Chapitre 57

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Aujourd'hui, Chez Son Père,

ELISABETH — Je crois que je dors mieux dans mon atelier. Je regrette même mon matelas gonflable en tentant de décoller ma peau de ce canapé. Quand je me lève, les bras ankylosés et les genoux soudés, je traîne la patte en direction de la chambre, tout en essayant de délier mes épaules.

J'ouvre doucement la porte. La pièce est plongée dans la pénombre à cause des volets clos, et une odeur acide flotte dans l'air. Dans l'ombre, je distingue mon père allongé sur la couverture. Je m'approche à pas feutrés et remarque une substance brunâtre étalée sur son coussin, engluant la moitié de son visage. Je soupire en me grattant la tête, puis lui envoie un coup dans l'épaule. Il lâche un ronflement gras, avant de baragouiner des mots dans une langue inconnue. Je le tire de toutes mes forces pour le tourner et peste en même temps :

« Faut arrêter de faire ça, hein !
— M'en fiche.
— Tu vas t'étouffer dans ton vomi à force de t'abonner au coma éthylique.
— M'en fiche. »

Mon père, cet éternel adolescent de quinze ans. Ça fait maintenant une semaine depuis son exploit au ranch qu'il est dans cet état catatonique, et je sais pertinemment que ce n'est que le début. Parfois, ça dure des mois entiers, parfois même des années. C'est un peu la roulette russe du mélodrame avec lui. À vrai dire, on finit par s'y habituer. Par contre, plus jeune, je ne ressentais pas les choses de la même façon, peut-être parce que c'est plus terrifiant de devoir gérer un gosse adulte quand on est soi-même un gosse.

J'arrive finalement à le lever et le traîne littéralement dans la salle de bain. Là, je le déshabille, et il se laisse tomber, nu comme un ver, dans la baignoire. Je prends le temps de le laver, de frotter chaque parcelle de son corps, entre deux sanglots de sa part, pour éliminer toute trace de vomi. Dans ces moments-là, sous l'eau qui coule dans son dos, il paraît pathétique. Il est pathétique. Sa peau est abîmée, pâle, presque invisible, des poils anarchiques lui poussent à des endroits insoupçonnés, ses muscles sont inexistants, et son bide à bière est effrayant. Il me dégoûte, en quelque sorte. Mais je le fais tout de même, qui le ferait sinon ?

Après l'avoir rincé, je le force à se relever, lui jette une serviette sur les épaules, et comme il reste inerte, je l'essuie moi-même avant de partir lui chercher des fringues propres. Quand je retourne dans la salle de bain, il est de nouveau vautré au sol, la tête dans le vide, au milieu de ses anciens vêtements pleins de vomi, et je dois l'obliger à se remettre sur ses pieds pour le rhabiller. Je m'attelle ensuite à lui brosser les dents, puis le fais rejoindre la cuisine et l'aide à s'asseoir sur une des chaises du séjour. Ensuite, je lui fais un café. Il soupire devant sa tasse fumante avant de s'effondrer par terre dans un son mat.

Je gonfle les joues, le nez dans ma canette de Coca, je ferme à demi les yeux en grommelant, pourtant je ne désespère pas encore. Je me lève, lasse, pour me mettre devant lui :
« C'est toujours comme ça... »
Il baragouine, le nez enfoncé dans la poussière :
« M'en fiche. »
Je me frotte le visage avant de me mettre à le tirer par les bras, et bon dieu, ce qu'il est lourd :
« Va au moins dans le canapé ! »
Il geint, mais se laisse faire. Je n'arrive pas à le hisser sur le canapé, et j'abandonne là.
« T'es vraiment chiant, sérieux. C'est pour combien de temps cette fois ?
— Une éternité. Des éternités. Je souffre — des gargouillis horribles sortent de sa bouche — je souffre.
— Tout le monde l'a compris, mais tout le monde s'en remet.
— Non — il se roule en boule sur lui-même — non. »
Je lui envoie un coup de pied dans le tibia, et il roule de l'autre côté :
« T'as pas de cœur... t'as jamais eu de cœur... t'es comme ta mère... et toutes les autres. »

Je me renfrogne, les mains sur les hanches. Je ne dis rien, mais j'en pense pas moins. J'ai peut-être pas de cœur, mais au moins, moi, je suis encore là, je suis toujours là, j'ai toujours été là, même si je me demande pourquoi. Ce vieux débris n'en a jamais rien eu à faire de moi. Et pourtant, je continue, je continue parce que c'est mon père. Et qu'apparemment, c'est comme ça que les choses fonctionnent.

Du coup, je lâche pas mon bout de gras, bien que je croie que se battre contre ça, c'est comme se mettre en froid avec la faucheuse, ça ne sert à rien. Je retourne à la cuisine. Celle-ci subit la fin de la belle époque, des assiettes pleines de bouffe, garnies de mouches, traînent sur toutes les surfaces et s'accumulent sur la table ainsi que des verres avec des îlots de matière verdâtre. D'ailleurs, saviez-vous que le café finissait aussi par moisir ?

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant