Chapitre 23

5 1 0
                                    


EDGAR — Pomme a son petit programme. C'est-à-dire me forcer à faire le ménage dans mon taudis comme elle l'appelle, car :

« Une maison propre, ça signifie que l'esprit est sain. »

Une maison ? Bref.

Après, j'ai droit à un repas décent, parce que selon elle, j'ai encore maigri. Je crois pas qu'elle me trouve très beau, et, en soi, elle n'a pas vraiment tort. Je suis assez laid dans le genre. Imaginez un clou, rouillé, qui aurait été écrabouillé par une ancre, et ensuite se serait pris quelques coups de meuleuse. Rajoutez à ça une tignasse hirsute sur le haut de la tête. Nan, y a rien qui va, même mon visage a l'air d'être là, sans trop en avoir eu envie.

Ce qui est totalement contradictoire, parce que Pomme, elle, c'est une jolie fille, mis à part quelques séquelles d'une adolescence rebelle sur les joues, et ses cheveux à l'origine noirs comme l'encre, qu'elle teint de manière frénétique en vert, mais sinon, non, y a pas à dire, c'est une jolie fille, avec ses yeux immenses, inquisiteurs, sa bouche charnue, cette anatomie toute en rondeurs, et en plus de ça, elle est très loin d'être stupide, c'est même tout le contraire. J'ai vu des tas de gars et de nanas se casser les dents pour la séduire. Mais, anomalie, ou dimension parallèle, c'est moi qu'elle a choisi.

En vrai, disons la vérité immédiatement, sans analyse approfondie, je pense que je suis une sorte d'épreuve pour Pomme, un truc qu'elle voudrait sauver, sa quête de moralité, son défi qui prouverait que c'est une bonne personne, une personne bien.

C'est sur ces pensées que je souffle, alors qu'elle essaye de me convaincre de sortir, de prendre l'air, de marcher un peu. J'aime sortir, j'aime gambader, j'aime découvrir ce qui se cache dans le monde, là où personne ne va. C'est pas ça le problème. Entraîner Pomme dans mes délires, c'est toujours une plaie. Pourtant, c'est ce qui se passe. Je me décide à me lever, surtout parce qu'elle me fait un sketch pour que je m'habille, car :

« Nan, mais tu peux pas passer ta vie en caleçon !

— Si je pouvais, je sortirais même comme ça. »

Je m'allume une cigarette, et elle bat des mains en se mettant à râler. Ce que je n'écoute pas vraiment :

« Oh, bordel, faut arrêter de fumer dans un espace clos ! Puis, oui, tu t'habilles. Oublie pas qu'il y a la soirée chez Ben ce soir en plus. »

Elle décide que l'on doit prendre sa voiture, parce que je suis défoncé, et que :

« Edgar, tu conduis pas drogué ! C'est interdit ! »

Je sais que généralement je tends plus vers l'idiotie, mais peut-être pas autant. Un jour, elle me dira que le ciel est bleu et que les oiseaux font « piou piou ».

J'ai néanmoins la chance, l'insigne honneur même, de pouvoir choisir où je veux aller, et comme mes dernières recherches m'ont donné de nouveaux lieux à vérifier, j'envoie Pomme en direction d'Allauch.

Elle roule un temps vers Marseille, avant de bifurquer sur la départementale en suivant la Grande Tête Rouge, cette colline acérée qui saigne dans un ciel d'azur. On s'enfonce dans des voies de plus en plus fines, jusqu'à devoir parcourir un chemin de terre.

Forcément, Pomme râle quand sa jolie Mini jaune poussin traverse cette terre faite de bauxite qui teinte sa carrosserie de rouge — la Grande Tête Rouge, c'est pas pour rien qu'on l'appelle comme ça. Ici, le sol crache cette terre particulière, qui sert aux usines d'alumine, et, là où l'on va, c'est une ancienne exploitation, qui permettait avant de récupérer ce précieux minerai que l'on fait maintenant venir d'ailleurs — oui, il faut savoir que l'extraire en France coûte plus cher que de le faire arriver par bateau d'autres pays, ce qui montre bien le manque de sens de certaine chose.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant