Chapitre LIV

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Un homme tournait en rond dans ses appartements, faisant les cent pas. Il faisait un cercle, tel un lion coincé dans une cage. Il se rongeait l'ongle du pouce, soucieux. Alin était perdu dans ses pensées, marmonnant entre ses dents. Il était en colère et à la fois, il craignait qu'un corbeau soit arrivé à Deos mais que ce ne soit pas que le sien. Il avait, comme prévu, envoyé à Silo que ses cousins avaient refusé sa requête et qu'ils avaient affirmé qu'ils le mèneraient à sa perte. La deuxième partie était fausse mais il essayait de couvrir ses arrières. Il s'était un peu trop laissé aller sans réfléchir aux conséquences. Il espérait que Silo choisirait de le croire. Après tout, s'il avait voulu le tuer, il aurait déjà pu le faire. Il s'était déjà retrouvé en sa compagnie et sans surveillance. Il aurait pu le tuer sans problème, mais il ne l'avait pas fait donc c'était, en quelques sortes, la preuve qu'il n'était pas une menace et qu'il n'était pas hostile. De plus, il se montrait même obéissant donc Silo n'avait rien à craindre. C'était ce qu'il espérait lui faire croire. Il comptait bien s'approprier le trône mais pas tout de suite. Il fallait qu'il continue de gagner leur confiance pour que leur chute soit plus grande encore. Il voulait marquer l'histoire même si c'était par la trahison. Il s'en fichait pas mal. Alin, le rusé... Ca sonnait bien comme nom. 

Il poussa un long soupir et s'arrêta, fixant droit devant lui quelques secondes avant de secouer la tête. Aucun risque que Silo pense qu'il voudrait s'en prendre à lui. Il devait cesser de s'inquiéter bien que l'absence de réponse du prince le turlupinait. Il décida donc de sortir prendre l'air pour s'aérer l'esprit et se détendre un peu. Alin quitta sa chambre puis son château, se retrouvant sous la chaleur du soleil qui était haut dans le ciel, brillant de mille feux. Il plissa légèrement les yeux, aveuglé par l'astre, et marcha jusqu'à une zone d'ombre. Il observait les gens qui se consacraient à leurs occupations. Le calme était peu à peu revenu à Orien. Il n'y avait plus d'exécution pour l'instant. Cela ravissait Alin. Il avait réussi à leur faire comprendre que leur destin était scellé et qu'ils n'avaient pas le choix. Il n'avait jamais eu envie d'en arriver à de telles proportions en réalité. Alin était prêt à tout, certes, mais tuer des gens... Ce n'était pas quelque chose qui lui procurait du bonheur. Il n'avait aucun regret, même pour Jordin et Salma. Il ne comprenait pas pourquoi beaucoup préféraient son cousin. Il était né du sang des loyaux et des traîtres à la fois. Un Trafalgar et un Jagor à la fois... Certes, Salma n'avait jamais cautionné ce que sa famille avait fait onze années plus tôt et elle était restée auprès des Trafalgar mais tout de même. Était-ce parce qu'il avait le sang de Venom en lui de par sa mère, Dayan, que les gens n'aimaient pas Alin ? Le savaient-ils seulement ? Après tout, elle était morte en lui donnant naissance et son père, Eros Trafalgar, n'avait pas supporté cela. Il avait donc préféré le confier à Salma et Fredrik. Il avait quitté Orien depuis bien longtemps déjà. Alin ne savait absolument pas où il se trouvait et dans le fond, il s'en fichait. Il n'avait jamais été comme un père pour lui. Il ignorait si quelqu'un savait pour ses origines. À première vue, Silo et Tiphon ignoraient qu'il était un cousin et un neveu pour eux. Il avait beau avoir un lien de parenté, il ne leur ressemblait pas. Alin était un homme bon malgré ce qu'il avait fait pour contenir le peuple d'Orien. Il n'était pas malfaisant. Cependant... La traîtrise coulait-elle dans ses veines ?

Il sortit de ses pensées lorsqu'il bouscula une jeune femme. Son panier de pomme se renversa sur le sol.

-Je suis désolée mon lord, je ne regardais pas où j'allais, fit-elle en se baissant pour ramasser ses fruits.
-Il n'y a pas de mal, répondit-il en se baissant pour l'aider. 

La jeune femme leva les yeux vers Alin lorsqu'il lui tendit la dernière pomme. Elle la prit et le jeune homme lui offrit un sourire. Elle se releva et poursuivit sa route. Le lord avait été troublé par le regard qu'elle lui lançait. Elle le craignait. Cette jeune femme avait comme fuit pour éviter tout problème. Pourtant, il ne comptait pas s'en prendre à elle. Ce n'était qu'une simple bousculade et il était même sûr que c'était de sa faute. Il était perdu dans sa réflexion et marchait sans considérer son environnement. Alin poussa un léger soupir, l'observant s'éloigner avant de disparaître au coin d'une rue. Elle semblait aller vers le marché. Le lord se dit que cela pourrait être agréable d'y faire un tour. Il se déplaça donc jusque là et il observa tous les étalages remplis de fruits, de légumes, d'épices, de parfums, de babioles, d'armes, ... Il y avait vraiment de tout en ce lieu. Il revit la marchande et il lui offrit un léger sourire, poursuivant sa route. Elle avait baissé les yeux après cela. C'était donc là les conséquences de ses actes. Son peuple fuyait ou le craignait. Il fallait s'en douter mais il ne pensait pas que ce serait à ce point. Il s'arrêta devant une échoppe et observa les épées qui étaient soigneusement étalées sur la table. Elles étaient belles. Le métal avait été travaillé et le manche était proprement sculpté. Il y avait un pommeau qui représentait un loup et il eut un léger sourire.

-Un excellent travail, n'est-ce pas ? demanda une jeune femme en souriant.
-En effet, souffla Alin, levant les yeux vers elle.
-Elle vous intéresse ? continua-t-elle.
-Oh, j'en ai plusieurs déjà. Elle ne servirait que de décoration, affirma-t-il, étant trop habitué à manier celle qu'il portait sur lui.
-Ma foi, l'ajouter à votre collection ne peut pas faire de mal. Je suis sûre qu'elle embellirait celle-ci, essaya-t-elle de la vendre.
-Certes... fit-il en observant son sourire. Vous n'êtes pas d'ici, vous ? demanda ensuite Alin.
-Non. Nous venons d'arriver avec mon père, répondit-elle simplement. Comment avez-vous deviné ? 
-Vous me souriez, répondit-il simplement en reposant l'épée. C'est étrange... Vous n'êtes pas habillée comme une simple marchande itinérante. 
-Que voulez-vous dire par là ? Ma tenue vous déplait ? demanda-t-elle amusée.
-Non, non. Votre tenue est très belle. Vous semblez être une noble accoutrée de la sorte, affirma le jeune homme.
-Oh ! Et bien, mon père fait les plus belles épées des neuf royaumes. Elles se vendent à merveille malgré leur prix. Nous avons donc la chance de vivre aisément, expliqua-t-elle simplement. Vous aussi vous semblez venir d'une famille aisée.
-C'est le cas, fit-il en haussant les épaules. Bon... Combien pour cette épée ? demanda-t-il.
-Trois pièces d'or, répondit-elle, gardant ce sourire.
-Trois ? Et bien... C'est le prix d'un cheval tout de même, fit-il surpris.
-Elle vous accompagnera bien plus longtemps qu'un cheval, rétorqua la marchande.
-Vu comme ça, répondit-il amusé. Je vais la prendre, ajouta ensuite Alin, prenant trois pièces de sa bourse. 
-Merci, dit-elle en les prenant avant de lui fournir le fourreau qui accompagnait l'épée. Il vous faut autre chose ? demanda-t-elle, toujours souriante.
-Comment vous appelez-vous ? D'où venez-vous ? la questionna-t-il.
-Elina. Nous venons de Caerul, répondit simplement la jeune femme.
-Ah oui. Je vois. C'est au sud de l'île de Ponenterra. C'est bien ça ? poursuivit-il la conversation.
-C'est bien ça, oui ! affirma-t-elle, gardant ce sourire qui perturbait le jeune homme. Et vous ? 

Alin allait ouvrir la bouche pour répondre quand un homme s'approcha et s'inclina.

-Lord Alin ! C'est un plaisir de vous accueillir devant notre échoppe. Avez-vous besoin de quelque chose ? demanda le père d'Elina.
-Votre fille m'a déjà donné ce que je désirais, je vous remercie, fit-il poliment.
-Alin, fit-elle en haussant un sourcil avant de sourire avec douceur. C'est un joli prénom que vous avez là.
-Merci, dit-il en souriant à son tour. Je vous retourne le compliment. Bon, et bien, je vous laisse travailler.

Alin s'éloigna, jetant un regard par-dessus son épaule et il croisa le regard d'Elina qui lui souriait toujours. Il reposa les yeux devant lui, agréablement surpris par cet échange. Il n'était pas idiot, il savait que presque tout le monde était au courant de ses agissements. Elle l'était probablement. Pourtant, Elina ne semblait pas le craindre. Elle lui avait sourit tout du long. Elle n'avait pas changé de visage ou d'attitude lorsqu'elle avait découvert qui il était. Cela faisait du bien au lord qui se sentait seul. Personne n'osait le regarder dans les yeux, personne ne lui offrait un sourire, mais tous le craignaient. Il était donc heureux d'avoir croisé cette jeune femme qui lui avait embelli sa journée. Il repartait avec une très belle épée et un sourire, le cœur un peu plus léger. Il poursuivit son tour d'Orien, se baladant tranquillement dans les rues. La nuit commençait à tomber donc il se décida à rentrer. Sa nouvelle épée à la ceinture, il la décrocha et la posa avec d'autres qui lui appartenaient. Elina avait raison, elle embellissait sa collection.  

Assis sur une chaise, Alin fixait sa nouvelle lame. Il ne cessait de se poser une question. Pourquoi n'avait-elle pas eu peur de lui ? Il avait exécuté tant de monde car ils n'allaient pas en son sens. Il avait fait tuer Jordin, bien que personne ne le savait réellement, il avait tué sa tante et son peuple... Alors pourquoi ne le craignait-elle pas ? Il ne comprenait pas, bien qu'il en était heureux. Le lord était fatigué de voir ces regards apeurés, ces yeux remplis de colère, de haine même. Il savait que c'était un mal pour un bien mais il commençait à en avoir marre. Ces gens ne comprenaient pas ses réelles intentions. Ils ne savaient pas qu'il désirait remettre de l'ordre dans les neuf royaumes et y restaurer la paix. Ils n'étaient au courant de rien. Alin vivait une vie de solitude, entouré de personnes qui voulaient sa mort car ils ne savaient pas à quel point c'était un homme bon en réalité. Il avait accepté d'endosser le rôle du mauvais pour les délivrer du mal qu'offraient les Venom. Il savait qu'un jour, leurs regards craintifs céderaient à l'admiration. Il se sacrifiait pour les neuf royaumes qu'il allait un jour posséder. Quelqu'un frappa à la porte et il tourna la tête, la levant de sa main qui la soutenait. 

-Mon lord... Quelqu'un désire vous voir, dit l'un des gardes. Une jeune femme, elle dit qu'elle s'appelle...
-Elina, fit-il en se redressant.
-C'est bien cela, oui, acquiesça l'homme.

Alin se leva et il n'hésita pas un seul instant, se rendant aux portes du château dans lequel il résidait. Il vit la jeune femme qui lui offrit à nouveau ce sourire qui le troublait tant.

-Alin ! s'exclama-t-elle sans le quitter des yeux.
-Elina ! Que me vaut l'honneur de votre visite ? demanda-t-il en arrivant à sa hauteur.
-Et bien... J'ai trouvé que notre conversation était un peu courte. Je voulais donc vous proposer de la poursuivre en marchant. La nuit est douce, ce soir, expliqua-t-elle, souriant.
-Je n'y vois pas d'inconvénient, affirma-t-il en lui proposant son bras.

Elle glissa sa main au creux de son coude et ils se mirent à marcher sous les étoiles. Alin trouvait cette soirée paisible. Les rues étaient animées par les quelques personnes qui traînaient encore, par la musique qui sortait des tavernes environnantes, des rires des personnes imbibées ou non, ... Alin ne sortait que peu du château puisqu'il craignait que quelqu'un s'en prenne à lui et sortir avec des gardes montrerait sa peur et les gens pourraient le penser faible. Cependant, en la compagnie de la jeune femme, il ne craignait rien. C'était comme si sa présence effaçait tout le mal qu'il avait pu faire. L'aura qui émanait d'elle supprimait la noirceur qui entourait Alin. 

-J'ai une question à vous poser, souffla le lord qui avait besoin de comprendre.
-Je vous écoute, fit-elle, toute ouïe.
-Je me demandais... N'avez-vous pas peur de moi ? demanda-t-il en la regardant.

Elina eut un petit rire, s'arrêtant pour le regarder, posant une main sur sa joue.

-Pour quelle raison devrais-je avoir peur ? rétorqua-t-elle, lui offrant un énième sourire.
-Je suppose que vous savez ce que j'ai pu faire, dit-il, détournant le regard du sien.
-Vous supposez bien, affirma-t-elle avant d'hausser les épaules. Je ne considère pas être en danger. Vous avez agi en pensant faire bien pour Orien, n'est-ce pas ?
-En effet... Je sais que cela n'en a pas l'air mais je le fais pour de bonnes raisons, affirma le jeune lord.
-Et puis, vous êtes le lord. Les gens vous doivent le respect. Qu'ils soient d'accord ou non avec votre montée au pouvoir. Bien des gens ont agi avec malveillance. Le roi, par exemple... Il est certes haït mais il est aussi respecté. Alors quelqu'un qui a simplement voulu aider le royaume en s'alliant aux serpents... Le respect lui est dû. Je ne suis pas très douée dans ce domaine mais je crois comprendre pour quelle raison vous l'avez fait. Il y avait une rébellion en marche, vous en faisiez partie de ce que j'ai pu entendre à votre propos... Il vous aurait tué et Orien aurait fini sous le règne de quelqu'un choisi par Tiphon, peut-être même le roi lui-même. Il valait donc mieux faire la courbette au roi et s'allier à lui que d'être son ennemi, supposa la jeune femme.
-C'est exactement ça ! Je ne pouvais laisser Orien aux mains des Venom. Je sais que mes agissements ont pu en choquer plus d'un mais c'était uniquement pour préserver le royaume... confirma le jeune homme.
-Alors, je n'ai aucune raison d'avoir peur. Et puis, vous avez été très agréable avec moi. C'est bien pour cela que nous sommes ici à cet instant, fit-elle en souriant avant de reprendre son bras.

Le jeune homme eut un sourire et il reprit sa promenade avec Elina. Il était touché de voir que quelqu'un comprenait enfin ce qu'il voulait faire et pourquoi il agissait de la sorte. Elle saisissait les nuances de ses choix. Elina était visiblement une femme intelligente et cela plaisait au lord. Ils continuèrent de marcher, se rapprochant de la mer. Elina se mit à courir vers les falaises, s'arrêtant avant le vide et elle s'installa au bord, les jambes se balançant dans le vide. Alin s'approcha et il s'installa à ses côtés.

-J'adore le bruit des vagues... C'est tellement apaisant. Vous ne trouvez pas ? demanda-t-elle en souriant.
-Si, en effet. J'aime aussi regarder les étoiles. L'immensité du ciel est si belle. Et puis, j'aime imaginer que ma mère fait partie de ces étoiles qui illuminent le ciel et qu'elle veille sur moi, avoua le jeune homme.
-Oh... Votre mère nous a quitté ? souffla-t-elle, posant sa main sur la sienne.
-Elle est morte en me donnant la vie. Une vie contre une autre... Quelle ironie, soupira Alin.
-J'en suis navrée, dit doucement Elina. Je suis certaine qu'elle vous regarde et qu'elle est fière de vous malgré vos agissements récents et qu'elle comprend pourquoi vous le faites, ajouta ensuite la jeune femme, posant sa joue contre son épaule.

Alin ne répondit rien mais il appréciait la douceur d'Elina. Intelligente, compréhensive, douce, d'une bonne famille et fortunée... Une personne qui ferait une bonne femme à avoir à ses côtés, très certainement. Alin se disait d'ailleurs qu'il finirait probablement seul s'il n'arrivait pas à changer l'image qu'il donnait. L'idée le fit soupirer et Elina le remarqua. Elle leva les yeux et elle pu voir le regard triste du jeune lord. Il semblait si seul même lorsqu'il était accompagné. Cela lui faisait de la peine. Elle n'avait pas la sensation qu'il était aussi mauvais que certains le prétendaient. Tous agissaient comme s'ils vivaient dans un monde où personne n'avait jamais commis de tels actes alors que c'était plutôt la norme de punir des rebelles. Peut-être était-ce un peu violent mais au final, il avait fait cessé assez rapidement les révoltes et cela avait évité plus de morts. Chacun avait un point de vue divergeant sur la question et elle le comprenait, surtout ceux impactés en ayant perdu quelqu'un de proche mais elle ne voyait pas Alin comme un monstre. Comme n'importe qui, il avait des défauts et des qualités et elle désirait en découvrir davantage sur le jeune homme. Elina n'était pas le genre à juger un livre à la couverture et au résumé qui lui était fait. Elle préférait se faire sa propre opinion en creusant plus loin.

-Alin ? souffla-t-elle doucement, écartant sa tête de son épaule.
-Oui, Elina ? répondit-il en tournant la tête pour la regarder.
-Ai-je le droit..? l'interrogea-t-elle en venant poser sa main sur sa joue.
-J'espérais que vous alliez me le demander, fit Alin en se penchant vers la jeune femme.

C'était très rapide mais il se sentait bien avec Elina. Il avait envie de la découvrir, d'en apprendre plus sur elle et qu'elle lui dévoile qui elle était. Ses premières impressions étaient vraiment positives même si ils n'avaient pas énormément discuter et pourtant, il s'était déjà ouvert à elle et elle le comprenait. C'est comme si ils se connaissaient déjà et ce depuis longtemps. Ses lèvres se posèrent donc sur celles de la jeune et ils échangèrent un doux baiser. Alin se recula ensuite et il eut un sourire en voyant son beau sourire qui continuait d'illuminer ce beau visage. Elina vint glisser ses doigts entre les siens, serrant doucement sa main en reposant sa tête sur son épaule. Tous deux restèrent là, regardant les étoiles et la mer dans laquelle la lune se reflétait...

The Lost Kingdom [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant