INCANDESCENCE

Chapitre 73

Alec est appuyé contre la rembarre, sa cigarette tenue par le bout des doigts, et fixe l'horizon morose de la nuit. Je me pince les lèvres et m'approche lentement de lui, faisant abstraction de mes battements de coeur effrénés. 

-Tu m'en veux pour quelque chose ? 

Mes mots s'évanouissent dans la brise qui nous tourmente. Il tourne légèrement sa tête sur le coté et hausse les épaules d'un air dédaigneux.

-Non, tout va bien. Dit-il sèchement.

Je fronce les sourcils et m'appuie contre la rembarre moi aussi. Je fixe quelques secondes l'horizon puis prend mon courage à deux mains pour lui faire face.

-Arrête, pas à moi Alec. Je te connais suffisamment pour savoir que quelque chose te tracasse.

Il soupire et tire sur sa cigarette une grande taffe avant de jeter sa tête en arrière pour expirer la fumée et la regarder se dissoudre dans le ciel noir. Il brise les chants des criquets après quelques secondes de silence et me regarde droit dans les yeux.

-Je suis perdu Sara. Je sais plus où j'en suis. Putain, j'ai l'impression que nos journées sont de perpétuelles répétitions qui ne s'arrêtent jamais. 

Il se frotte le visage et soupire profondément, comme s'il se sentait soulager de m'avoir dit ce qu'il pensait. Je m'approche un peu plus de lui, collant mon corps légèrement au sien pour tenter de le rassurer.

-Tout va s'arrêter. On va avoir Alessio, on va le tuer, et on va s'en sortir à deux, comme on l'a toujours fais, ça va aller.

Il secoue sa tête et fuit mon regard pour le rapporter sur l'étendue désertique devant nous.

-Je ne parle pas uniquement de ça, je parle aussi de nous.

Une larme perle à ma paupière et quelque chose d'infime se brise en moi. Pendant un instant j'ai peur de ce qu'il pourrait me dire, et que je ne réussisse pas à changer la donne.

-Qu'est-ce qui ne va pas avec nous ? Dis-je d'une voix tremblotante.

Il ferme les yeux, serre ses paupières, se pince les lèvres, puis se tourne vers moi, plantant son regard au plus profond du mien sans retenu. 

-Je ne sais pas si notre relation mène à quelque chose. Je ne comprend pas ce que tu attends de moi dans tout ça.

-Tu ne peux pas me dire ça.

Ma voix est basse et s'éteint dans l'atmosphère. Il me regarde quelques instants dans les yeux avant de détourner son regard d'un air fuyard. J'ai l'impression qu'il s'inquiète plus de ce que je peux penser de lui plutôt que ce que lui peut penser de lui-même. Il se perd dans ses sentiments et je peux le comprendre, parce que ce sentiment de peur pour l'autre et d'attachement, je le ressens aussi. Il regarde autour de nous, comme s'il cherchait à fuir désespérément mais que son corps refusait de bouger, comme une force qui le maintiendrait proche du mien.

-Dis moi que tu ne le pense pas. Dit-il quand la légère brise du désert vient sécher la trace de la larme qui a coulée plus tôt sur ma joue.

Je fronce les sourcils.

-Que je ne pense pas quoi, Alec ?

Il grimace et serre ses doigts autour de la rembarre.

-Que tu ne penses pas que Taryn a raison, que tu ne devrais pas être avec quelqu'un comme...moi. 

Ses yeux me braquent et sa phrase me fait l'effet d'une balle dans la poitrine. Il dit ça de façon si personnelle, comme s'il était quelqu'un d'horrible et ça me blesse qu'il puisse penser une telle  chose. Il est la meilleure personne que j'ai rencontrée, et jamais je ne cesserais de le penser. Il est, et restera toujours Alec Antunes, celui qui m'a sauvé l'été dernier. Je voudrais qu'il arrête de toujours douter de lui par rapport à moi, parce que c'est bien la seule chose dont il doute toujours. Je pose ma main sur la sienne et instinctivement, ses doigts se desserrent et la jointure de ses doigts délaissent leur couleur blanche.