Chapitre 104

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Quelques jours plus tard, A la Gendarmerie,

EDGAR — La mine sombre, Gérard mâchouille le bouchon de son stylo. D'une main, il corrige son rapport en tapant sur son clavier. Puis, il se frotte les yeux :
— Tu l'as vraiment forcée à foncer sur le barrage ?
Je fronce les sourcils, je tente de lui tenir tête, de ne pas flancher, même si j'aimerais flancher. Mon avocate — commise d'office — intervient :
— Vous n'êtes pas obligé de répondre.
Gérard grogne :
— S'il a envie, hein !
Il me fait un signe du menton, et j'acquiesce, alors que mon avocate rétorque en soufflant :
— Faites attention à ce que vous allez dire.
Je réponds à Gérard en essayant de bouger un peu, pour alléger la douleur que me provoquent les menottes :
— Oui ! Je te l'ai dit. Elle a tourné le volant au dernier moment, elle ne voulait pas faire ça ! Elle voulait rester avec Ben ! Moi, je voulais pas, je l'ai obligée.
— Ça n'a aucun sens. Edgar, ça n'a aucun sens. C'est pas ce que dit Benjamin, c'est pas ce qu'elle dit, elle.
— Ben, il a rien vu, et elle, elle est pas stable ! T'as bien vu.
Il marmonne :
— Oui... merci, elle a mordu trois de nos gars. Je vais voir ça avec elle, elle sort de GAV là. — il se met à baragouiner pour lui-même — Et Steve. Mais lui aussi, pour le faire parler...
Je me laisse retomber dans ma chaise, en essayant d'ignorer l'odeur de café flottant dans la pièce, qui me donne le tournis.

En vrai, je sais ce qui m'attend : sombrer dans l'oubli. La liste de tout ce qui me mènera à ma perte est longue, bien trop longue, et encore, visiblement, David n'est toujours pas porté disparu, et ils n'ont pas perquisitionné la voiture d'Elisabeth. Pourquoi faire, si elle est innocente ? Sinon, ils auraient forcément trouvé du sang, senti la mort. La question qui reste en suspens, c'est de savoir si dans notre histoire il n'y aura qu'un cadavre, ou deux, savoir si Fabien va finir par succomber, ou se réveiller de son coma. Peut-être qu'il vaudrait mieux qu'il crève, vu sa face. En vrai, je ronge ma culpabilité comme un os purulent. Ce mec ne méritait pas ça — mais, aussi, il l'a mérité sur le coup. J'oscille entre deux mondes, et j'oublie, j'oublie quand je repense à son visage couvert de taches de rousseur. Puis la voix grave de Gérard gronde à nouveau :
— Pourquoi, Edgar ? Je pensais vraiment... vraiment que tu allais t'en sortir.
L'avocate tente d'intervenir, mais je lui fais signe de ne pas le faire et je m'avance. L'expression de Gérard me terrifie, ses yeux crépitent, je m'approche, je mords ma lèvre, je garde la tête haute :
— Parce que... j'ai vu que de la merde. Je n'ai droit qu'à ça. Je fais pas exprès. C'est ma faute, je sais, pas d'excuse. Mais, c'est comme ça. C'est pas grave. J'ai juste pas réussi à prendre le train en marche. Peut-être que je suis pas assez fort, peut-être que je suis trop abîmé, qu'est-ce que j'en sais, moi. Mais le truc, c'est qu'on fait pas marche arrière quand on est troué comme un gruyère... la chair, ça repousse pas.
Il m'observe, les yeux ronds, et je reprends :
— Tu crois que c'est injuste ? Bah non, ça l'est pas. Faut bien qu'il y en ait qui aperçoivent ce que c'est, l'enfer. Et encore, en vrai, je suis pas le plus à plaindre.
Je ravale un sanglot :
— Peut-être que pour toi je m'en suis pas sorti, mais pour moi, j'y étais presque, je te jure, presque. Mais Gérard, s'il te plaît, laisse-moi la voir...
J'ai besoin de ça, une dernière fois. Après, promis, j'accepte mon sort. Promis. Je pactiserais même avec un démon pour ça, ou je vendrais des parties de mon corps. À vrai dire, je crois qu'Elisabeth est une plante. Je le savais pas avant, mais je l'ai compris maintenant, oui, c'est une plante. Elle vous attire, avec son parfum sucré, avec ses couleurs, avec sa sensualité. Quand vous vous collez à elle, vous jouissez, vous vous reposez contre sa volupté, jusqu'à ce qu'elle referme ses crocs sur vous, car Elisabeth, c'est une plante carnivore. Et quand elle vous digère, vous aimez ça.

Mais Gérard, tout ça, il en veut plus, et il hoche la tête par la négative, se frotte le visage. Je gémis :
— S'il te plaît...
— Garde le peu de dignité qui te reste.
Avant, Gérard était un allié, maintenant c'est l'inverse. Il se lève et annonce sa sentence :
— Lève-toi, tu retournes en cellule. Puis tu seras transféré en détention provisoire.
Il m'ouvre la porte, j'hésite à me foutre debout. Je suis en kit, et à quoi bon continuer de mettre un pied devant l'autre. Mais je le fais, je me hisse sur mes deux jambes, et je rejoins le couloir. D'un coup, un hurlement résonne.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant