Chapitre Sans Titre 98

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Sur la route,


EDGAR — « On va où ? »

On vient de passer le panneau barré de Marseille, la nuit se fait plus noire sur l'autoroute, et je roule exactement à la vitesse autorisée. Les phalanges en ébullition, j'ai l'impression que le volant fond entre mes doigts. Et elle redemande :

— On va où ?

— J'en sais rien !

Les étoiles dégueulent dans le ciel, et c'est un paysage d'horreur qui s'anime devant moi. Là, chaque voiture qui nous double m'aspire un peu plus, et je sens mon corps qui bascule, d'avant en arrière, d'avant en arrière.

— Je t'avais dit que c'était une bonne idée le mixeur.

Je serre plus mes doigts :

— Mais putain ! Ferme-la !

— NON ! J'ai besoin de savoir ce qu'on fait maintenant !

Je réponds pas, je cherche dans mon esprit ce qui pourrait être la solution, parce que les idées d'Élisabeth sont de plus en plus détraquées, et son délire de dépecer David revient beaucoup trop souvent. C'est comme si elle rêvait que de ça, une sorte de fantasme morbide, et après quoi ? Elle le peindra ! Sûrement !

— ON VA PAS LE DÉCOUPER !

Elle se renfrogne :

— POURQUOI ? ILS LE FONT TOUS !

— Mais de quoi tu parles ! MERDE !

— COMMENT ÇA DE QUOI JE PARLE ? DES TUEURS ! DES TUEURS EN SÉRIE !

Je sens plus d'amertume dans ma gorge :

— Mais c'est parce que ça les fait tripper ! Putain ! C'est des malades ! T'es une malade, toi ?

Elle reste muette un moment. Et je lâche la route des yeux. Maintenant, c'est elle que j'observe. Je l'avais jamais vue avant, mais sur son visage on remarque ce qui est défaillant. Sa froideur naturelle, c'est pas que du flan, c'est sûr que ça cachait un truc, un truc qu'elle a essayé de me dire, de me communiquer, et que j'ai pas écouté. Non, au lieu de ça, je l'ai bousculée dans les bras de son ombre. Elle se penche et saisit le volant, pour redresser ma trajectoire en beuglant :

— Mais qu'est-ce que tu fous !

Je me reconcentre sur la route, et soupire juste.

— Ouais, en fait, t'es carrément malade.

— Malade ? Moi, je suis malade ? Bah arrête-toi ! Je descends alors !

J'essaye de rester vigilant sur ma conduite, mais je sens bien que je zigzague, que j'ai du mal à garder le pied sur l'accélérateur. Et quoi qu'il en soit, je suis dans l'incapacité de la lâcher là, je pourrais pas, c'est tout. Rien que l'idée de la voir sortir de la voiture, et claquer la portière derrière elle, sans un regard pour moi, ça m'horrifie. Je suis en train de tomber dans une spirale où chacune des routes qui s'ouvrent devant moi est pavée d'immondices. J'inspire et je m'étrangle, mais je gueule aussi, parce que de la haine, là, j'en ai à revendre.

— Ouais ! Mais quelle bonne idée ! Promis, je m'arrête à la prochaine station et je te décharge, là, avec ton cadavre ! Même pas en rêve, même pas en rêve en fait !

— MON cadavre ?

— Et il est à qui d'autre ce PUTAIN de cadavre ? À moi peut-être ? C'est pas moi qui l'ai zigouillé !

Elle m'agrippe l'épaule, en me hurlant, aiguë dans les oreilles :

— Parce que toi, t'as peut-être jamais merdé comme ça ?

— NON !

C'est tout mon corps qu'elle se met à secouer, et dans ma bouche, à chaque nouvelle parole qu'elle prononce, c'est acide, ça me brûle jusqu'au bout des dents :

— SALE MENTEUR ! SALE MENTEUR ! Tu me prends pour qui ? Une idiote ? Tu crois que j'ai rien compris, hein, tu crois que je suis débile, peut-être ? ET TON GRAND-PÈRE ALORS ?

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant