mais il fallait aussi tenter de voir le bon en chacun d'eux. Certes, ces soldats avaient tué leurs proches et leurs amis durant l'attaque d'Antarsia mais ils avaient aussi cessé et étaient reparti sans que la rébellion ne soit plus jamais attaquée après des mois. Ils avaient tenu parole en affirmant qu'ils les avaient éliminés alors que ce n'était pas le cas et Nyala avait grand espoir que le messager des soldats ait dit vrai et qu'il était parti pour révéler que les soldats étaient tous morts même si c'était un nouveau mensonge. Elle voulait croire que tous ceux à ses côtés n'étaient pas aussi mauvais que lui. C'était impossible qu'ils le soient tous.

Voulant vérifier que les soldats s'installaient et que tout se passait bien, elle sortit d'Antarsia, se retrouvant de l'autre côté du troisième rempart et ils étaient tous là, attendant patiemment de savoir ce qui les attendait. Le général s'approcha de Nyala, souriant timidement.

-Pouvons-nous rester ou devons-nous partir ? demanda-t-il, ayant connaissance de ce qui semait le trouble chez les rebelles.
-Restez mais je vous l'ai dit et je le répète. Un pas de travers et c'est la mort, répondit-elle très sérieusement.
-Et je vous le répète, nous ne voulons pas trahir les rebelles. Nous détestons tous Silo. Il n'est rien d'autre qu'un serpent qui aime cracher son venin. Je sais qu'il est dur pour vous de nous croire. Nous sommes l'ennemis mais nous ne voulons pas vous faire de mal. Je pense même que vous le savez déjà. Après tout, si notre but était de vous tuer, nous aurions réagit à Terragi ou nous vous aurions tous tué sur le chemin du retour. Nous sommes en plus grand nombre et nous savions déjà où trouver ceux restés ici... Je vous l'ai dit... J'ai opéré sous les ordres de Kal Rexaron et j'adorai notre roi. J'ai même aidé la princesse à s'enfuir bien que j'ignorais si elle était encore en vie ou non à l'époque... 
-Vous l'avez aidée ? Vraiment ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.
-Oui. Dans la crypte, sous le château, il y a un passage secret. Il servait justement à faire fuir la famille royale en cas d'attaque mais elle est la seule que j'ai pu faire partir. Tous les autres étaient déjà morts, souffla-t-il. Certains d'entre nous voulaient se rendre mais nous devions nous battre même si au final, l'issue a été la même. La mort ou servir Tiphon. J'ai une famille alors j'ai fait mon choix mais je refuse de continuer avec Silo. Tiphon était mauvais mais il n'était pas aussi terrible qu'il le laissait croire tandis que Silo est exactement comme il le laisse croire, pire encore même.

Nyala fut surprise par cette révélation. Il ne pouvait pas mentir. Il n'y avait que peu de personnes qui étaient au courant de comment Rhiannon avait pu fuir Deos cette nuit là. Le soldat en question, Rhiannon et les rares personnes à qui elle en avait parlé, dont Nyala. C'était donc grâce à lui qu'elle avait pu rencontrer Rhiannon même si le destin avait décidé qu'elles ne pouvaient être ensemble. Elle lui sourit en y pensant et tapota doucement son épaule.

-Ne vous en faites pas... Nous nous battrons tous ensemble et nous vaincrons Silo. Je crois en vous et j'espère bien ne pas me tromper. D'ailleurs, j'aurai besoin de votre aide. Nos membres ne sont pas entraînés correctement et nous aurions bien besoin de soldats expérimentés pour leur apprendre à se battre. Vous accepteriez de les entraîner ? demanda-t-elle avant de lui sourire.
-Bien sûr ! Ce serait un plaisir de vous aider, accepta l'homme sans même réfléchir. Dites-nous quand vous voulez que l'on commence.
-Dès maintenant. Nous avons perdu énormément de temps et Silo risque de frapper à nouveau. Nous devons être en mesure d'aider nos alliés dans ces batailles et dans cette guerre, affirma la cheffe des rebelles.
-Bien ! Laissez-nous nous organiser avant. Il faut que je sélectionne les meilleurs d'entre nous. Nous avons des manieurs d'épées, de lance et de très bons archers. Dès que nous serons prêts, je vous le ferai savoir mais avant cela... J'avais une requête. Me laisseriez-vous entrer dans le village ? demanda-t-il, espérant avoir une réponse positive.
-Pour quelle raison ? répondit-elle, restant méfiante malgré tout.
-Et bien, nous savons que les rebelles ne veulent pas de nous. Nous en avons tué quelques uns et brûlé votre village mais nous aimerions montrer que nous ne sommes pas les monstres qu'ils pensent que nous sommes. Nous avons cueilli des fleurs que nous aimerions poser sur les tombes de vos défunts. J'aimerai les déposer au nom de tous mais seulement si vous acceptez. Sinon, je peux vous les donner et vous en ferez ce que vous voudrez... expliqua-t-il, ayant l'air de réellement exprimer du remord. 

Nyala hésitait puisque les rebelles seraient certainement mécontents de les voir entrer dans le village mais il fallait aussi qu'ils puissent s'intégrer. Il fallait cesser de les voir comme des soldats ennemis et accepter qu'ils étaient, à présent, des rebelles alliés. Elle fit ouvrir les portes et laissa le général entrer à ses côtés et quelques soldats pour qu'ils amènent les fleurs. Les chuchotements et les regards de travers commencèrent dès qu'il eut mis un pied dans le village mais Nyala gardait la tête haute, l'accompagnant jusqu'aux tombes. L'homme déposa plusieurs bouquets sur les tombes. Il se mit ensuite sur les genoux et se baissa, face contre terre, ses mains soutenant son front.

-Je vous prie de nous pardonner pour nos actes. Nous regrettons tous amèrement d'avoir pris vos vies de la sorte. J'espère que vous accepterez nos excuses malgré nos agissements. Au nom de tous, je vous promets de venger vos morts en aidant vos amis et vos familles à vaincre le roi, dit-il, exprimant son regret avant de se relever. Merci, dit-il en se tournant vers Nyala. Allons, sortons du village, dit-il ensuite à ses soldats qui le suivirent sans broncher.

Nyala appréciait de voir qu'ils respectaient le désir des rebelles de ne pas les voir dans le village pour le moment. Cela la confortait dans son choix. Ils n'avaient rien de mauvais. Ils n'étaient que des êtres humains comme les autres. Un enfant lança un caillou sur l'un des soldats et ses copains suivirent le mouvement. Sans broncher, ils poursuivirent leur chemin. C'était humiliant mais ils comprenaient que les rebelles n'aient que de la rancœur envers eux mais tous désiraient leur montrer qu'ils étaient sincères dans leur démarche. Ils ne leur voulaient aucun mal, plus maintenant et ils allaient le prouver même s'ils devaient prendre des cailloux sur la tête tous les jours. Après tout, ils le méritaient. Ils avaient tué des gens qui ne souhaitaient que la liberté et la paix alors ils l'acceptaient. C'était leur châtiment et ce dernier était bien mince comparément à leurs crimes. Ils pouvaient s'estimer heureux d'être encore en vie.

La cheffe des rebelles laissa faire bien qu'elle n'était pas d'accord avec ce manque de respect. Elle voulait voir comment ils allaient réagir et c'était à la hauteur de ses espérances. Il fallait maintenant les intégrer aux rebelles, en douceur. Il fallait qu'elle parvienne à leur faire oublier qu'ils étaient des ennemis même si elle avait conscience que ce ne serait pas une tâche facile. Il allait falloir du temps mais cela allait finir par se faire. Nyala ne doutait aucunement du fait que ce soit possible et elle continuerait de garder espoir jusqu'au bout. Ils étaient des alliés, pas des ennemis...

The Lost Kingdom [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant