Chapitre 40

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Aujourd'hui, Chez Steve,

EDGAR — Steve était chez lui, et j'ai réussi à récupérer un gramme, vu que c'est tout ce que je peux me payer.

Quand je ressors de l'immeuble, je passe devant le bar pour prendre mon scooter, mais sur la terrasse déserte, une table bondée hurle mon prénom. Toute la clique est là, et j'ai le sentiment de pas avoir le choix. Je les rejoins, sans envie, plus préoccupé par ce que j'ai dissimulé dans la poche de mon treillis.

J'embrasse Pomme du bout des lèvres, et me retrouve à faire le tour de la table pleine de verre et de bouteille de vin pour lâcher des bises à tout le monde. Mais je sens que je suis pas concentré, je suis perturbé car les chaises ont changé, avant elles étaient bleues, maintenant elles sont grises.

Sans trop comprendre, je suis devant Ben, debout. Il me sert deux tapes sur la joue, en chuchotant à mon oreille :

« T'as meilleure mine, mon coco. »

Quand j'entends coco, j'ai une pointe au cœur, et un besoin pressant. Je me dirige de manière mécanique vers Fabien et lui serre la main, puis vers Elisabeth, elle me tire par l'épaule pour me faire la bise, mais loupe ma joue. Elle se met à rire en risquant presque de tomber de sa chaise, et me sourit tout grand — je pense qu'elle est ivre morte.

Je finis par Audrey. Elle, elle a toujours son beau sourire aux lèvres qui s'accorde parfaitement avec son serre-tête doré. Elle prend du temps pour me frotter les bras, et c'est vrai que j'adorerais me blottir contre elle, mais je préfère décamper de la table en prétextant un besoin pressant.

Je rejoins les sanitaires, et m'enferme dans un chiotte où le néon claque à rythme régulier. J'essaye de contrôler mon souffle qui s'emmêle, avant de m'agenouiller à même le carrelage, et de me faire une trace sur la cuvette. J'aimerais sentir la montée venir apaiser chacun de mes neurones, mais c'est pas le cas, je ressens plutôt de l'angoisse, celle que Pomme me grille.

Je ressors, et rejoins la tablée. Ils sont tous là, à discuter tranquillement, et je tire une chaise grise sans un bruit. Je suis dans le vague, je crois que ce que m'a fourgué Steve, c'est de la merde, et je m'empresse de lui faire savoir par message — de toute façon, je pourrais lui envoyer les pires textos de la terre, qu'il répondrait quand même pas.

Alors que le soleil me tape dessus et m'enfonce dans le sol, je tente de me concentrer, d'abord sur le plastique de la table qui a noirci, ensuite sur les mains qui saisissent des verres, et les voix des autres sont plus lointaines. J'accepte d'un demi-hochement de tête le verre de vin que l'on me propose, même si j'aurais préféré de la bière, mais j'ai pas l'envie de râler. Je serre juste les dents, en essayant de ressentir le picotement dans les gencives. J'aurais dû me faire deux traces. À côté de moi, Ben qui gratte sa barbe, dit :

« Bon t'as vu la fin de You, alors ? »

Pomme, à qui il s'adressait, lui répond :

« Oh punaise, ouais, ils font une suite, hein, dis-moi qu'ils font une suite ! »

Audrey marmonne :

« Quelle horreur ce truc. »

Et Fabien maugrée en glissant dans sa chaise :

« C'est toujours : encore une. »

Ben rétorque en s'allumant une cigarette pour la donner à Elisabeth :

« Ouais, et c'est chouette, écolo de merde. »

Tout ça me passe au-dessus, tout ça, j'ai même pas envie de l'entendre, j'ai envie de me boucher les oreilles. La cocaïne fait toujours pas effet, je m'apaise pas, je me sens dans la misère, et je jette ma tête en arrière en fermant les paupières, je m'éteins, sans chercher à discerner les voix qui continuent de crépiter :

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant