Chapitre 10

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A la Gendarmerie,

EDGAR — Je renifle sombrement, le sang agglutiné dans mon nez remonte, j'avale de travers, tout ce jus ferreux m'arrache les poumons, et je me mets à tousser comme un cancéreux, au point d'en foutre partout. Mais ça le démotive pas, ça, Gérard, qui est en train de me faire sa leçon habituelle dans son éternel bureau en pagaille :

« Nan, mais y en a ras le cul là ! Tu m'emmerdes. Mais tu voulais piquer quoi en plus ! »

Je relève le visage, en essayant de pas fixer l'éclat dans le verre droit de mes lunettes, et j'inspire dans un son humide, gonfle mes joues, imite des bruits de pets avant de souffler résigné :

« Ch'sais pas, l'autoradio. »

Planqué derrière son bureau low cost, avec sa pelletée de dossiers d'autres cassos comme moi, il me lance ce regard, celui qui veut tout dire : t'es vraiment un abruti. Et il frappe des deux mains sur le bois écorché.

« PUTAIN ! MAIS ! T'aurais gagné quoi avec ça? Hein ? Vingt balles ! »

Je grimace en observant mes genoux :

« Peut-être un peu plus. »

Il presse son index et son pouce sur ses paupières closes :

« Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse pour toi, si tu raisonnes comme ça... »

« Pas grand-chose. »

J'en ai ras le cul, ras le cul de voir la tronche de Gérard gonflée et rouge, son polo bleu ciel ultra délavé estampillé gendarmerie, ses locaux défoncés, souffler dans les éthylotests au goût de plastique, et me faire gratter le fond de la gorge avec des cotons de tiges, j'en ai marre de finir ici, et de me frapper des gardes à vue qui finissent par me faire voir en noir et blanc et entendre en écho. Il soupire, la paperasse ondule, les feuilles sifflotent :

« Et tu peux me dire quoi sur la cocaïne, et le cannabis ? »

Je me redresse d'un coup :

« J'avais rien de tout ça sur moi ! »

« Nan, mais je sais. Je sais. Mais toutes tes analyses clignotent, c'est pire qu'un feu d'artifice là — il s'approche du bureau, et me fait signe de faire de même — Edgar... tes putains d'addictions, c'est ça ton problème. Tu le sais. »

Je ferme les yeux, je gesticule sur ma chaise en serrant la mâchoire, avant de demander :

« J'peux avoir une clope ? »

Il tape du poing sur le bureau, l'angle d'attaque du son me fait sauter sur ma chaise, il siffle entre ses dents :

« Edgar, j'ai besoin que tu comprennes... tout ça, ça va t'avaler. »

Je secoue la tête par la négative :

« Nan, j'vais m'en sortir... juste me faut du temps, plus que les autres, c'est tout. »

Une veine danse sur son front, pendant que son nez en forme de patate gigote, au cas où, si on n'avait pas compris qu'il était pas forcément d'accord :

« Pas comme ça. »

« Et comment alors ! — Je lèche ma lèvre supérieure, sèche comme du pain, avant de me laisser retomber dans ma chaise — Moi je veux une clope. »

Il me pointe du doigt :

« En acceptant de te faire aider, putain ! Je vais pas te lâcher Edgar. Regarde-moi bien. Je vais pas te lâcher. »

Tout le monde dit ça. Personne veut plus me lâcher depuis bien trop longtemps, et c'est bien ça le problème finalement.

Un grincement coupe court à la moralisation, et une tête d'œuf passe dans l'entrebâillement de la porte et demande :

« Il est où le grand génie ? »

Gérard me montre du doigt, et l'autre, Fabrice, glousse, en frottant sa barbe poivre et sel. Je lui fais un coucou du menton :

« Tu vas jamais cesser de nous faire marrer toi, hein ! »

Je garde la face, même si tout ça me rappelle que je suis l'étron de l'humanité, un paria, et j'aimerais hurler haut et fort que j'emmerde cette bande de mous du genou, mais je souris seulement comme le guignol que je suis.

Fabrice repart bien vite, pendant que Gérard frotte sa face avec ses paluches charnues avant de remettre en arrière ses rares cheveux mal peignés.

« Bon, on reprend... »

Je hoche la tête, sage, même, angélique. Gérard, je lui mens pas, de toute façon, il sait toujours d'avance ce que j'ai bien pu imaginer, ou voulu faire, c'est comme s'il le sentait sur ma peau, ou qu'il le lisait sur mon front. J'ai jamais aimé qu'il note tous les détails de mes choix dans ses dossiers. Je me sens pisté et pris au piège, mais c'est le jeu quand on joue au con. De toute façon, Gérard, depuis le début, il sait tout de moi, c'est ça le lien entre nous.

Quand il a fini ses questions, il tape frénétiquement sur son clavier, ceux avec des grosses touches, ancestrales. Je reste muet, et m'égare. Le paysage au travers de la fenêtre comporte quelques maisons aux toits rouges, qui semblent être des mirages sous ce soleil du matin. Elles sont pas très jolies ces maisons, et, en plus, elles ont l'air de vaciller, ou alors c'est le manque qui me provoque cet effet instable, ou alors un tremblement de terre, et ça me fait soudainement flipper, je me recroqueville sur ma chaise, je me dis toujours que mourir, ça peut être maintenant.

Un objet frappe mon front. Mon paquet de roulé me tombe entre les cuisses. L'idée du tabac me rassure, et Gérard me lance le briquet à la tronche. Il finit toujours par être sympa Gérard, il finit toujours par jouer son rôle face à la brebis galeuse à la patte brisée.

Je m'allume une cigarette, mes muscles se détendent, et je cendre dans l'éternel gobelet sorti d'un distributeur, quand la fraise touche l'eau, il y a ce beau crépitement. Pendant que Gérard continue de tapoter sur son clavier, en soupirant toutes les six secondes — c'est qu'il en a des choses à dire sur moi. Je ferme les paupières, la touche espace résonne plus que les autres, c'est que le pouce est plus puissant.

Gérard me sort de mes rêveries en baragouinant :

« Bon, tu vas passer en comparution immédiate, bref, je vais pas t'expliquer, tu connais. »

Je le fixe, déjà résigné. Je sais ce que ça veut dire : tribunal correctionnel direct, sans fioriture ni rien, à sec, avec peut-être un peu de gravier pour faire passer le tout.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant