Chapitre 14

7 2 0
                                    

Aujourd'hui, Chez son Père,

ELISABETH — En me retournant dans le canapé, à moitié endormie, je me demande si c'est moi qui manque de chance, ou si ce sont les autres qui ne comprennent pas ce que je cherche à faire, ou alors, c'est simplement un manque de talent évident — intimement, je pense que c'est ça. Et puis, j'en viens à me questionner sur moi-même, sur ce que le monde perçoit de moi. Je sais que je suis une anomalie, que je manque d'émotion, que je manque de vie, que je manque de ce que les autres ont, et je me demande pourquoi. À quel moment ça a bugué dans la matrice, pourquoi le code s'est entrechoqué, et a fait de moi cette coquille, trop souvent vide.

Mon épaule se fait contraindre, puis secouer :

« Tu te lèves maintenant ! Tu commences à me faire chier, Elisabeth ! »

Je tire plus le plaid sur ma tête, voir des gens, c'est une purge, surtout le brouhaha de la vie. Je rêve d'une solitude immuable, un écran noir, un vide où je pourrais flotter sans mouvement, aucun, même pas ceux de l'esprit :

« PUTAIN ! ELISABETH ! »

Je repousse les bras qui tentent de me tirer, et je hurle :

« Fous-moi la paix ! Quand c'est toi qui es au 36e dessous, parce qu'aucune de tes foutues gonzesses te supporte, et que tu sais même plus te torcher, t'es bien content que je sois là ! Alors F-I-C-H-E M-O-I L-A P-A-I-X.

— Tu veux jouer à ça, on va jouer à ça, ma grande. »

J'entends ses pas, puis le robinet, et le temps que je comprenne ce que mon père va faire et que je me retourne d'un coup dans le canapé, un froid mordant me prend tout le cou. Il vient sérieusement d'employer ma technique ancestrale pour le sortir du pieu, contre moi. Je bondis hors du canapé en beuglant. Mon père jubile encore son verre à la main, les deux bras croisés :

« Tu crois qu'après ce que t'as fait tu vas pouvoir te la couler douce, ici ? »

Oui, il est au courant de ce que j'ai fait. David l'a même appelé, car il me « cherchait », heureusement le paternel est suffisamment intelligent pour avoir l'habitude, et surtout, il a eu la bonté de l'envoyer sur les roses, avec un petit commentaire plaisant du genre :

« Si tu t'approches d'elle et tu touches un de ses cheveux, c'est ta gueule que j'éclate en plus de ta petite galerie de bobo de merde. »

Ce n'est pas souvent qu'on l'entend parler comme ça le paternel, et la 2501 qui était à côté a pâli. Et oui, bichette, les chiens ne font pas des chats non plus. Mais bon, il ne faut pas voir ça comme de l'amour filial ou quelque autre sentiment incroyable et inouï entre un père et sa fille ; il me défend devant l'adversité, mais à la maison, il me le fait payer :

« Tu trouves des fringues. MAINTENANT. »

Ça fait grosso modo une semaine que je suis ici, et c'est tous les jours comme ça. Je croise les bras devant lui, encore debout sur le canapé :

« Non. T'as pas du boulot ? »

Mon père c'est ce gars qui vend des formations sur internet en baratinant tous ceux qu'il croise. La formation qu'il vend ? C'est un programme de fitness piqué à un autre « formateur » trouvé aux États-Unis, histoire de brouiller les pistes. Il se fait un peu de blé, c'est pas faux, et c'est même drôle pour celui qui va bientôt accoucher d'un tonneau de bière s'il continue à végéter au bar avec ses super copains.

Il retourne à l'évier et remplit son verre, avant de revenir me menacer avec :

« Si tu te bouges pas, je te jure, je finis par te coller dans la douche de force. »

Je souris un peu narquoise :

« Non. »

Il frappe du pied sur le sol, là, il est en pétard :

« J'TE JURE ELISABETH ! JOUE PAS À ÇA AVEC MOI ! — il se tourne et souffle un coup, avant de revenir vers moi. — T'AS QUEL ÂGE ? RAPPELE-LE MOI. — il attend une réponse, je souris. — 23 ANS ! ET... »

Je le coupe :

« 24 ans.

— OH BAH OH ! C'est pareil !

— Pas tout à fait. »

Il m'expédie son verre d'eau à la figure. Je hurle aigu, en me tendant comme un ressort, et sans faire gaffe, je recule et me prends les pieds dans le dossier du canapé. Je fais un vol plané et m'éclate sur le cul. Je gueule encore un bon coup :

« TU FAIS CHIER !

— HABILLE-TOI !

— ET POURQUOI ! »

Il retourne à l'évier, remplit de nouveau son verre, en criant à son tour :

« Ça fait une semaine que t'es là ! ET T'EN FOUS PAS UNE ! TU TE LÈVES À 17 HEURES ET TU BOUFFES TOUT ! »

Il s'approche armé de son verre, je mugis :

« ET ALORS ?

— TU VAS PARTICIPER, HEIN ! »

Je recroise les bras, et épelle :

« N. O. N. VEND DES FORMATIONS BIDONS PLUTÔT !

— TU TE VENGES, HEIN !

— O.U.I. »

Le verre repart en avant, et je me reprends une douche. Je gesticule dans tous les sens en piquant une crise de nerf à brailler comme un putois, et il frappe sur son front, en lâchant un long râle, avant de planter son regard dans le mien, alors que je grelotte, complètement trempée :

« Ok, t'as raison, je vais appeler ta mère alors. »

Je me redresse d'un bond, les yeux ronds :

« Je te jure Elisabeth, je le fais, et sans pitié. »

Je hoche la tête par la négative, et il reprend :

« Et même que je lui raconte, tout. »

Je reste totalement muette, il continue :

« Tu crois qu'elle mettrait combien de temps pour venir ? Je suis sûr que les trois heures de route, elle les fait en une. »

J'attrape des vêtements et me rue dans la salle de bain.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant