Chapitre 56

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Il y a Longtemps, Dans le Placard,

— Parfois, dans ma tête, ça grésille trop. D'un coup, tous les sons deviennent insupportables, ils se mélangent, et la voix qui fait ma pensée, au lieu de parler, se met à crier. Plus le temps défile, plus je grandis, plus ces hurlements reviennent souvent, jusqu'à ne plus jamais repartir. Mais le pire, c'est qu'ils disent des choses que je veux pas entendre, sans jamais cesser, et ça fait jaillir de la haine par tous les endroits de ma peau. Ça s'arrête jamais, surtout pas quand je regarde mon ventre décharné, mes côtes acérées, et tous ces points rouges, qui s'accumulent, de plus en plus, toujours de plus en plus.

En vrai, maintenant, c'est tout mon moi qui se casse la gueule, comme dans ces émissions où ils font exploser des anciens bâtiments, et ce moi en morceaux, brisé sur le pas du placard, déborde de colère. Elle finit par se marquer sur mon visage, surtout face à cet Homme.

Aujourd'hui, j'ai réussi à voler un couteau dans le tiroir de la cuisine et je le brandis vers lui. Papy gonfle le torse, tellement que des poils roux sortent entre deux boutons de sa chemise à carreaux. Il se met à gueuler avec sa voix rauque, qui pourrait décrocher les photos de famille clouées au mur :

« Tu vas faire quoi, hein ? »

Papy a l'air de grandir, il me dépasse de dix têtes, ses dents sont plus acérées, et sa face plus monstrueuse. À ce moment-là, il ressemble plus à un homme. Non, on dirait un mutant. Mamie, derrière, elle hurle, et son cri strident pourrait briser toute la vaisselle de cette cuisine qui devient plus petite, plus resserrée, un cloître où il est presque impossible d'avaler une goulée d'air.

Moi, je tremble, je tremble tellement, que Papy réussit à attraper le couteau, en se tranchant la main. Il le jette par terre, et déjà je recule en cachant mon visage. Mais la droite, je la prends quand même. Je m'envole et m'étale contre la table en chêne qui part avec moi. Couché au sol, la botte de Papy approche bien trop vite, et le premier coup, je le reçois en plein dans la mâchoire, ainsi que tous les suivants. J'aurais dû le poignarder. Mais j'ai même pas eu le courage, et maintenant, j'ai encore que de la douleur, une douleur immonde qui inonde mon crâne à grandes vagues. J'essaie de brailler, mais c'est seulement un glougloutement affreux qui sort de ma gorge, couvert par un cri de Mamie :

« Tu vas le tuer ! »

Il répond en lançant à nouveau son pied :

« ET ALORS ! »

Il est en colère, en colère contre moi. Et là, contre la table, je deviens minuscule. En fait, je me sens comme un meuble, un meuble à qui l'on peut casser un pied, arracher une poignée, gratter, poncer, modifier, sans que personne n'ait envie de garder ou de protéger ce meuble. Tout le monde s'en fiche d'un tas de chair enfermé dans une boîte.

Quand les coups cessent enfin, je reste sans bouger, tout ce que je vois devant moi, c'est les enfers, et ceux-ci sont comme il l'a décrit, pleins de souffrance et de chaos. Mes paupières papillonnent, et je vois qu'un mur rouge à l'horizon, avec, derrière, Mamie à genoux, accrochée à la ceinture de Papy :

« Faut l'amener à l'hôpital ! »

Comme toutes ces fois où il m'a cassé, il marmonne sombrement :

« Ça ira, c'est trop risqué. »

La souffrance fait que grandir, chaque centimètre de ma mâchoire craque et continue de s'effondrer. Je me dis que je voudrais bien mourir, mais ça serait peut-être pire. Et de toute façon, comment on fait pour se tuer soi-même ? Si je dois crever, c'est Papy qui en sera responsable. J'ai même pas la force de pleurer, même ça, c'est douloureux. Là, tout ce que je peux faire, c'est penser à maman, même si je sais qu'elle viendra pas.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant