Chapitre 41

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Au bout d'une bonne heure de route au moins, à slalomer sur les routes sinueuses, la voiture s'arrête devant une longue allée menant à un prestigieux manoir. Vertige d'immensité. La peur ne m'aide pas à oser poser ma main sur la poignée de la portière. Je reste un instant à fixer les escaliers qui mènent au manoir. Toutes les baies vitrées sont éclairées et d'ici je peux déjà apercevoir les invités se pavaner fièrement en admirant les tableaux aux murs. Mon coeur se serre et le stress me dévore de l'intérieur. Je ne sais pas ce que je fais ici. Je n'ai pas envie de sortir de la voiture et ma main emprisonne la portière pour l'empêcher de s'ouvrir. La voix de Kaï m'interpelle.

-Tu es prête Sara ?

Je me tourne vers lui. Mon regard croise momentanément le sien et je mens.

-Oui.

Il hoche vaguement la tête et approche un masque rouge flamboyant de mon visage. Il me le noue délicatement derrière la tête et me regarde un instant avant de sourire.

-Il te va bien, ça fait ressortir tes yeux.

J'esquisse un sourire et sursaute quand la portière s'ouvre. Je dévisage le portier et sors de la voiture en prenant soin de ne pas laisser traîner le bas de ma robe sur le sol. Un court instant plus tard, Alessio se retrouve devant moi et me tend son bras, son fichu sourire aux lèvres que je rêve de lui enlever. Je prends une grande inspiration et lui attrape le bras, à contre-coeur. Devoir être si proche de lui me donne la nausée.

-Tu es très belle Sara, je suis ravi que tu ais accepté de m'accompagner ce soir.

-Ce n'est pas comme si j'avais eu le choix.

Avant de lui laisser le temps de répondre, j'ajoute :

-Dis moi ce que je suis censé faire une fois qu'on sera à l'intérieur ?

Il prend une grande inspiration et pose sa deuxième main sur la mienne.

-Tu souris, tu évites les sujets qui touchent à l'argent, au travail que tu vas faire pour moi et surtout, tu évites d'associer mon nom à celui de Caçador.

Je lève les yeux au ciel.

-Donc je dois parler du beau temps et du goût du champagne, très bien, j'ai compris.

Il ricane et s'arrête net, me tournant vers lui. Il approche sa main de mon visage et, du bout des doigts, effleure ma joue.

-Je te fais confiance Sara, ne me déçoit pas.

Malgré sa douce caresse, ses mots sonnent plus comme une menace qu'autre chose, mais je ne réponds rien. Je n'ai qu'une envie, retirer mon bras du sien et m'enfiler un maximum de coupes d'un champagne absolument hors de prix jusqu'à oublier les abysses de mon anxiété. Quand nous pénétrons dans l'enceinte du manoir, quelques regards se posent sur nous et je sens Alessio resserrer son étreinte autour de mon bras, ce qui me met mal à l'aise.

-Tu fais déjà de l'effet Sara, me chuchote-t-il au creux de l'oreille, avant de prendre deux coupes de champagne sur le plateau du serveur qui passait à côté de nous.

J'attrape la coupe qu'il me tend et fait valser mon regard sur la foule. Tout le monde est masqué, même les serveurs. La salle de réception est immense, la décoration est raffinée et je m'étonne du nombre incalculable de structures et tableaux entreposés. Mais le côté classique de la demeure est dilué par l'architecture plus contemporaine que les orfèvreries qui ornent la bâtisse.

Je prends une inspiration et me tourne pour regarder Kaï entrer à son tour. Il est en pleine discussion avec Dom, mais ses yeux croisent les miens à travers nos masques comme s'il avait senti mon regard sur lui. Il me sourit, je me sens rassurée. Je soupire et trempe mes lèvres dans le doux nectar sucré et finement pétillant du champagne. Bordel, il est divin. Je n'ai jamais rien goûté d'aussi bon de toute ma vie. Je bois ma coupe d'un trait et profite du serveur pour en prendre une seconde, avant de suivre Alessio comme son ombre tout le long de la soirée, pendant qu'il slalome entre les invités. Je souris à chacun de ses dires comme une parfaite idiote, même si je ne sais pas quelles conneries il peut bien raconter. Je bois ma coupe de champagne, ce qui semble surprendre l'épouse de l'homme avec qui converse Alessio. Elle me reluque et détourne le regard. Je lis dans ses pensées qu'elle vient de me traiter de dévergondée et d'éponge alcoolique. Elle n'a pas tord, c'est déjà la troisième coupe que je fini pendant leur conversation. Je cherche du regard un serveur et quand il y en a un qui daigne passer à côté de moi, (comme si j'avais été mise sur liste de personne à éviter pendant la soirée), je m'écarte du groupe et attrape une nouvelle coupe de champagne. Il me faut de quoi tenir pour supporter encore pendant quelques heures les mêmes discours politiques d'Alessio, encore et encore. Je ne fais que sourire, à en avoir une crampe à la mâchoire. C'est plus facile que je le pensais d'agir comme si j'avais envie d'être là, mais c'est sacrément ennuyant. Parfois mon regard me trahit, mais je souris à nouveau pour faire passer l'affront dans mes yeux. Un profond désespoir nourrit mes pensées grotesques pendant que je fais tourner la coupe de champagne entre mes doigts. Parfois je fixe un point dans le vide, je me perds dans mes cauchemars. Je me demande ce que je fais là, pourquoi je fais tout ce que me dit Alessio au lieu de casser ma coupe contre le sol et d'utiliser les morceaux de verres pour les lui enfoncer dans la gorge, mais je reviens à la raison quand je croise le regard de Kaï, qui ne me quitte jamais des yeux, même si plusieurs mètres nous séparent. Je suis si soulagée qu'il soit présent ce soir, ça rend tout cela moins anxiogène. Je me rattrape au bras d'Alessio quand je perd légèrement l'équilibre après qu'on m'ai bousculé. Mince, l'alcool me monte déjà à la tête et ne m'aide franchement pas à rester droite et équilibrée. Je soupire d'exaspération à la recherche de quelque chose de plus intéressant que les conversations d'Alessio et jette un coup d'oeil vers le bar derrière moi, pour voir s'il n'y a rien d'un peu plus fort à ingurgité que ce champagne, mais à part du whisky et ce champagne, il n'y a rien d'intéressant.

INCANDESCENCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant