Chapitre 88

1 0 0
                                    


Il y a Quelques Années, Dans sa Chambre,

— Rouler en boule sous mon lit, je hurle pour que ça obstrue toutes pensées, mais ça ne fonctionne pas, ça ne fonctionne jamais, et mes cordes vocales partent en lambeaux, ma mâchoire me provoque un mal de chien, et des mains s'agrippent à moi. C'est ma mère, je crois, elle essaie de me tirer hors de là :
— Edgar, calme-toi, je suis là !
Je crie plus fort, la douleur se répand partout, elle fait rentrer ma chair dans mon corps, je me sens mourir des millions de fois, et j'aimerais mourir qu'une seule fois. En face de moi, les lattes en bois du sol me donnent le vertige, elles me rappellent mon endroit, et je les gratte, je les gratte dans l'idée de les faire éclater, de sortir de là, mais j'y arrive pas, je suis tétanisé. La voix de ma mère, vaporeuse, tourne dans l'air :
— Je savais plus quoi faire... je... je sais que toi, c'est particulier.
Je plaque mes mains sur mes oreilles, mais c'est pas suffisant. Je sens qu'un trou béant s'agrandit devant moi et m'aspire. Puis, je voudrais me crever les tympans, je voudrais ne plus entendre le son de ma respiration.
Une masse gigantesque se glisse sous le lit avec moi, et je crois que ça y est, on est venu me chercher, l'enfer s'est ouvert, et Satan est sorti en personne pour moi, il m'arrachera la peau, oui, il m'arrachera la peau.
Mais tout ce que je perçois, c'est une voix grave qui me parle avec douceur :
— Eh, mon gars, tout va bien.
Les mains me tirent en arrière pour me serrer.
Il me sort de sous le lit avec force et me pose dessus. Mes yeux papillonnent face au visage rougeot de Michel :
— T'as vu qui c'est ? C'est moi !
Il dit ça avec un air jovial, tellement jovial que les sons s'apaisent, car c'est inhabituel, c'est pas dans son tempérament, ça. Je m'effondre sur le côté, sur le couvre-lit violet que ma mère s'évertue à mettre tout le temps, des couleurs, il y en a partout, il y en a trop, je hais ça, ça m'aveugle, mais elle dit que les couleurs, ça rend heureux, que ça fait travailler l'esprit, c'est des putains de foutaises, et je me frotte les avant-bras jusqu'à la brûlure :
— On va bouffer une glace tous les deux, au lieu de s'éplucher ?
Je ferme les yeux, je dis pas oui, mais on me porte, et je veux pas être faible devant lui. Je veux être comme lui, même si à ce moment-là, je serre son cou.
Ici, ça sent le foin et le vin, et cette odeur m'apaise, alors qu'il me berce en descendant les escaliers de l'immeuble. Je fixe, hagard, les tomettes qui défilent avant d'enfoncer encore mon nez dans sa chemise.
Quelques minutes plus tard, je me retrouve dans sa voiture. Il traverse la nuit jusqu'au McDo du coin pour commander des McFlurry — il choisit mon préféré, nappage chocolat avec M&M's.
Là, garé sur le parking, je mange à petite cuillère, grelottant, ma sucrerie, en observant l'enseigne jaune qui colore le capot du Kangoo de Michel. Lui, il demande, la bouche pleine :
— Tu veux en parler ?
Je remue les lèvres, absorbé par les reflets électriques :
— Non.
Il hoche la tête en inspirant fort, avant de commenter :
— J'ai une addiction pour ces saloperies, c'est terrible. Je peux pas m'en passer. C'est à cause des gosses, ça. Depuis p'tit, Sandrine les a habitués à les emmener là après la plage. Elle a pas la force de cuisiner après qu'elle dit. Bien que je la comprenne, 4 lardons à nourrir. En plus, avec le menu pour les gosses là... le Happy machin là...
— Happy Meal.
— Ouais, c'est ça, le Happy Meal. Qui coûte, quoi ? 4 balles ? Ça vaut le coup, le p'tit a son jouet, et il moufte pas tout le long du repas. Et moi, je craque à chaque fois pour cette saloperie de glace. C'est quoi, du lait et du sucre ?
— Je crois, oui.
— Bah punaise, du sacré bon lait, et du sacré bon sucre.
Il essuie d'une des serviettes rêches qu'il a piochée dans le sac sa moustache avant de soupirer en souriant dans le vide.
— Ah, s'il y avait eu ça quand j'étais gamin, j'aurais aussi fait un cinéma monstre pour y aller.
J'acquiesce, en répondant évasif :
— Ma mère et moi, on y va tous les samedis. Et des fois le mercredi aussi.
Il a un rire rauque avant de remettre les clés dans le contact :
— Fabien, dès qu'il est en crise contre moi, va savoir pourquoi, apparemment je suis trop dur, ou je sais pas quoi, je l'emmène là.

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant