Chapitre XXVIII

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Deux hommes étaient installés autour d'une table, se regardant sans prononcer un mot. L'un d'eux était plongé dans ses pensées tandis que l'autre patientait, dans l'attente de savoir ce que lui voulait le premier. Un long silence pesant qui envahissait la pièce. Celui qui semblait ailleurs finit par revenir à lui, inspirant profondément avant de sourire.

-Alin, c'est bien ça ? demanda-t-il en le fixant dans les yeux.
-Silo, n'est-ce pas ? rétorqua-t-il en souriant.
-Un Trafalgar qui montre qu'il en a, j'aime bien, dit-il amusé. Je suis curieux. Pourquoi mon père ne t'a-t-il pas encore exécuté ? demanda ensuite le prince.
-Parce que je ne suis pas un Trafalgar comme les autres, répondit simplement Alin, haussant les épaules. Je sais où se trouve ce qu'il cherche.
-Et que cherche-t-il ? poursuivit Silo en haussant un sourcil.
-Une jeune femme qui pourrait lui causer du tort, mais, à l'heure qu'il est, elle doit déjà être morte, fit-il, un sourire se dessinant sur ses lèvres.
-Et qu'as-tu de si différent des autres de ta maison ? continua-t-il de l'interroger.
-C'est simple... Je ne suis pas un lâche comme eux. J'ai des ambitions, affirma Alin, le regardant sans sourciller.
-Tu es le neveu de Fredrik, c'est bien ça, non ? demanda Silo.
-C'est bien ça, oui. Un idiot qui s'est lancé dans une guerre perdue d'avance. Un lâche qui s'est fait emprisonné et n'a rien tenté pour s'en sortir. Il a bêtement accepté son destin, lança Alin. 
-Je vois que tu n'as pas la mentalité faible et douce des Trafalgar. C'est assez étonnant. Vous êtes connus pour être ceux qui étaient les plus fidèles aux Rexaron. Pourquoi ne l'es-tu pas ? fit-il remarquer.
-Fidèle à des idiots qui se sont fait massacrés en une seule pauvre nuit ? rétorqua-t-il avant de rire doucement. Très peu pour moi.
-Quelles sont les ambitions dont tu as parlé ? l'interrogeait-il pour mieux le comprendre.
-Vois-tu, Silo, j'étais avec mon cousin, Jordin. Ce dernier montait une rébellion qui visait à détrôner ton père et à le tuer. Je dois bien admettre que je l'ai aidé car je savais cette idée vouée à l'échec. Je me suis dit que je pourrais utiliser cela à mon avantage. Je l'ai manipulé durant des années, freinant son envie de venger son chien de père. Il y croyait dur comme fer mais tout ça ne faisait que parti de mon plan, expliqua Alin, un sourire au coin des lèvres. Cependant, quelque chose, ou plutôt, quelqu'un, m'a détourné de mon plan un instant. Savais-tu que Rhiannon Rexaron était encore en vie ? demanda-t-il en souriant, amusé.
-Que racontes-tu ? Ils sont tous morts, il y a plus de dix ans maintenant, affirma Silo. Ceci dit... Maintenant que tu m'en parles, je comprends bien mieux le comportement de mon père ces dernières semaines...
-Et bien, je peux t'affirmer qu'elle ne l'était pas. Je l'ai vue, de mes propres yeux. J'ai tenté de la séduire mais elle était impure. Une femme aimant les femmes, dit-il avant de cracher par terre. 
-Ah ! Ces gens... Les dieux les puniront à leur mort. Ils finiront dans les enfers de Talia, tandis que nous, guerriers, festoieront aux côtés des dieux, embrassé par la tendre Erin, divinité de la guerre, dit-il amusé. Je comprends donc ta haine pour ces gens. Des faibles et des impurs, guidés par leurs instincts primitifs. 
-Cela n'a plus d'importance aujourd'hui. Ton père a envoyé ses soldats pour réduire à néant cette rébellion et la princesse. Ils sont tous morts, c'est certain. Du moins, tant que Jordin est mort, il n'y a plus de rébellion. Ils ne suivront personne d'autre. Rhiannon était une incapable. Elle ne savait pas se défendre donc elle est morte, c'est certain, dit-il en souriant. 
-Et qu'attends-tu maintenant ? Que veux-tu de mon père ? demanda Silo, en haussant un sourcil.
-Rien. Je voulais simplement voir ces bâtards mourir et c'est chose faite. Je vais simplement rentrer à Orien et reprendre les rênes de ma maison. Ils méritent un lord qui saura faire remonter l'estime des Trafalgar. D'ailleurs, Orien se tiendra désormais aux côtés de ton père. Je tiens à ce qu'il nous ait comme allié. Il inspire la peur et n'en a pas besoin, certes, mais cela lui donnera plus de puissance si quelqu'un venait à avoir l'idée de se soulever contre lui. Cela réduira à néant tout espoir de rébellion qui pourrait venir d'un autre puisque les plus fidèles alliés des Rexaron se tiennent aux côtés du roi Tiphon, expliqua-t-il sereinement.
-Je vois... C'est une bonne idée. Si même les Trafalgar ploie le genou, alors tous n'auront d'autres choix que de faire de même, fit Silo en souriant. C'est malin...
-Je sais, dit-il, confiant.
-Bien. Cette petite conversation m'a permis de mieux te cerner. Je vois en toi un allié puissant. Cela me plaît. Vois-tu, j'aimerais créer un ordre secret. Un ordre qui maintiendrait la paix et empêcherait les soulèvements dont tu parlais. Les Venom ont des ennemis, c'est bien connu et nous ne les craignons pas mais mon père est soucieux ces derniers temps. Bien trop. Il n'agit plus comme un vrai souverain. Il nous faudra donc prendre des décisions à sa place. Je pense qu'en réunissant un membre de chaque maison dans cet ordre, nous pourrions échanger des informations importantes et neutraliser tout ceux qui désireraient s'emparer du trône. De plus, vous auriez une place importante au sein de la royauté, ce qui n'est pas négligeable, expliqua le prince, toujours souriant.
-Je vois. Une place de pouvoir où, ensemble, nous tirerions les ficelles, cachés dans l'ombre. Je dois bien admettre que l'idée ne me déplaît pas, fit Alin en hochant légèrement la tête. As-tu déjà des membres ?
-Non. L'idée me trottait dans la tête depuis un moment déjà mais je ne savais pas par où commencer. Cependant, ta présence ici me permet de te proposer une place de choix dans cet ordre. Nous serions les maîtres du monde. Nos décisions seront les plus importantes. Nous réduirons au silence tout ceux qui désirent se retourner contre nous. Ce n'est qu'un début mais je me dis que tu pourrais convaincre d'autres d'en faire parti. Après tout, ton jugement éclairé pèsera dans la balance. Ils ne me font pas confiance, mais toi, ils te suivront si toi-même tu me suis, répondit-il.
-Mhmh... Je n'y vois pas d'inconvénients. Cela nous servira, c'est certain. Tous les petits secrets des neuf royaumes nous seront révélés et nous pourrons neutraliser les traîtres qui souhaitent s'en prendre au trône. Cela me convient. J'accepte, dit-il en souriant. À présent, j'aimerai pouvoir annoncer l'alliance à ton père. Je veux qu'il sache qu'Orien lui est désormais fidèle et qu'il peut compter sur moi, sur mon armée, pour le défendre si cela se voyait nécessaire, affirma-t-il en se levant de son siège.
-Bien, fais donc, répondit Silo en se levant. Bienvenue dans l'ordre, dit-il ensuite en s'approchant, lui tendant la main.

Alin attrapa son avant-bras et le serra. Ils venaient donc de construire leur ordre qui agirait dans l'ombre. De plus, il scellait son alliance avec les Venom. Les Trafalgar étaient dès maintenant fidèles aux Venom bien que le roi ne le savait pas encore. Alin n'avait pas de doute sur le fait qu'il accepterait. Après tout, il avait tout de même dénoncé la rébellion et Rhiannon pour lui prouver sa valeur. 

Silo le laissa aller parler à son père, l'observant s'éloigner avec un sourire au coin de ses lèvres. Cet ordre n'avait pas tellement pour but de protéger le trône. Il l'était déjà. Les gardes royaux étaient les meilleurs des neuf royaumes. Il voulait le pouvoir et son père n'était définitivement plus apte à ce poste. C'était sa façon de tous les contrôler en leur donnant l'impression d'avoir leur mot à dire, d'avoir de l'importance et du pouvoir. Il n'en était rien. Ce n'était là que pure manipulation et Alin Trafalgar avait plongé, tête baissée, dans son piège. Il allait délibérément leur faire croire qu'ils avaient leur mot à dire mais dans le fond, Silo n'agirait que pour son propre bien. En rassemblant un membre de chaque maison dans cet ordre secret, il s'assurait des alliés et il garderait sa place au pouvoir lorsque son père quitterait ce monde pour rejoindre celui des dieux. Il n'avait que faire de la paix. Elle n'existait jamais réellement. Il y avait toujours des complots ici et là. Mais qui se soulèverait s'il les avait tous dans sa poche ? Personne. C'était là son but. Il ne risquerait rien en ayant tous ces fidèles qui lui lècheraient les pieds, tel un dieu vivant. Il savait qu'il aurait pu enrôler un Jagor dans cet ordre, bien avant Alin mais il voulait prouver à ce Jagor qu'il détenait un pouvoir de persuasion colossal. De plus, s'il avait pu convaincre un Trafalgar, fidèles alliés des Rexaron, alors il pouvait tous les amener à lui obéir et à accepter. Ce n'était qu'une démonstration de son pouvoir et de son intelligence. 

De son côté, Alin était arrivé dans la salle du trône, où le roi était assis sur son trône, comme toujours. Il s'avança vers lui. Il sortit son épée et les gardes se mirent en alerte tandis qu'il posait la pointe de sa lame au sol. Il mit ensuite un genou par terre et pencha la tête. Le roi se redressa, attentif à la scène.

-Grand roi Tiphon Venom, second du nom. En ce jour béni par les dieux, je vous offre la loyauté des Trafalgar et du royaume d'Orien. Au nom de tous, je vous jure une fidélité sincère. Orien se battra pour vous si vous le demandez, sans jamais poser de question, déclara-t-il.
-Je vois qu'il y a enfin des Trafalgar censés. Moi, grand roi Tiphon Venom, second du nom, accepte Orien comme allié fidèle. Je t'offre Orien en retour, lord Alin Trafalgar, répondit-il solennellement.
-Merci, mon roi, dit-il en relevant la tête.
-Tu peux être fier de toi, mon garçon. Tu as accomplis, là, bien plus que n'importe quel autre Trafalgar. Les Venom te sont reconnaissants pour les informations que tu m'as apporté. Un éclaireur est venu me voir et a annoncé le démantèlement de la rébellion. Ils se sont bien battus et ont terrassés les quelques hommes que j'ai envoyé mais il n'en reste qu'une poignée, abattue par leurs pertes. La rébellion n'est plus, lui annonça le roi, confiant.
-Et pour ce qui est de la princesse ? demanda Alin.
-Elle n'est plus. Les survivants qu'il m'a décrit ne sont pas Rhiannon Rexaron. Il y avait bien une jeune femme brune mais son nom était... Kyriana, Jilia... essaya-t-il de se souvenir.
-Nyala, fit Alin, serrant ensuite les dents.
-C'est cela, oui, s'exclama Tiphon. Était-elle importante ? 
-J'aurai aimé apprendre sa mort mais celle de la princesse l'a anéantie, j'en suis certain. Voilà une douce récompense dans le fond. Je la voulais morte mais sa vie encrée par la souffrance me convient davantage, rétorqua le jeune homme, satisfait de savoir qu'elle allait souffrir de la perte de celle qu'elle aimait et se haïr de n'avoir pu la protéger.
-J'aime beaucoup ta façon de penser, lord Alin. La souffrance est une douceur qu'il nous faut savoir apprécier. La mort est un délice, mais elle libère nos ennemis de façon bien trop brutale. Tu peux être certain qu'elle s'apitoie maintenant sur son funeste destin, affirma le souverain, fier de cette nouvelle alliance.
-Vous m'en voyez ravi, mon roi, dit Alin en se redressant. J'ai maintenant à faire à Orien. Il me faut reprendre le trône de ma maison car la mère de mon défunt cousin y réside toujours et je ne peux le permettre. Elle sera exécutée pour avoir soutenu son traître de fils. Elle ira les rejoindre dans les enfers de Talia, lui annonça Alin en souriant.
-Parfait ! Je te libère donc. Rejoins Orien, annonce leur que tu es leur nouveau lord et qu'ils se doivent de jurer fidélité à leur seul roi, dit Tiphon.
-Ceux qui s'y refuseront rejoindront Jordin et ses parents, je vous en fais la promesse, conclut Alin. J'ai une longue route à faire. Je vous enverrai un corbeau pour confirmer mon ascension. Sur ce, à bientôt, mon roi, déclara-t-il avant de s'éloigner.

Alin eut un sourire au coin des lèvres. Son plan marchait à merveille. Silo lui mangeait dans la main, lui ayant donné une place au sein de son ordre secret, lui donnant accès aux secrets des neuf royaumes. Tiphon l'estimait et le voyait comme un allié et non comme une menace. Il allait exécuté ses dires pour les conforter dans leurs décisions. Il allait jouer le bon petit allié pendant un temps et il finirait par prendre le trône. Il avait essayé avec Rhiannon qui était tombée à point nommé mais puisqu'elle n'avait pas succombé à ses charmes, il avait trouvé un autre moyen de se rapprocher du trône. Tout se passait à merveille. Il devait bien admettre qu'il avait douté de son plan dans un premier temps. Tiphon aurait pu le tuer une fois ses informations révélées mais ce n'était pas le cas. Alin comptait reprendre Orien dans tous les cas mais il avait la bénédiction du roi donc cela officialisait la chose. Tout se déroulait comme il le souhaitait. Ils le considéraient comme un allié précieux alors qu'il comptait bien être celui qui les mènerait à leur perte mais il se devait d'être patient. Il était malheureux, en un sens, que Rhiannon ait rejoint la rébellion. Sans elle, il aurait pu rester aux côtés de Jordin et demander le trône une fois qu'ils l'auraient reprit mais au final, cela lui convenait aussi. Alin était prêt à tout pour accéder au pouvoir ultime. Il désirait, depuis toujours, être le roi. Olivio Reath lui avait retiré cet espoir mais vu comment le pauvre garçon avait fini, il ne s'en portait pas plus mal. La rébellion, avant l'arrivée de Rhiannon, était une solution possible mais ils avaient tout aussi mal fini. Dans le fond, sa patience l'avait conduit à ce moment. Le roi et le prince ne se doutaient aucunement de ses réelles intentions. Il jouait l'idiot manipulable alors que c'était lui qui les manipulait. Il allait devenir roi.

Ces pensées le faisait sourire alors qu'il rejoignait les écuries. Un cheval avait été préparé pour lui. Le palefrenier lui amena son destrier et Alin le remercia. Étant d'excellente humeur, il lui lança une pièce, le jeune homme le remerciant avec un grand sourire. Il grimpa sur sa monture et prit la route vers Orien. Il avait une grande annonce à faire et quelques exécutions à préparer. Alors qu'il atteignait la forêt, il ralenti un peu puis s'arrêta pour regarder le château de Deos, se tenant fièrement sur les hauteurs du paysage et il sourit.

-À bientot, mon trône, souffla-t-il en gardant ce sourire suffisant sur les lèvres, reprenant ainsi sa route vers sa maison.

The Lost Kingdom [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant