Chapitre 54

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EDGAR — Quand j'arrive sur la terrasse avec l'odeur rance d'un barbecue sur la fin, je me heurte à un attroupement et me hisse sur la pointe des pieds pour mieux voir. Un homme, retenu par d'autres, lance des injures en beuglant comme un poissonnier, le visage barbouillé de haine. En face, Michel et Claude contiennent Thomas chancelant à bout de bras, tandis que sa fille, devant lui, lui ordonne d'arrêter.

L'espace s'est transformé en ring de boxe à mains nues. Les deux adversaires continuent de se tendre l'un vers l'autre comme des ressorts, et sous les quelques lampions de la toiture, leurs ombres sont effrayantes et démesurées. Une femme que je n'avais pas vue jusque-là s'accroche au cou de l'inconnu, et lui, il la repousse violemment, au point qu'elle tombe à genoux, dans un son mat, en pleurant et geignant, la tête entre les mains. J'aperçois Ben derrière son père, et je me faufile entre tous les assoiffés d'action qui fixent la scène.

Thomas, instable sur ses appuis, le nez froissé, braille une nouvelle salve, mais en direction de la femme :
« Assume, putain de merde ! ASSUME ! »

L'autre homme, les joues gonflées de larmes, finit par se recroqueviller sur lui-même, avant de lâcher un râle rauque. Il est traîné plus loin par d'autres. Le cortège macabre est suivi par la femme qui tente de s'accrocher à lui par tous les moyens. Ses pieds qui raclent le béton provoquent des tremblements d'effroi dans ma colonne.

Elisabeth, le front luisant, secoue son père par les épaules et gueule à s'en léser les cordes vocales :
« Mais t'es con ou quoi ! »
Mimi commente derrière en remuant la tête :
« Un sacré gros con, ouais ! »
Thomas repousse violemment tous ceux qui le tiennent :
« Allez tous vous faire foutre ! »

Soudain, le père, si différent de la fille en temps normal, lui ressemble finalement bien trop.

Elisabeth répond sèchement en lui attrapant le coude :
« Ouais, c'est ça. On rentre. »
Et j'ai mal pour elle, de la voir là, debout, devant tout le monde, avec une ombre de père à traîner. Thomas titube, mais se laisse bousculer par sa gosse, et les deux disparaissent dans la nuit. J'entends encore la voix d'Elisabeth qui dégomme son daron comme le pire des gamins, puis ça aussi, ça s'étouffe, broyé par l'obscurité.

Ben et Pomme, surexcités, me rejoignent, et Ben commente en me donnant un coup dans le bras :
« T'as loupé quelque chose là.
— J'ai loupé quoi ? Deux ivrognes qui se mettent sur la gueule ?
— Non, même pas. Mais le père d'Elisabeth qui croit que se foutre debout sur une table et déclarer son amour à la nana d'un autre c'est une bonne idée.
— T'es sérieux ?
— Ah, je te jure. Vrai de vrai. J'aurais dû filmer, j'aurais fait des millions de vues avec ça. Mais quelle pute cette gonzesse. »
Pomme le frappe à l'arrière du crâne :
« Dis, le gars qui a trompé Audrey. Tu sais pas ce qui se passait dans leur couple, sois pas ingrat. »
Ben se met à faire des grimaces à Pomme, et elle balaie tout ça des mains en venant se coller à moi, avant de chuchoter à mon oreille :
« On rentre ? »

Tout ça, plus ma bourde, ça me plie le ventre en deux, et j'ai du mal à avaler ma salive sans avoir l'impression d'étouffer, alors j'accepte à reculons de rentrer avec Pomme, à condition que ce soit chez moi.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant