Chapitre 71

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Dans Son Atelier,

ELISABETH — Quand je passe la porte de l'atelier, c'est un soulagement. Je me sens bien, vivante, et j'enfile immédiatement ma salopette pour me lancer dans de nouvelles toiles, même si je reste crispée.
À vrai dire, c'est toujours comme ça que ça finit, elle avec moi, la peinture, c'est mon amante maudite, celle avec qui je n'ai pas d'autre choix que de vivre, comme une maladie incurable, une maladie que j'aime, qui fait fi de l'argent, de la misère, et peut-être de ce que les autres nomment le bon sens.
Mon plaisir s'étiole quelques instants plus tard, quand la porte de la bicoque s'ouvre dans un fracas, et que je gueule :
« Hé ! »
Mon père, les yeux rouges, est dans l'entrebâillement, et lui, je ne l'attendais pas avant quelques heures. Je pensais que j'aurais du répit :
« Qu'est-ce que t'as foutu, Elisabeth... »
J'imagine qu'il sait. Claude n'allait pas accueillir le paternel à bras ouverts sans lui raconter pourquoi sa fille n'était pas gentiment à sa place.
Et il répète, alors que j'ai gardé mon bras en l'air, un pinceau coincé entre les doigts :
« T'as foutu quoi, Elisabeth ! »
Je baisse la tête un instant, avant de lancer :
« C'est qu'un boulot. Ça va.
— ELISABETH ! »
Il a hurlé, je me suis figée. Je pose mon pinceau pour lui faire face :
« Tu crois que c'est ma faute ? »
Il frotte son visage, avant de redresser la tête :
« C'est toujours ta faute !
— Et si je te dis que j'y peux rien ! »
Il entre dans la pièce, une odeur acide de vieille vinasse lui colle aux semelles :
« Mais t'y peux jamais rien si on t'écoute !
— Bah oui.
— ELISABETH ! C'est le maire ! Putain ! Le maire ! Tout le monde t'a vue ! Qu'est-ce qu'ils vont penser de moi ?
— Quoi, tu préfères ton image, peut-être ?
— Oui, Elisabeth, oui ! Après toutes les merdes dans lesquelles tu m'as foutu, oui ! Je vais pas bien et toi, t'en rajoutes, t'en rajoutes... t'en rajoutes. »
Il a beau répéter ça. Ce n'est toujours pas vrai. Je reste silencieuse. J'ai du mal à savoir si je souffre de ça, et il reprend après une goulée d'air :
« LE MAIRE ! MERDE ! — Il se frappe la tête dans les mains avant de me pointer du doigt — Et Stéphanie, si elle est partie, hein ! C'est à cause de toi ! Parce que t'étais invivable ! Tu faisais aucun effort ! — il se tourne un moment — Claude, c'est mon ami ! JE ME SUIS INTÉGRÉ ICI ! »
Je pince les lèvres, j'attends que la tempête passe, et lui me saisit par les deux épaules :
« TU PEUX ME DIRE POURQUOI TU VEUX PAS ÊTRE NORMALE ! »
Il me lâche pour attraper une de mes toiles, avant d'observer, dégoûté, une souris que j'ai laissée là dans une assiette :
« C'est des horreurs, ça ! »
Dans mes tempes, ça s'accumule, et ma mâchoire craque.
« En fait, t'es folle. »
Il jette la toile. Elle tape contre le mur et s'échoue à même le sol. Je m'empresse de la récupérer, mais la terre s'est déjà collée aux endroits qui n'étaient pas secs.
« J'AI FAIT QUOI POUR MÉRITER UNE DÉGÉNÉRÉE COMME TOI ! »
J'ai le sang dans les gencives, les mains moites, et je marmonne :
« C'est toi qui me bousilles. »
La gifle qu'il m'envoie, je ne la vois pas venir. Elle m'ébouillante la joue, au point de tirer sur des nerfs plus profonds encore. À vrai dire, son visage est à un pas du mien. Je pourrais le défoncer, lui griffer les joues, puis saisir le cutter qui est juste sur mon tabouret, déjà ouvert. Je lui planterais dans les yeux, ils éclateraient comme des œufs mollets, et le jus se répandrait. Si je l'enfonce assez loin, est-ce que je parviendrais à toucher son cerveau ? Est-ce que je le tuerais ?
Mais tout ça, c'est impossible. Pourtant, je le sens dans mes mains que j'en ai envie. Mais pourquoi j'y arrive pas, moi, à lui en retourner une ? Pourquoi j'arrive pas à prendre son visage, et le briser ? Pourquoi y a-t-il ce lien invisible et magique qui contraint mes membres à rester dans l'inaction ? Est-ce que c'est de la fidélité au lien du sang ? Ou autre chose.
Le silence, lui, perdure, il est intouchable, un objet sacré entre des murs en vitrage pare-balles. Puis, mon père recule, il me tourne le dos et crache juste dans un sanglot acide :
« Démerde-toi pour dégager. Je m'en fous de où tu vas, t'as jusqu'à la fin de la semaine. »
La porte claque, il est parti, j'ai les genoux qui tremblent. Je le savais pourtant, que ça finirait ainsi.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant