Chapitre 2

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Quelques semaines avant, Chez lui

ELISABETH — Je ne suis plus sûre de ce que j'ai pris. J'ai hoché la tête comme une automate et j'ai tout gobé. La soirée s'est contractée sur elle-même. Je crois. Les flashs lumineux restent collés dans mes rétines comme des jets de peinture, et j'ai la sensation de m'être téléportée dans cette chambre, si familière, qui m'apparaît comme étrangère maintenant.

Pourtant, le mouvement de balancier continue. Aller et retour. J'ai dit oui. Le motif carrelé des draps tourne, il me fait penser à des détails de mon tableau en travail. Ma chair souffre, moi, je souffre. Je voudrais m'en foutre. Je n'ai plus si envie, je pense à la toile, au dessin, à ces corrections que je pourrais apporter, à cette beauté que je pourrais lui donner.

J'essaye de fixer un point. J'essaye de me dire que j'ai envie. Pourquoi pas. La faim vient en mangeant que chantent certains. Je choisis un cadre posé sur une commode. Le bois se tord, l'image de la mère et du fils enlacés se défait, devient poreuse avant de disparaître, comme le paysage de mon tableau. Je bascule sur le côté, et ça recommence. Aller et retour. J'imagine les couleurs qu'il lui manque.

« Putain, c'est bon, » qu'il dit.

Le plafonnier en papier signé Ikea s'efface et des lèvres se collent sur les miennes. Ça, c'est douloureux. Leur texture gluante, au goût de beurre, me donne la gerbe, mais aussi, me fait penser à l'huile, l'huile de lin pour peindre. Je ferme les yeux. Je ravale ma bile alors qu'elle pince le bout de mes seins. Aller et retour.

Il continue de me besogner. Je le sens se contracter. Il jouit, et gesticule encore un peu en moi. Il se retire. Mes membranes me brûlent, j'aimerais me recroqueviller sur moi-même. Elle, qui m'embrassait, rit à s'en décrocher la mâchoire :

« Jamais pensé que ça se finirait comme ça. »

C'est elle, elle qui sent ce parfum trop chargé, et lui, qui vient de quitter mon corps. Il se frotte les joues, avant de secouer la tête et de se mettre à masser la vulve de cette fille inconnue, pendant que je reste étalée là, dans ce lit, nue. Elle crie, de plaisir, peut-être, ou elle simule, peu importe, elles croient toutes qu'elles toucheront du bout des doigts le Graal si leur jouissance est la plus évidente, qu'elles le flattent, lui.

Je roule sur le côté pour me dégager d'eux, je n'ai plus envie, je pense à du bleu, un bleu de prusse qui pourrait faire toute la différence sur mon tableau. Je m'efforce de me relever. Le froid des tommettes sous mes pieds ébranle mes chevilles, et je tombe à terre, sur les coudes. Des gloussements déformés m'arrivent en saccades.

J'essaye à nouveau de me mettre debout. J'aimerais aller à l'atelier. Des bras passent sous les miens et me jettent sur le lit. Je tente de toutes mes forces de revenir à moi, de tenir ma conscience pour éviter qu'elle m'échappe, mais le bad trip est trop fort. J'ai peur de m'égarer et de ne plus jamais me retrouver, et je suis comme propulsée dans une des toiles de Cecily Brown, ensevelie sous des corps qui me paraissent si loin, et finalement dégoûtants.

Je le repousse violemment :

« J'ai plus envie putain ! Casse-toi ! »

Il tend les mains en l'air en signe d'apaisement :

« Oh ! D'accord, c'est OK, j'avais pas compris ! »

David grimace, et je quitte la chambre, j'aimerais avoir la force de franchir la porte d'entrée, de rejoindre l'extérieur, de traverser la ville, même pieds nus, et de pouvoir encore me figer devant ma toile, mais finalement, je bifurque et m'étale dans le canapé.

À travers la cloison, j'entends encore les corps se remuer, ça perce ma peau, ça me coupe en deux et me met en miettes, rien n'a plus de sens. Elle crie plus fort et lui glousse comme une poule. Je m'emmitoufle dans le plaid, pliée en quatre, impossible de fermer les yeux, le monde est un immense mixeur qui risque d'exploser et de déverser du vomi partout — je me drogue trop, c'est ce que je me dis à chaque fois. Je me sens plus mal, je me disloque seule, j'ai envie de m'arracher la peau, ici, dans une odeur de sueur rance, la mienne, et je gerbe au pied du canapé.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant