Chapitre 43

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(TW : Mention de viol, Inceste, Maltraitance Animal.)

Il y a Longtemps, Dans le Garage,

 — Papy dit toujours deux trucs :

« Il y a des choses qu'il faut faire et supporter. »

Et :

« Si tu ouvres ta gueule, je te tue. »

Moi, je sais pas trop ce que c'est la mort. Mais Papy a décidé de me montrer. Il est venu me chercher dans mon endroit, et quand j'en sors, il secoue devant moi le chat des voisins qu'il tient par le cou. Il me fait signe de le suivre, et on rejoint le garage. Le chat est docile, il vient souvent en vrai, mais jamais quand Papy est là. Sauf que cette fois. Il s'appelle Pompom, parce qu'il ressemble à ces boules qu'il y a sur les bonnets. Il est tout noir, avec des yeux jaunes. Mamie dit que c'est un chat de sorcière, et qu'il faut s'en méfier. Alors moi, je lui fais des caresses de temps en temps, parce qu'être ami avec une sorcière, c'est quand même mieux que d'être ennemi. Le soir, d'ailleurs, j'entends souvent la sorcière crier son nom pour qu'il revienne, et elle a absolument pas une voix méchante, mais plutôt d'enfant, comme moi, claire et mélodieuse.

Dans le garage, je me place à côté de Papy, et il pose Pompom sur l'établi poussiéreux. Faut dire qu'il y travaille pas souvent dans le garage, il est plutôt occupé à traîner dans son fauteuil en regardant les infos. Papy adore les infos, il dit que le monde part en couille et qu'il faut toujours vérifier que les Russes fassent pas des folies avec des bombes nucléaires.

Le chat, lui, ronronne en se frottant à Papy, et je veux tendre la main pour le caresser, mais Papy me décoche une tape sur le poignet pour m'en empêcher. Il attrape ensuite le cou du chat et le plaque contre le bois. Je sens la panique qui monte, et je dis bredouillant :

« Il est gentil Pompom, c'est pas vraiment un chat de sorcière. »

Mais en vrai, je connais mon Papy, et je peux que ravaler ma salive, alors qu'il lève le poing en l'air, pour asséner un grand coup sur la tête du chat. Un craquement sourd résonne, et moi, je hurle. Je tombe au sol, assis, et Papy crie sur moi que je suis un trouillard avant de me jeter Pompom dans les bras. Lui, il a la tête toute plate, du sang perle sur ses poils, ses yeux sont tout gonflés, et je le garde entre mes mains en me balançant en avant. Papy secoue son index devant moi, et j'essaye de pas pleurer, parce que je veux pas qu'il écrase ma tête aussi :

« Tu vois ça ? Ça, c'est quand t'es mort. Et tu sais où il va aller maintenant ? En enfer. Et tu sais ce qu'on te fait en enfer ? On t'arrache la peau, et on verse du sel sur toi après, tous les jours. »

Je comprends pas tout de suite ce qu'il dit, y a trop de bruit dans ma tête, et de fracas, et des images, des tas d'images. Papy dit que je suis incapable, et m'arrache des bras le chat, avant de le jeter dans la poubelle et de me soulever pour me remettre dans mon endroit.

Ce que j'ai pas compris à ce moment-là, ça vient plus tard. Quand je repense à la tête toute plate du chat. Je suis triste pour lui de savoir qu'après la mort, c'est pas comme quand on dort, mais qu'il y a encore pire que de vivre. J'arrête pas d'imaginer Pompom se faire arracher la peau, et salé comme un rôti, il hurle, et ça me terrorise.

Mais ce que je capte aussi, c'est que moi aussi, je pourrais y aller, en enfer. Alors, quand Papy dit :
« Il y a des choses qu'il faut faire et supporter. »

Je les fais et les supporte, et quand il me met dans le lit avec lui, je bouge plus, ni geins, je supporte. D'autant plus, qu'avec le temps, j'apprends que moins je remue, plus ça ira vite. Il faut que je me concentre très fort, que je ferme les yeux, et que j'attende, même avec la douleur.

Depuis toujours, j'ai mal pour plein de choses, mais cette douleur-là, en particulier, a un truc en plus que les autres. Elle casse pas seulement ma peau, mes muscles et mes os. Elle casse tout en dedans de moi, comme si c'était un boulet de canon qui roulait partout et écrasait, écrasait, écrasait encore.

Parfois, Papy fait vite, et il pleure assis dans un coin. Dans ces cas-là, il me fait de la peine, et je caresse sa tête sans rien dire. Parfois, ça dure longtemps, et il joue avec moi comme un pantin, et là, j'ai plus envie de quoi que ce soit ensuite, je me sens juste dégoûtant, alors qu'il répète que c'est normal. Et parfois, c'est entre les deux, et je finis par m'en prendre une, sans raison aucune, mais je bronche pas, sinon, il pourrait prendre son poing et écraser ma tête.

Dans tout ça, rien n'a de sens. Mais c'est mon Papy, et lui, il connaît les choses, et la vie, et c'est sûrement comme ça que ça doit être, sinon on finit comme Pompom.

Mais chaque jour, quand je me réveille, le visage endolori, et du mal à bouger les membres, je sens que rien n'est vraiment réel. Quand ma chair me brûle au plus profond de moi, que j'ai du sang dans mon slip, je me dis qu'un truc va pas, que quelque chose est cassé, tordu, et que tout ça pousse de travers.

Un jour, je le dis même à Mamie :

« C'est normal que ce soit comme ça ? »

Mais elle met seulement sa main sur ma bouche en secouant la tête, avant de quitter la pièce.

Sa réaction, ça m'a donné l'impression d'être tout seul. Et, quand je suis dans le placard, ici, j'ai le temps de penser, mais plus je pense, plus j'ai mal à la tête, plus tout ce que je crois savoir s'effondre comme un château de cartes. Je vois les choses se mettre à trembler, les sons devenir omniprésents, je me bouche les oreilles, très fort, mais ça suffit pas, je sens que quelque chose bascule en moi, et j'ai du mal à comprendre ce que je ressens pour Papy et Mamie.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant