Chapitre 64

1 0 0
                                    

Sur la Route,

EDGAR — Je scrute les moindres recoins, en ralentissant dès qu'une ombre traîne sur le bas-côté.
Les phares de mon scooter manquent de puissance et je suis obligé de plisser les yeux comme un dingue pour réussir à distinguer enfin la camionnette. La masse blanche est échouée dans un ravin, dévorée par la terre, et plus loin, assise sur une pierre, sa chevelure au vent, au bord de la route, elle contemple le ciel sans ciller, à la recherche de je sais pas quoi, blottie dans ses bras.
Quand je déboule sur le bas-côté, ses rétines se figent sur moi, elle m'observe silencieuse, sans aucun mouvement, comme ces statues sur les places, et je m'arrête à son niveau, et retire mon casque. Dans la teinte jaune de mes phares, je remarque qu'elle a du sang sur le menton, et sur ses mèches en bataille. Je demande stupidement — après, qu'est-ce que je pourrais demander d'autre :

« Ça va ? »

Elle acquiesce, en ravalant sa salive et tout le rouge qui lui décore la bouche, avant de gratter plusieurs fois son cou.
Je suis dans une posture inconfortable, je sais pas si je dois lui filer un sourire, et je gonfle juste bêtement mes joues. En vrai, je sais pas ce que je fiche là, je comprends pas pourquoi c'est moi qu'elle a appelé à l'aide. Généralement, c'est plutôt l'inverse, je geins pour me faire sauver. Puis quoi, Ben l'a contrariée ? Fabien l'a encore emmerdée ? Pomme l'a exaspérée ? Ou Audrey a lancé de grands discours sur l'amitié ? J'arrête pas de me demander, mais aussi, ça me mine pas trop, faut le dire. Je me sens pas obligé d'être là, ouais, ça me fait pas chier, c'est clair.

D'ailleurs, j'essaye même de faire un peu genre. Je descends de mon scooter, en laissant mon casque dessus, et j'effectue rapidement le tour de sa voiture, avec une tête de spécialiste alors que j'y connais rien du tout, et en vrai, à première vue, sa caisse a l'air de bien s'en sortir, mis à part une éraflure sur le côté quoi. Mais peut-être bien qu'elle était déjà là, tout compte fait.
Je retourne la voir pour lui demander :
« Elle démarre ?
— Oui. »
Elle se relève en époussetant son jean, et grimace avant de demander :
« On va boire un coup ? »
Je plisse les yeux, et je pige qu'elle a pas l'air dans le mal pour une nana qui vient de faire une pirouette sur la route. J'aurais peut-être aimé comprendre le pourquoi du comment, mais finalement, cette réflexion-là, je l'oublie aussi très vite. Je m'en fiche que ce soit une entourloupe, ou je sais pas trop quoi. Mais je suis pas sûr d'avoir trop capté non plus le plan, et je lance juste :
« C'est-à-dire ?
— Bah, on met une boisson dans un verre et on la boit, quoi.
— Ah, euh, ouais. Mais à cette heure ? Pourquoi ? »
Elle hausse les épaules en regardant dans le vide :
« Ch'sais pas, comme ça. »
J'acquiesce, pensif, les mains dans les poches de mon treillis, parce que j'espère vraiment garder la face sur ce coup-là, je sais pas trop quoi lui dire, et la seule chose qui meuble le silence, c'est les pins qui se font secouer, et une bagnole qui passe à toute allure derrière nous, en projetant notre image face à face dans la terre, et cette image, elle me trouble, au point que je me lance :
« Ouais, OK. Mais... tu veux aller où ?
— Les bars sont fermés. Chez toi ? J'ai jamais vu chez toi. »
Chez moi, c'est le bordel, chez moi, c'est un peu lui servir sur un plateau doré que je suis une merde. Mais je peux pas refuser.
« D'accord. Pourquoi pas. »
Je cogite en regardant le scooter et sa caisse, avant de reprendre :
« Je fais comme la dernière fois ? Je balance mon scoot dans ta benne. Tu veux que je conduise ? T'es peut-être sonnée. »
Elle pointe mon scooter de son index et lâche froidement :
« Non. Je veux faire un tour de scooter. Je sais pas conduire ces machins-là, mais j'aime bien me faire balader. »
C'est marrant, mais je me suis toujours dit qu'elle avait une voix monocorde, et là, c'est encore plus flagrant. Y a pas d'intonation, aucune variation, ses paroles portent la même sonorité, une sonorité agréable, qui ne traduit rien, comme sa posture, elle ne dit rien, elle reste droite comme un I, les bras le long de son corps, et tout ça, ça renforce mon envie d'en savoir plus. Je lui tends mon casque.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant