Chapitre LXIV

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Cela faisait déjà bien une semaine que le château semblait horriblement vide. Elina avait dû s'en aller avec son père puisqu'elle n'avait pas cessé de travailler à ses côtés malgré leurs fiançailles. Elle avait des responsabilités envers son paternel et elle les respectait. Alin était donc seul dans son humble demeure. Seul était un bien grand mot mais c'était la sensation qui l'accablait malgré tout. Il y avait des servants, des gardes et le frère de Garmen, Ashan, mais la solitude pesait au-dessus de sa tête quand même. Il était assis sur son trône, la joue posée dans sa main alors qu'il fixait l'extérieur par l'une des fenêtres. Il ne savait pas quoi faire de ses journées lorsqu'Elina n'était pas à ses côtés. Son départ était d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles ils n'étaient pas encore marié. Elle voulait d'abord s'occuper de ses obligations avant de s'unir pour toujours à Alin. De plus, elle voulait découvrir davantage son futur mari même si elle savait que rien ne pourrait empêcher leur union. Elle trouvait juste inutile de se précipiter alors qu'ils avaient toute la vie devant eux. Il avait donc accepté d'attendre qu'elle revienne pour commencer les préparatifs. 

Il était donc perdu dans ses pensées quand Ashan s'approcha de lui pour vérifier qu'il ne manquait de rien. Alin haussa les épaules, n'ayant besoin de rien. Il avait simplement hâte que sa bien aimée revienne. Il soupira puis il posa les yeux sur le jeune frère de Garmen.

-Dis-moi... Je suis curieux... Qui s'occupe de la rébellion puisque Jordin est mort ? demanda-t-il simplement pour faire la conversation.
-Je ne vois pas l'intérêt de vous le dire, souffla le jeune homme. Si c'est pour aller les massacrer encore...
-Oh, voyons... Si c'était ce que je voulais, ils seraient déjà morts. Je sais qu'ils sont au nord d'Imisy mais ils sont toujours là, affirma le lord.
-Peu importe. Ca ne vous apportera rien, rétorqua-t-il en secouant la tête.
-Tu te méfies encore de moi alors que je prends soin de toi ? fit-il en haussant un sourcil.
-Je suis bien traité mais je reste votre prisonnier, répondit Ashan en le regardant dans les yeux.
-Certes, certes. Je sais que Nyala est encore en vie et je suis navré pour ton frère. C'était un homme bien malgré tout ce qui a pu se passer, dit Alin en reposant ses yeux vers la fenêtre.
-Tss. Il n'est pas mort. C'est justement le second de Nyala, lâcha-t-il sans réfléchir avant de serrer les dents.
-C'est Nyala à la tête de la rébellion ? grogna Alin en le regardant à nouveau.
-Oubliez ce que je viens de vous dire, souffla-t-il. Bon, si vous n'avez pas besoin de moi. Je vous laisse, lança Ashan avant de s'éloigner, se maudissant d'avoir ouvert la bouche.

Le lord d'Orien le laissa s'en aller, serrant les poings. La rébellion était un avantage à ses yeux mais savoir que c'était Nyala qui était à sa tête l'énervait. L'histoire allait parler d'eux et la mettre sur un piédestal et cela ne plaisait absolument pas au jeune homme. Il voulait l'effacer de cette terre. Il n'aurait pas pensé qu'elle aurait continué l'aventure qu'avait commencé Jordin après ce qu'il s'était passé. Il imaginait que c'était ceux qui avaient réussi à quitter Orien au début de la révolte mais pas que c'était elle qui avait réussi à se relever et rassembler à nouveau des gens. Il grinçait des dents en pensant à cela. Il se leva et fit les cent pas dans la grande salle du château. Avoir découvert que c'était elle et Garmen qui géraient la rébellion l'obsédait. Il ne pouvait pas laisser faire cela. Il trouverait un autre moyen de détourner l'attention des Venom mais il refusait que Nyala soit l'héroïne de l'histoire, celle qui allait se battre pour la liberté des neuf royaumes alors qu'il ne serait perçu que comme celui qui les avait abattu dans le dos pour le trône. Hors de question ! Alin prépara ses affaires pour quitter Orien. Il fallait qu'il en parle à Tiphon et qu'il s'occupe de leur cas une bonne fois pour toute. Il ordonna à ses gardes de veiller à ce que Ashan ne file pas en douce et il alla jusqu'aux écuries. Il prépara sa monture pour le voyage et il grimpa ensuite sur son dos. Il fila à toute allure vers Deos.

Plusieurs jours passèrent et il arriva finalement dans la grande ville. Il se dirigea jusqu'au château et confia son canasson au palefrenier des Venom. Il s'occupa donc de le nourrir et de lui donner à boire tandis qu'Alin était accueilli au château. Il se présenta au roi, ployant le genou devant le souverain.

-Alin, que me vaut cette visite ? demanda Tiphon.

Le lord se redressa et le regarda droit dans les yeux.

-La rébellion n'a pas été détruite. Ils ont été affaiblis mais ils ont repris du service. Ils se trouvent au nord d'Imisy, dévoila le jeune homme qui avait ruminé sa colère durant son voyage.
-Que veux-tu que je fasse de cette information ? fit le roi en haussant les épaules.
-Ils veulent s'en prendre à vous. C'est toujours leur but. Il faut les éliminer avant qu'ils ne puissent vous atteindre, grogna-t-il.
-Aaah... Alin, souffla Tiphon avant de sourire. Cela m'est égal. Il n'est pas nécessaire de verser davantage de sang. Il a bien assez coulé sous mon règne. Le temps est propice à la paix, ne penses-tu pas ? Ces gens ne pourront pas m'atteindre. Ils ne seront jamais assez nombreux, affirma-t-il.
-Leurs rangs grossissent au fil des mois, rétorqua Alin. Ceux qui parviennent à quitter Orien les rejoignent...
-Une poignée d'hommes ne pourront évincer la grandeur des Venom. De plus, je suis las de la violence. Elle n'est pas nécessaire. Je n'enverrai donc personne. Vois-tu, j'ai enfin appris de mes erreurs. Un règne de terreur ne mène qu'à la haine. Tu devrais l'avoir déjà compris, toi aussi. J'ai confondu pendant longtemps la peur et le respect. Mon peuple ne me respectait que parce qu'ils me craignaient. Depuis que j'ai changé, ils restent méfiants mais je ne vois plus autant de colère dans leurs regards, affirma Tiphon avant de sourire. La haine n'apporte que la haine. Les rebelles verront peut-être que je ne suis plus le même et ils abandonneront leur désir de m'éliminer. Si ce n'est pas le cas alors mon armée s'occupera d'eux quand ils seront à nos portes mais je ne les crains plus. Je te l'ai dit : le sang a assez coulé. 
-Je le comprends mais... souffla-t-il avant d'être interrompu.
-J'ai appris que tu étais fiancé. As-tu envie qu'elle te voit comme un homme bon et juste ou comme un homme effrayant et tyrannique ? demanda Tiphon.
-Je... Et bien, comme un homme bon et juste, répondit-il avant de soupirer.
-Alors cesse donc de vouloir t'en prendre à ces gens. Orien ne risque rien, je m'en assurerai si le besoin s'en fait sentir. Il n'est donc pas nécessaire que tu t'inquiètes. Pense à ta future épouse et à votre vie ensemble, à ce que vous allez créer tous les deux. Oublie la haine et la colère qui sont en ton cœur. Laisse ces sentiments néfastes s'envoler et concentre toi sur les belles choses que la vie t'offre. Regarde-moi... Je me retrouve seul, avec un seul fils sur les deux car j'ai été mauvais et les dieux m'ont punis pour mes crimes passés. J'essaie de me repentir et de défaire tout le mal que j'ai causé. Ma femme m'a haït du premier jour jusqu'au dernier. Jamais elle n'a posé les yeux sur moi avec amour... J'ai exécuté mon fils et le regrette aujourd'hui car c'était un bon petit malgré ses penchants déviants. La mort a été une sentence bien trop sévère. J'ai laissé la haine et la colère me guider et voilà ce que j'ai récolté. Tu es bon garçon, Alin. Je le sens. Tu te laisses simplement submerger par tes émotions mais ce n'est pas la solution, je te l'assure, déclara l'homme de pouvoir.
-Vous avez réellement changé, souffla Alin. Bien plus que je ne l'ai entendu...
-Parce que je suis enfin en paix avec moi-même. Asuntina, la prêtresse noire qui me conseille, m'a éclairé. Elle m'a fait comprendre que celui que j'étais ne devait plus être et je suis maintenant un meilleur roi que je ne l'ai jamais été auparavant. Je ne suis plus guidé par ma colère. Elle m'a ouvert les yeux et il est temps que tu ouvres les tiens, affirma-t-il, totalement serein.
-Vous avez sûrement raison. Si Elina avait été là, elle m'aurait empêché de partir pour vous parler, imagina-t-il avant de soupirer. Je vous ai fait perdre votre temps, ajouta ensuite Alin.
-Mais non. Il est important que nous discutions et que je t'aide à être un bon lord. J'ai d'ailleurs dans l'idée de contacter Montvono, Terragi, Thalass et Meridie. Il est temps que nous enterrions la hache de guerre. Je doute que cela soit une tâche aisée mais j'aimerai que les royaumes soient à nouveau réunis sous une bannière de paix. J'ai commis des atrocités et j'aimerai éviter que cela se reproduise. Il me faut donc faire un pas vers ceux qui me considèrent comme un ennemi. Tu dois en faire de même. Ne te crée pas davantage d'ennemis que tu n'en as déjà... Oublie la rébellion, continua-t-il, restant sur cette optique de changement.
-Merci, roi Tiphon. Vos paroles, bien que surprenantes vu votre réputation, sont d'une sagesse précieuse, affirma Alin.
-C'est l'ère du changement, dit-il simplement en souriant.
-Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé pour apaiser mon esprit... dit-il en faisant la révérence. Il est temps que je rentre et que je m'occupe correctement de mon peuple.
-Va et sois un bon lord, conclut Tiphon alors qu'Alin s'éloignait.

Le jeune homme était étonné par ce changement si radical. Il trouvait cela étrange et en même temps, ses conseils étaient avisés. Il avait pu ressentir que Tiphon était un homme nouveau. Il était passé d'un tyran à un homme bienveillant. Alin se disait donc qu'il devait suivre le même chemin. Il ne devait pas céder à sa haine et à sa colère. Son orgueil et sa fierté ne devaient pas guider ses actions. Après tout, les Rexaron avaient toujours régné avec bienveillance, bonté et douceur tout en sachant se montrer ferme quand cela était nécessaire et ils avaient tous été adulés pendant des centaines d'années. Il voulait être ce roi. Il se sentait presque coupable de toujours vouloir posséder le trône sur lequel Tiphon était confortablement installé. Rien ne le retenait d'être meilleur et de tout de même vouloir la couronne du roi des neuf royaumes. L'un n'empêchait pas l'autre. 

Alors qu'il était sortit du château, il se dirigeait vers les écuries mais il fut interrompu dans sa marche par une voix qu'il connaissait.

-Tu ne devrais pas écouter les élucubrations de ce vieux fou, lança Silo dans le dos du lord.
-Il m'a l'air bien plus sage que fou, rétorqua Alin en se tournant vers le prince.
-Il est devenu faible. Cette prêtresse noire le manipule et il boit ses paroles, soit disant, divines. Il pense faire le bien quand il ne fait qu'affaiblir notre nom. Venom est une maison forte et impitoyable. Ces histoires de bonté, de douceur, de clémence... Tout cela n'est que la preuve de sa faiblesse grandissante. Il n'est plus bon à rien, affirma le jeune homme.
-Peut-être devrais-tu écouter ce que ton père a à dire... souffla le lord en haussant les épaules.
-Serais-tu en train de te laisser berner par ses dires ? As-tu envie de devenir aussi faible que mon père ? Ton peuple ne te respectera jamais si tu deviens comme lui, je te le garantis, grogna Silo.
-Faire preuve de sagesse n'est pas une faiblesse. Les Rexaron suivaient... fut-il interrompu.
-Les Rexaron sont morts ! Voilà ce que leur a apporté leur bonté et leur sagesse. Ils auraient dû éradiquer notre maison lorsqu'ils ont repris le trône mais ils ont été faibles et ont préféré faire preuve de clémence. Nous en avons profité pour devenir plus forts encore et nous leur avons repris. Bien que cet idiot ait laissé une gamine fuir. Heureusement, grâce à toi, la princesse est morte donc les Rexaron ne sont, cette fois-ci, réellement plus. Fais ce que bon te semble mais je n'aurai pas un faiblard comme allié lorsque le trône m'appartiendra, conclut-il avant de s'éloigner.

Alin soupira avant de secouer la tête. Deux poids, deux mesures. Le père semblait avoir retrouvé la raison et une paix intérieure alors que le fils désirait poursuivre ce que son père avait commencé avant de devenir aussi doux qu'un agneau. Le lord ne savait pas réellement quel chemin choisir. Après tout, les deux avaient des arguments valables. Tiphon clamait que la gentillesse et la sagesse mèneraient à la paix tandis que Silo affirmait que c'était ce qui allait causer sa perte. La vision du roi était peut-être un peu trop idyllique mais celle du prince était trop tyrannique. Le jeune homme préféra laisser tout cela de côté, récupérant son cheval pour repartir vers Orien. L'important était qu'il s'occupe de son propre peuple. Deos était entre les mains de Tiphon et ils semblaient tous se porter bien. D'ailleurs, si Elina avait été présente, elle lui aurait certainement dit d'écouter le roi plutôt que son fils immature et inexpérimenté. Il secoua la tête, repartant au galop vers sa maison.

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