Chapitre 97

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Aujourd'hui, Dans son Ancien Atelier,
EDGAR — Le visage d'Élisabeth dégouline de sang, et c'est elle que je soutiens là. Celle qui a coupé le bras de cet imbécile, qui lui a démis l'épaule en tirant de toutes ses forces avec ses pieds sur son buste pour l'arracher.

Maintenant, le membre gît à côté du corps sans vie, et moi, je suis face à ce massacre, alors qu'elle reste à genoux, la mâchoire ouverte, la langue pendante, et l'air hagard.

Mais le temps ne va pas s'arrêter, ça c'est clair. Je flanque un coup de pied à Élisabeth. Je veux qu'on se bouge. Même si je suis fragile là, et que je me sens incapable de faire ça. J'en ai pas envie. Je rêve que le monde s'éteigne et qu'on me sorte de cet enfer, mais ça n'arrive jamais.

Dans le silence, on fait rouler le cadavre sur le béton pour l'emballer dans les toiles. Ensuite, on le ficelle comme un saucisson. Puis, on frotte le sol avec de l'eau claire – et c'est ridicule. En plus, ça nous prend du temps, celui-là même que je vois s'étioler à grande vitesse. J'ai peur que le soleil pointe le bout de son nez, que la nuit s'éteigne, et que tout soit vu et dévoilé.

Maintenant, on se rince comme on peut dans l'évier, histoire de recouvrer une allure humaine. Ensuite, on rassemble ce qui traîne encore dans l'atelier, on emballe tout dans des sacs et des cartons. Il faut tout vider. Faire disparaître David et Élisabeth.

Quand tout, en apparence, a l'air propre, elle baragouine :
— Si y avait eu un mixeur, on l'aurait foutu dedans... et balancé dans les canalisations.

Cette idée, ça fait dix fois qu'elle m'en parle, et ça fait dix fois que je la trouve impensable. Et puis quoi encore, transformer un être humain en milkshake ! Vraiment, j'aimerais que le temps s'inverse, qu'on revienne à avant, et lui dire : viens, on s'en fiche, finalement, de ces satanés tableaux, t'auras qu'à en peindre d'autres ! Mais le voyage temporel, ça n'existe toujours pas. Alors, à défaut de charpiller David, chacun attrape un côté du paquet et le soulève – et bon dieu, que les gens peuvent être lourds quand ils ne sont plus que de la matière.

En vrai, il faut du courage pour tourner la poignée de la porte et franchir le palier, ensuite taper sur le bouton d'appel de l'ascenseur et s'y engouffrer avec un corps sur les épaules. Oui, il faut du courage, pourtant j'en ai même pas. À ce moment-là, je suis absent, je fais ça mécaniquement, je ne suis même pas sûr de pouvoir anticiper le moindre de mes gestes. Mais je suis la partition à l'aveugle. Mon esprit s'embourbe. Il ne rationalise plus, la question du bien et du mal est si lointaine. Il ne s'agit plus de morale, de toute façon, mais de survie.

Quand tu as fait un tel doigt d'honneur à la morale, t'as plus qu'à essayer de garder la tête hors de l'eau. Mais, heureusement, les artistes sont des lève-tard. On ne croise personne, et on arrive à la voiture sans difficulté pour balancer David dans la benne. Ensuite, on enchaîne les allers-retours, transportant un à un les cartons, les sacs, et tout ce qui encombrait l'atelier. Une fois vide, Élisabeth part subtiliser une bouteille de javel dans le local d'entretien et la renverse sur le sol. J'imagine que c'est le maximum qu'on pouvait faire, et j'imagine aussi qu'on sera très vite grillés.

Une fois tous les deux dans la voiture, je prends le volant. J'ai du mal à démarrer la caisse. Je me dis que je pourrais directement me pointer devant les Baumettes, que ce serait pareil, parce que sur ce coup-là, la case prison me paraît inévitable.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant