Partie 53

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- Dimanche, 14h 20.

Les mains dans les poches, je me plante devant Conrad. Ses yeux se posent vivement sur moi et l'éclair de peur qui passe à l'intérieur me fait sourire en coin. Ce n'est pas étonnant, j'ai vraiment eu envie de le tuer la dernière fois. Au fond, j'en rêve encore mais quelque chose a changé. Peut-être que j'ai grandi, que j'ai compris que la haine ne sert à rien. Non, ce n'est pas ça. J'ai pris du recul surtout. Et j'ai réalisé qu'il y a pire : le passé de Jayce. A ce souvenir, mon poing se serre et je souffle. Conrad se raidit et rapidement, je me détends. Je ne veux pas qu'il prenne peur. Du moins, pas plus. 

- Conrad.

- Tom, marmonne-t-il sans me lâcher du regard.

- Ça va comme tu veux ?, je balance cynique et son visage se referme.

- Dégage de là mec, grogne-t-il et je lève un sourcil.

- Tu ne veux pas qu'on discute ?

- Je ne suis pas certain qu'on est grand chose à se dire. Tes poings ont déjà bien parlé la dernière fois.

- Et j'ai terminé à l'hosto, je rajoute alors qu'il écarquille les sourcils. Ouais, j'ai une côté fêlée depuis trois semaines maintenant je crois. Je suis plus trop sûr...

- Qu'est-ce qu'il t'ait arrivé ?

- Je croyais que tu ne voulais pas parler ?, je ricane et ses poings se referment alors qu'il me fusille du regard.

Je n'oublie pas ce qu'il a fait il y a plusieurs mois. Je n'oublierai jamais. Mais voilà, je pense pouvoir pardonner. Ou au moins essayer. Sans même demander si je peux, je m'installe à côté de lui et m'affale contre le dossier, posant mes coudes dessus. Je vois ma mère et Kevin rigoler à quelques mètres alors qu'ils se foutent d'un gosse qui mange du sable. Ils sont aussi horribles que moi des fois. Je secoue la tête en rigolant puis me concentre sur Conrad qui est retourné dans ses pensées. De près, je peux enfin apercevoir les dégâts. Et ils ne sont pas super. Quelque part, ça me fait du bien de le voir dans un tel état mais ça me bouffe aussi. Ce n'est pas un mec qui cherche la merde plus que ça. OK, il a poussé Aismé à disparaître mais il n'a jamais été un salaud. Et de réaliser ça me fait grincer des dents. Si ça avait un connard fini, je n'aurai eu aucune scrupule à l'enfoncer, néanmoins là, il a quelque chose qui cloche et qui me pousse à lui tendre la main.

- Tu t'es fait passé à tabac ?, je souffle enfin en brisant le silence qui s'installe.

- Ça te regarde pas connard, siffle-t-il et je suis surpris par sa haine.

- Ce sont mes coups ?

- Tu as réellement cru être aussi fort que ça ?, se marre-t-il en me jetant un regard ironique et je roule des yeux.

Putain de merdeux. 

- Je t'ai plutôt bien roulé quand-même, je réplique et il détourne brutalement le regard, s'enfonçant dans un mutisme. Mec. J'ai pas été correct et j'en suis désolé. Je n'aurai pas dû agir comme je l'ai fais mais j'ai pété une durite. C'était Aismé, ma petite soeur. J'arrivais pas à croire que tu sois toujours là, avec ton petit sourire sans avoir aucuns scrupules. Ça m'a retourné les tripes et j'ai juste eu envie de te tuer. Quelques fois, j'en rêve encore quand la rage me reprend, quand je repense à elle, je marmonne et il tressaille. J'ai toujours envie de t'en coller une. Je crois que ça ne partira réellement jamais. C'est quand-même en grande partie de ta faute. Mais je suis aussi fautif, je l'ai finalement compris. Si j'avais été là, elle irait bien, elle continuerait de rigoler à mes blagues, de venir chez moi, de sourire. Elle ne serait pas morte, je me mords la lèvre alors que Conrad se raidit. Mais même si elle n'est plus avec nous, elle vit dans nos cœurs. Et je continuerai toujours de l'aimer. Et je crois qu'elle aurait aimé que j'arrête de me bouffer, de t'en vouloir et d'espérer pouvoir un jour la venger. Je viens de passer plusieurs mois à imaginer comment te retrouver, te tuer, t'enterrer sans jamais me faire chopper. Puis j'ai rencontré quelqu'un. Je suis tombé amoureux rapidement, je suis dingue de ce mec. Ouais, c'est un mec, je confirme quand il me lance un regard surpris. Et ferme ta gueule si tu comptes dire une merde. Bref, c'est grâce à lui que t'es encore en vie, assis sur ce banc. J'ai réalisé qu'il fallait passer à autre chose, grandir, pardonner. Il m'a fait comprendre qu'il y a tellement de choses sur cette Terre qu'il ne faut pas laisser passer, qu'il ne faut pas s'agripper à des souvenirs qui nous rongent. C'est lui qui me permet de reprendre goût à la vie, de me sentir mieux, de pouvoir à nouveau faire confiance, aimer, apprécier chaque instant que la vie m'offre. J'ai retrouvé une perle, qui brille tout autant dans mon cœur qu'à briller Aismé. Il ne la remplace pas, personne ne le pourra. Mais il sait me faire sentir vivant comme elle l'a fait à de nombreuses reprises. Alors ouais, pendant huit mois je me suis bouffé, j'ai voulu me foutre en l'air, la rejoindre. J'ai été blessé, j'ai pleuré, j'ai tenté de me suicider. J'ai voulu la venger, te faire payer, te réduire en poussière, te faire subir les mêmes misères. Sauf qu'aujourd'hui, je te pardonne. Je t'excuse d'avoir agi comme un salaud, d'avoir détruit la personne qui était tellement chère à mes yeux, que j'aimais du plus profond de mon coeur. Et je me pardonne. Je m'excuse d'avoir été assez aveugle pour ne pas comprendre qu'il y avait un soucis, je m'excuse de l'avoir laissé mourir. Parce que c'est ce que j'ai fait. Je n'ai pas attrapé sa main, je l'ai laissé se noyer. Mais je suis certain qu'elle ne nous en tient pas rigueur. Alors je fais une chose que je n'aurai jamais pensé faire, je nous pardonne. Et je te demande aussi pardon, je conclue en me redressant pour me tourner vers lui.

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