Chapitre 33

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Aujourd'hui, Dans sa Caravane, 

EDGAR — J'ai réussi à rentrer chez moi, j'ai cru mourir dix fois sur la route, comme si je portais une croix sur mes épaules.

Une fois dans ma caravane, je m'emmitoufle dans mon lit tout habillé. Je me tourne dans tous les sens, et je finis par me découvrir à cause de la chaleur. Quand je commence enfin à somnoler, les images devant moi bougent trop vite, et mon corps tout entier chute, j'ai rien pour me rattraper. Une voix grave perce l'air :

« Alors on va faire un jeu ? Tu veux ? »

Je me redresse instantanément dans le lit, puis me lève. Debout, je sens qu'en moi, le vide a remplacé mes organes, et j'arrive pas à combler ça, j'ai rien en réserve. J'essaye de me concentrer sur autre chose, et je sors le carnet de ma poche. Je le feuillette assis à table. Je prends le temps, j'analyse à nouveau les anciens croquis, je touche du bout des doigts les lignes dans l'espoir que ce simple geste pulvérisera ce qui est nauséabond en moi, et j'arrive aux derniers mots que j'ai griffonnés la dernière fois. En dessous, au stylo vert, une réponse est couchée :

« Les gens pensent. J'aimerais le croire. Cet Univers est teinté d'égoïsme. Les Hommes. Toutes leurs voix se mélangent, différentes, mais, pourtant, à l'unisson, ça crée le timbre unique de notre humanité. C'est un navire, qui fonce droit vers un hasard, que tous font mine de connaître. Personne ne veut de l'inconnu et du marginal. Tout le monde veut palper, palper l'air, l'eau, le ciel, et le mettre dans sa poche. Moi, j'irai dans la poche de personne. Et toi. Je sais pas qui t'es, mais si je te trouve, je t'arracherai la peau, je tirerai sur chacune de tes veines pour les enrouler autour de mes doigts, et finirai par percer tes organes avec mon crayon. »

Plus bas, une autre réponse. L'écriture est encore plus précipitée :

« Bien sûr que des idées j'en ai, des tas mêmes, c'est juste qu'il n'y a personne pour les capter, ces putains d'idées. Personne pour me laisser le temps de les accomplir. Personne pour me voir. Les grands ateliers et la gloire, c'est pour les idéalistes, et les idéalistes sont vraiment des connards finis qui devraient pourrir sans laisser de trace. Comme toi. »

Je comprends même pas pourquoi elle a répondu, et j'ai la mâchoire serrée en imaginant la haine qu'elle cultive pour moi. Mais est-ce qu'elle a tort ? Oui, je devrais pourrir, m'enfoncer dans la terre, me laisser grignoter et ne plus jamais ouvrir les paupières. Ce qui était censé me rassurer me plonge encore plus profondément dans le mal-être.

Je tourne la page. S'ensuivent des ébauches de tableaux colorés avec une poudre pâteuse, et au milieu de tous ces dessins qui ont étrangement changé de force, qui sont plus incisifs et acérés, j'y trouve un nouveau portrait. J'approche mon nez du dessin, fin à souhait. Je penche la tête sur le côté. J'ai du mal à me reconnaître, là, le visage baissé, sur ma bière, dans un coin du bar, mes traits sont crispés, mais j'ai l'impression que mon museau prend moins de place sur ma gueule. Je me mets à toucher celui-ci, à suivre ses contours, j'essaye de comprendre ce qu'elle a vu, je sens mes muscles se raidir. La note en dessous finit de m'achever :

« Quand un homme est presque mort. »

Voilà ce qu'elle voit, et ce que tout le monde voit, et ce que je suis.

J'attrape un stylo et commence à gratter frénétiquement des mots, jusqu'à percer le papier.

Je lève les mains en l'air, paniqué d'avoir abîmé le carnet. Je tente de lisser la feuille, de réparer mon erreur, je finis par y mettre un bout de scotch, et m'éloigne. Je laisse le carnet ouvert sur la table, cet objet se met à m'effrayer. Les poings serrés, j'essaye de balayer tout ce mal qui s'agglutine devant moi, mais chaque petit son est maintenant amplifié, comme des acouphènes subites, et j'en viens à débrancher ce frigo de merde. Rien à foutre de mon jambon et de ma crème. Tout ce qu'il faut, c'est que je contienne ma mâchoire qui me fait un mal de chien, chacun de ces putains de trous dans mes gencives se creuse plus profondément, et à ce moment précis, j'ai l'impression que c'est mes os qui s'ouvrent.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant