Chapitre 81

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EDGAR — Une fois dans le village, sur un des parkings excentrés près de la place principale, on se retrouve tous les deux devant le capot de sa caisse, essoufflés. Elle gratte le sol de la pointe des drôles de savates qu'elle porte, et je pince les lèvres. J'aimerais lui demander quelque chose, mais d'un côté, je n'ai jamais eu le courage pour ce genre de choses. J'essaye de me motiver, mais c'est elle qui parle en premier :

— C'était chouette... finalement.

Je réponds :

— Un peu mal parti au début.

Elle acquiesce :

— Oui... c'est vrai. — Elle relève le visage et s'approche en me toisant bien dans les yeux. J'ai envie de détourner le regard. — Je n'ai plus vraiment de chez moi, je peux venir chez toi ?

Je reste bouche bée avant d'hocher la tête.

Tous les deux dans sa voiture, c'est sans un mot. Elle conduit tranquillement, et j'ai le cœur qui fait des vagues. Je tourne la situation dans tous les sens en me demandant ce que je dois foutre une fois dans la même pièce avec elle. J'imagine ces choses obscures.
Même si elle, en vrai, elle a uniquement besoin d'un toit, c'est tout. Non, ce n'est pas de moi qu'elle a besoin. Une nana comme ça, ça n'a besoin de personne, ça doit seulement tenir son cap. C'est moi qui me monte des bateaux, des tonnes de bateaux, et c'est chétif que je sors de sa voiture arrivé chez moi.

La porte de la caravane est encore ouverte, et ce qui me reste comme souvenir de ce début de journée me file la nausée. En vrai, elle aurait dû fuir.

Une fois à l'intérieur, je lui sers un café, avec du lait et du sucre, comme un gentilhomme galant, dans la plus jolie tasse que j'ai. Un cadeau de ma mère, donc multicolore. Je m'imagine naïvement que ça devrait lui plaire, mais vu son rictus amusé, j'en doute.

Elisabeth tourne la cuillère dans son café, lentement, chaque cercle qu'elle effectue est parfait, et ça me trouble. Je me concentre sur mes mains, je les sens un peu difformes, et j'ai du mal à respirer, alors je lui demande en me relevant de ma chaise :

— Tu veux taper ?

Elle lève les yeux :

— Pourquoi pas.

Heureusement que Steve m'en a filé hier, et je sors ce qu'il me reste de cocaïne. C'est suffisant pour deux lignes, et c'est un peu triste. Tout consommateur le sait, si t'en sniffe une, t'en voudras bien deux et trois ensuite. Faut que ça dure, sinon, t'as pas vraiment le temps de prendre ton pied. Mais bon, c'est toujours mieux que rien, vous me direz.
Je façonne nos deux sucreries à la perfection, et on se les fait immédiatement, sans trop se poser la question que c'est tout ce qu'on aura à se fourrer dans le nez. Elle, quand elle tape, elle fait ça avec une douceur surnaturelle, comme si c'était normal de se camer la tronche, comme si elle buvait son café ou mangeait un gâteau. Et cette impression, ça me dédouane même un peu.

La montée prend vite, avec un estomac vide, et j'envisage de mettre de la musique, mais elle m'attrape le téléphone des mains et lance une playlist de Vitalic. C'est électrique, et ça me fait ressentir la moelle de mes os. Elisabeth retire ses savates et sautille pieds nus au centre de la pièce, en prenant soin d'éviter de piétiner mes fringues qui traînent partout. Elle tournoie sur elle-même, je la sens kiffer son trip, se laisser porter par la vague sans se soucier, et je la rejoins. Je prends des G dans la tronche, je suis en plein dans le cosmos et je gigote à côté d'elle. Puis, autant de joie, y en a pas souvent ici, alors faut en profiter.

Je ne sais pas trop ce que je fais comme mouvement, mais en vrai, je m'en fiche. Ce que je veux, c'est sentir mon corps, et un peu du sien quand elle s'effondre contre moi en déconnant. Moi, je murmure un peu idiot et suffoquant à son oreille :

— Tu danses trop bien. T'es jolie comme ça.

Mes compliments ce soir, c'est au ras des pâquerettes. Mais je crois que ça lui plaît, quand elle me laisse voir ses canines aiguisées dans des rires éclatants.

En batifolant comme ça, j'avoue que je reste troublé. Je suis sur une réserve, j'ai peur de trop l'effleurer, alors que j'aimerais que ce soit comme avant, dans cette salle de bain, où le mur de la pudeur avait cédé. Mes yeux sont attirés par sa bouche, je rêve de sentir encore une fois sa langue sucrée rouler sur la mienne. Franchement, je voudrais, je désirais, avoir de nouveau le plein contrôle de mes mains, et au moins réussir à les poser sur ses épaules, au moins ça, et même ça, j'y arrive pas.

Sauf qu'Elisabeth, elle a l'œil trop aiguisé, elle sait ce qui se passe en moi, et elle retire son tee-shirt sans prévenir. Je reste hébété un instant en la voyant continuer d'onduler, la poitrine nue qui flotte dans l'air, et me fait battre les tempes et pas que.
En vrai, c'est comme un doux rêve qui se produit dans la réalité, ça n'a pas de sens, ce n'est pas « normal », mais c'est en train de se réaliser. Et en plus, elle se cale contre moi, elle saisit mes mains, et les glisse d'abord sur ses joues, son cou, ses seins blancs, son ventre moelleux, puis elle les lâche, les laisse se débrouiller seules, et je les laisse palper ce qui leur vient en premier.
Elle, pendant ce temps, elle attrape mon visage, en me regardant dans les yeux. Puis elle balance ses mots :

— C'est pas si mal tout ça...

Je ravale ma salive :

— On est bien, ouais, on est bien...

J'ai envie de me couper la langue. Mais, je pourrais avoir les pires répliques de la terre, qu'elle hocherait tout de même la tête. En prime, elle tend les lèvres, ses yeux se ferment, et c'est une vision que je voudrais conserver, ce visage en attente, ce visage qui, pour une fois, est pour moi. Et je tends aussi les lèvres.

Mais je m'arrête pour dire, surexcité :

— On devrait faire un truc.

Elle pivote la tête sur le côté :

— Coucher ensemble ?

Je suis moins fier sur mes appuis :

— Euh... je... oui... aussi, mais... je te parle d'un autre truc, genre, rester ensemble.

Elle ouvre grand les paupières, et lance la bouche de droite à gauche. Je la secoue par les épaules :

— Nan, vraiment, je te jure ce serait bien.

J'ai l'impression d'essayer de la convaincre d'un truc qu'elle voudrait pas, pourtant, elle sourit dans le vide, avant de serrer de nouveau mon visage dans ses mains.
C'est dans sa bouche que je trouve du salut, de la paix, même si derrière, tout mon corps se contracte, et c'est violent, violent parce que je me sens projeté à toutes mes premières fois, à ces moments où j'ai eu peur de me planter.
Elisabeth, c'est pas le genre de truc auquel elle réfléchit, c'est loin de ses préoccupations, surtout quand elle retire son jogging pour se présenter à moi en caleçon d'homme. J'avais déjà la trique, mais là ça en devient douloureux, c'est tout l'équilibre de mon désir qui vacille, et elle vient susurrer à mon oreille :

— Tu voulais me demander quoi avant ?

Je bafouille bêtement :

— Si je pouvais enlever ton pantalon.

Elle planque un gloussement derrière sa main.

Elle me montre le lit du bout du doigt, et je hoche la tête avec excès.
À vrai dire, j'ai la gerbe à ce moment précis. Et je sais très bien d'où ça vient. J'ai peur de passer pour le roi des connards, mais j'ai envie de la connaître par cœur pour ne faire aucune erreur. Un gouffre de questions abrutissantes s'ouvre sous mes pieds :
Qu'est-ce qu'elle veut ?
Qu'est-ce qu'elle aime ?
Et moi, qu'est-ce que je veux ?
Qu'est-ce que j'aime ?
J'en sais rien de tout ça ! Mes goûts sont un faussé sans vraiment de sens, ou parfois des idées éclatent, et puis disparaissent et sont remplacées par d'autres.

Je sais que là, je me suis bloqué, que je suis resté droit sur mes deux jambes. Et elle finit par se laisser tomber sur le lit, une esquisse de sourire aux lèvres. Cette scène, elle me file le tournis. Presque nue, vautrée dans mes draps, je l'observe sans souffle, alors qu'elle me lance des risettes. Et elle m'assomme encore, car doucement, devant moi, elle écarte les cuisses, et je me rends compte que c'est sûrement le moment le plus exaltant de ma misérable existence.

Elle me fait un signe de la main pour m'inviter à approcher, et j'expire tout ce qu'il y a dans mes poumons avant de m'avancer, puis de m'agenouiller bêtement devant ses jambes. Je rampe au sol comme une larve et m'accroche à un de ses genoux que je cajole avec ma joue. Ça me rassure de faire ça, ça me rassure de pouvoir la toucher, d'avoir un lien physique qui me retient dans le réel.
À ce moment-là, je m'en fiche d'être un chien, d'être peut-être son amusement de la soirée, je m'en fiche de passer pour un imbécile heureux. Parce que, je crois que oui, je suis heureux, heureux d'avoir peur, de sentir la crainte ronger mes os, mais surtout de voir que cette femme reste là, et glisse sa main dans mes cheveux, pour rabattre mes mèches. Ça m'attire, et tremblant, j'effleure sa peau avec mon nez, jusqu'à l'aine, où j'aperçois quelques poils roux se faire la malle de son sous-vêtement.

Je colle mon visage sur son ventre, et d'aussi près, le duvet danse dans ma respiration, ondule comme les algues qui subissent les courants. Je balade mon nez sur sa chair, je gravis son corps, j'essaye de sentir là où c'est plus sucré, là où c'est le plus âcre, là où c'est le plus chocolaté. C'est entre ses seins, je crois, d'ailleurs, ça sent fortement le café au lait sucré par là, et je me rappelle l'avoir vue épousté sa poitrine en buvant son café. Ces odeurs, ces confiseries, ça me transporte dans un monde de sens qui m'envoûte littéralement et me fait oublier tout ce qui pouvait m'assommer quelques minutes plus tôt. J'ai plus qu'une seule envie : me promener ici.

J'écoute aussi les sons qu'elle produit, les battements de son cœur, bien entendu, mais aussi les mouvements de ses organes, les bulles qui éclatent, son estomac qui grommelle, ses articulations qui crissent quand elle gesticule, et le bruissement de ses mèches de cheveux qui glissent entre ses phalanges quand elle les remet en arrière. Toutes ces mélodies me fascinent.

Elle, elle me laisse faire, sans trop bouger, allez savoir pourquoi. Elle suit seulement mes pérégrinations du bout des doigts, et tout ça prend mon désir pour le foutre dans des hauts fourneaux d'extase.

Et puis, je me décide, je retire son caleçon avec des doigts instables, et je m'émerveille devant son sexe aux bouclettes rousses dans lesquelles je vais planquer mon visage. J'ai jamais été un as du cunnilingus, ça c'est clair. Mais, j'avoue qu'à ce moment précis, je ne m'en préoccupe même pas, je me sens enivré par chaque parcelle de son anatomie, et par ses murmures satisfaits, du moins je l'espère.

Mais tout bascule dans un soupir. Elle me repousse, et je pars en arrière, je tombe au pied du lit sur les fesses, et elle glisse sur moi, ses yeux ont muté, elle prend l'apparence d'une louve épileptique, en m'observant avec ses rétines percées d'une forme de démence. Elle me niaque littéralement la mâchoire au point de me faire couiner comme un chaton, avant de tirer sur mon froc. Puis, d'attraper ma bouche avec la sienne. Pendant qu'elle me dévore, je me secoue comme un asticot pour mettre ma queue à nue — qui soit dit en passant n'attend plus que ça. Sans préambule, elle choppe mon pénis, avant qu'un éclair de lucidité lui saute dessus :

— LA CAPOTE.

Loin de moi l'idée de dire non, mais où ? Je me détache d'elle et à quatre pattes, les fesses à l'air, je contourne le lit à la recherche désespérée d'une boîte de préservatif qui pourrait hypothétiquement résider non loin de ma table de nuit, et qui était là en cas d'oubli de pilule de Pomme. Elisabeth reste accrochée à ma cheville en gloussant, vautrée par terre :

— Magne-toi !

Je mets la main dessus, et je me retourne en vitesse avec le graal entre les doigts. Maintenant, ça devient technique : ne pas ouvrir le machin avec les dents, placer le truc sur le bidule — ma bite — tirer sur le petit bout, alors que l'autre hurle à la mort en me grimpant sur la jambe :

— Bouge-toi, faut pas bac+5 pour ça, j'ai envie de toi moi !

Une fois réussi, j'ai pas le temps de dire quoi que ce soit ou de me plaindre que j'ai coincé un de mes poils de couilles dans le préservatif, qu'elle est déjà sur moi. Je comprends plus rien à ce qui se passe, mais j'avoue que je me laisse complètement porter, et bien sûr que je l'accueille dans mes bras sans broncher, et encore plus sur mon sexe. Elle me saute dessus comme si j'étais un poney au galop, et je vais pas mentir, je prends un pied de dingue, même si elle me tire les cheveux des deux mains et force ma tête à partir en arrière dans un angle à chier, pour venir me lécher la gorge. C'est pas moi qui la baise, non, loin de là, c'est elle qui me baise, et j'aime ça. Tout ça, ça me fait basculer à mille lieux dans le paradis, et je suis obligé de lui pincer les hanches, pour gueuler :

— Je vais jouir ! Attends !

Et clairement, il faut que je me retienne, parce que ce serait bien sûr pitoyable de lâcher la sauce maintenant, après à peine 60 secondes. Un homme, un vrai, ça doit tenir au pieu, c'est la règle — enfin, c'est ce qu'on dit.
Sauf que là, j'en mène pas large. Heureusement, elle me laisse du répit, elle s'arrête de bouger. Mais, non, c'est pas vrai, on peut pas parler de répit. Elle murmure à mon oreille des insanités, des histoires de peinture dégoulinante, de corps en friche qui niquent, qui se mélangent et se démembrent, et me laisse entrevoir dans ses mots hachés, toute l'étendue de son obscurité. Nan, ça me calme pas, c'est même pire, car maintenant, c'est une curiosité malsaine qui infuse dans mes veines, et dans mon esprit, et les images qu'elle me communique, prennent place aussi dans ma tête.

Et comme si c'était pas suffisant, elle gémit :

— J'ai envie de jouir tout de suite.

Avec ce genre de voix suave qui transpire la luxure, les cheveux collés sur sa figure rougie, je peux pas lutter. J'ai des spasmes que je contiens au plus profond de moi et elle se met à malaxer sa vulve du bout des doigts. J'en reste figé, la bouche ouverte, au point de lâcher un filet de bave. Et puis ce qui devait arriver, arrive, j'en jouis, mais de ces jouissances de dingue, celles qui vous piétinent la moelle épinière et vous font complètement disjoncter au point que votre QI baisse de quelques chiffres.

Je suis dans la vague, et je la vois s'activer sur ce qu'il me reste d'érection, jusqu'à ce qu'elle se mette à convulser, son corps se contracte, ses paupières vacillent, et elle en tombe à la renverse, encore une main coincée entre les cuisses.
Le spectacle est à la fois rocambolesque et passionnant. Je suis ébloui, par cette nana étalée par terre, la peau luisante et marbrée de points rouges, qui soupire en saccade, avec un sourire extatique sur les lèvres. Je paierais cher pour avoir le droit de prendre une photo de ce moment, mais je suis pas sûr qu'elle accepte, alors je me contente de me glisser contre elle, en essayant de me débarrasser du préservatif discrètement.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant