Chapitre 35

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A L'Hôpital, 

EDGAR — Dans les couvertures rêches de l'hôpital, on compte les jours. Tout le monde rentre et sort de cette chambre blanche avec un air désolé, tout le monde vient avec des objets qui n'ont d'intérêt que pour eux, les fleurs mourront, et c'est ma mère qui finira par manger les chocolats en les enfournant tous en même temps dans sa bouche. Parait qu'elle est nerveuse de me voir comme ça, d'ailleurs tous les autres aussi. Moi aussi ça me rend nerveux d'être là, mais ça, tout le monde s'en fiche.

Chaque matin, c'est une nouvelle promesse de sortie, qui s'annule dans la foulée, parce que : « Vous comprenez, vous n'êtes pas en état... » Pourtant à part trois égratignures au menton et le cul râpé, j'ai que dalle. En même temps, la conductrice de la Clio qui m'a fauché a eu de si bons réflexes qu'elle a réussi à bien freiner, et que la bagnole s'est stoppée dans mon bassin, me lançant en arrière comme un chiffon — c'était ridicule. Donc, non, je comprends pas pourquoi j'ai pas le droit de sortir, et je suis persuadé que la daronne et Pomme y sont pour quelque chose.

Moi, je répète que j'ai eu un passage à vide, et que cette voiture, et bien, cette voiture qui m'a percuté, c'est ni sa faute ni la mienne, c'est pas de chance, comme quand un sanglier vient se caler sous votre pneu, personne ne l'avait prévu, et pourtant c'est arrivé, et pourquoi j'étais nu ? C'est interdit d'être nu ?

Après trois jours ici, j'essaye encore de négocier avec Pomme, qui passe la plupart de son temps ici, faut dire qu'elle travaille là aussi. Je suis persuadé que ça doit lui faire plaisir de m'avoir à l'œil comme ça. Par contre, je me demande si elle a un peu honte que ses collègues voient son énergumène de petit copain et lui nettoient ses pansements de la raie du cul. Et moi, surtout, je me fais chier.

Vautré dans mon lit, je lance encore les yeux sur le plafond. Une des plaques manque et je peux voir les câbles électriques serpenter. Je me dis que c'est pas très malin dans un quartier de psychiatrie. Je pourrais avoir envie de me pendre. Je soupire. Je croise les bras, en me tournant vers Pomme qui traîne sur son téléphone, assise sur le fauteuil élimé :

« Je veux sortir. »

Pomme relève son nez, avant de soupirer comme à son habitude :

« C'est trop tôt. »

Ici, je peux que compter les heures. J'ai la télé, bien entendu, mais à la télé, ça fait belle lurette qu'il n'y a plus rien à mater, et elle reprend :

« C'est les anxiolytiques, que tu acceptes de prendre... pour une fois, qui te donnent l'impression que ça va.

— Et ça me rend con aussi. »

Ça m'empêche d'entendre, ça brouille mon cerveau, mais c'est vrai, je respire plus franchement, je pense moins, par contre je suis plus lent. Et ça me déplaît. Cette sensation d'empâtement me bloque, me donne l'impression de plus vraiment être dans mon corps et de laisser chaque chose me couler dessus. Je deviens spectateur de mon propre ennui. Ça me terrifie. Je préfère la souffrance, en étant bien présent, que ça.

Et ça continue ainsi. Chaque jour, c'est le ballet de tout ce beau monde. Ben et Steve viennent tout le temps. Généralement Steve s'assied au bord du lit, et Ben sur le fauteuil comme un pacha, en fichant ses pieds sur mes jambes. Eux, cette situation, ils la prennent avec un brin plus d'humour.

Ben, c'est l'histoire qui lui plaît :

« N'empêche, t'imagines, dans un film... le type qui court à poil et se fait un peu bousculer par une bagnole ? Un truc loufoque à la Trainspotting. »

Steve me pointe du doigt :

« Oh bah, il est pas loin de vraiment faire un remake, hein, Edgarounet. »

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant