Chapitre 51

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ELISABETH — Je contourne la maison discrètement comme indiqué. Derrière, j'attends sur le muret, jusqu'à ce qu'Edgar surgisse par la porte arrière de la bâtisse avec deux bouteilles de vin dans les mains et des verres Pokémon fichés sur les goulots. Je souris de toutes mes dents.

On décide de s'éloigner pour aller se planquer dans le pré sous une tripotée de pins maritimes, là où nous ne serons que des points noirs pour les autres.

Assis sur les aiguilles que je retire de temps à autre de mes fesses, l'odeur fleurie m'enivre l'esprit, et j'essaye de sécher grâce aux dernières lueurs d'un soleil roussi en picolant dans mon super verre Pikachu. Tous les deux, on se plaint un bon moment d'avoir oublié nos clopes sur la terrasse. Ça pourrait paraître rébarbatif, mais c'était important pour nous. Puis on énumère tous les trucs qu'on serait capables de fumer, le foin et les racines en tout genre y passent, et c'est comme ça que la première bouteille est tombée et que la deuxième s'ouvre. Edgar, les joues rougies par l'alcool, tend son verre Bulbizarre en l'air en disant :

« On n'a même pas trinqué !

— Putain, c'est vrai ça. Tu veux trinquer à quoi ?

— Au manque de clope.

— Nan, c'est trop triste. »

Je réfléchis un moment et il m'interrompt :

« À Biscotte au paradis des canassons ! Et... euh... Kracotte du coup !

— C'est qui Biscotte, et... Kracotte ?

— Bah, la jument, et son gosse. »

Il se met à m'expliquer, et c'est évident. L'enfant de Biscotte ne peut que s'appeler Kracotte, parce que la mère de Biscotte, c'était Tartine, et la mamie Brioche. La vocation de boulanger-pâtissier s'est perdue dans les noms de chevaux, ou alors, c'est parti d'un étalon qui se dénommait Éclair. On a perçu ça comme une pâtisserie et non comme une gerbe bleue qui tombe du ciel et arrache la terre. Et l'Éclair, il a fait plein de bébés. Edgar les a tous connus : des chocolats de toutes sortes au début, puis des caramels, des vanilles, et la brisure en sucre s'est agrandie. Saint-Honoré et Mille-feuilles sont venus au monde, suivis d'une période plus fruitée avec Fraisier et Framboisier. Ça continue d'ailleurs, là, dans l'autre pré, où paissent tranquillement, c'est Macaron, Tatin, et Frangipane.

Mais, Edgar précise, Biscotte et Tartine, ce ne sont plus vraiment des pâtisseries, mais ça, c'est en partie à cause de Fabien, qui, petit, trouvait que son petit-déjeuner pouvait s'apparenter à des desserts sucrés. Donc Michel a craqué, et laisse à son rejeton le soin de choisir les noms des canassons. Edgar, si taciturne en général, est plus bavard. Il s'est empourpré comme son vin, et rit franchement à chaque nouvelle explication pendant que j'arrache quelques pissenlits à mes pieds pour les lui enfoncer dans les cheveux. Pour une fois, je me sens paisible, l'envie de peindre est toujours là, mais son sifflement s'est atténué, calmé, peut-être parce que l'air frais est délicieux, ou que les conversations sont douces, allez savoir. Lui, Edgar, il reste statique pour me laisser le décorer, en me lançant parfois des risettes tordues avec son sourire carnassier, les paupières closes. Il finit par demander hilare :

« Tu veux pas remplacer les chicots qui me manquent par des boutons d'or aussi.

— Je peux essayer, mais je suis pas sûre que tu vas aimer le goût. »

Il acquiesce, et je reprends en lui levant le menton :

« C'est pas affreux, tu sais. »

Il secoue la tête négativement, avant que son visage se fige, et qu'il lance d'un coup :

PETROLEUM [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant