53

4.7K 416 98
                                    

SAM

Ça fait dix fois que Sonya récite les mêmes phrases en boucle :

—T'es vraiment con. Con, con et con. Tant qu'elle t'aime, la malédiction court toujours !

Elle tourne en rond, encore et encore en pestant :

—C'est pas en la sortant de ta vie qu'elle va t'oublier, bordel ! Elle va faire tout le contraire et s'attacher encore plus à toi ! Tu m'écoutes quand je te parle ?

La balle de tennis que je tiens entre les mains, rebondit sur le mur en face de moi. J'essaye d'oublier le putain de regard que Jeanne a lancé à Alex hier soir.

—C'est une impasse, marmonne Blaise en allongeant ses jambes sur la table basse devant nous.

On est dans notre SAS de décompression au « Black Horse ». Une mini pièce d'à peine vingt mètres carrés, juste en face du bureau du boss.

Qu'est-ce que je fais ici de bon matin ?
Je me faisais chier chez-moi. Ou plutôt je n'avais plus d'alcool. Ici c'est gratuit, j'ai pas réfléchi longtemps.

—Il doit aller en Pologne, continue Sonya en n'arrêtant pas de faire des longueurs dans la pièce. Tant qu'elle l'aimera, elle risque la mort.

—Mec, me dit Blaise alors que je continue de lancer ma balle contre le mur blanc en face de moi, si tu veux que Jeanne retombe amoureuse d'Alex, il doit venir avec nous.

—Oh putain je kiffe !

—La ferme Mitch, s'exclament à l'unisson Sonya et Blaise.

Heureusement que Jean est silencieux dans son coin. Il a les yeux rivés sur son portable, probablement en train de jouer à Bubble Shutle.

—On part quand ? je demande.

Sonya pile net.

Cool, je peux bien lancer ma balle sans craindre de lui en mettre une en pleine face.

—Dimanche soir.

—Laissez tomber, je rétorque. Son père ne sera jamais d'accord qu'elle parte aussi loin. Sans parler du passeport qu'elle n'a pas.

—Elle en a un.

Je soupire de dépit. Non seulement ils ont changé d'avis et ne veulent plus que je quitte Jeanne car le risque serait le même à cause de cette maudite tâche, mais en plus ils ont déjà tout organisé.

Sonya vient se poser sur le canapé à côté de moi. D'une voix presque douce, elle me questionne :

—Tu comptes lui faire la gueule encore longtemps ?

—Je lui fais pas la gueule. Je la laisse vivre.

—Va la chercher.

—Non.

—Moi j'y vais ! propose Mitch avec enthousiasme.

Je lui jette un regard noir.
Il mange pas de shokobons ni de sucettes. Étrangement, rien n'est dans sa bouche.
C'est suspect.

J'arrête mes lancés de balle pour m'affaler dans le canapé. Comme Blaise je pose mes pieds sur la table basse, croise les mains derrière ma nuque, et bascule la tête en arrière pour fermer les yeux.

Je ne sais plus où j'en suis. Même si je meurs d'envie de la revoir, ma raison m'ordonne d'agir en tant qu'adulte responsable pour une fois.

—Je la verrais dimanche, j'annonce sans grande conviction.

—Tu vas la laisser encore deux jours avec lui ? s'étrangle Mitch.

—C'est mieux comme ça, je rétorque en serrant les poings. Par contre, hors de question qu'il vienne avec nous.

La porte s'ouvre en grand, et la tête de Warwick apparaît. Il fixe ses yeux glacials sur moi, avant de déclarer :

—Ta femme est ici.

—Ma copiiiine ! hurle Mitch comme un hystérique en bondissant de sa chaise.

Toute gênée, Jeanne apparaît tête baissée comme si elle nous dérangeait.

Le gros nounours court vers elle pour la prendre dans ses bras, et je peux pas m'empêcher d'admirer ma femme. Elle est belle, incroyablement belle. Bien que ses cheveux mal coiffés cachent une partie de son visage, j'arrive pas à détacher mon regard de son doux visage.

Warwick froid comme un igloo referme la porte derrière lui pour nous laisser tranquille. C'est la première fois qu'il appelle Jeanne « ma femme ».
Aurait-il donc accepté notre mariage ?

Non, pas de mariage.
Je dois me ressaisir.
Elle aime toujours Alex, et le souvenir d'hier soir me fait redescendre sur terre.

La balle de tennis que je tiens nerveusement en main, se retrouve à faire des rebonds contre le mur.

Sonya, Blaise et Jean se lèvent à leur tour pour saluer Jeanne. Je choisis de rester loin d'elle.

—Bouge ton cul gros, m'ordonne Mitch à voix basse. Et va au moins lui dire bonjour.

Ma balle s'écrase si violemment contre le mur, que j'espère le trouer par ma rage.

Mais quand soudain plus aucune voix ne peuple la pièce et que la porte claque une deuxième fois, je sens l'entourloupe. Il y a qu'une seule respiration qui résonne, juste derrière moi, et je sais que c'est elle.

Putain.

Ma balle s'abat avec fracas contre le mur. Plusieurs fois. Je dois évacuer mon stress. Ma colère. Ce rejet et ce chagrin qui m'asphyxient depuis hier soir.

—Sam...?

Pourquoi sa voix enveloppe mon cœur de chaleur ?
Pourquoi je me sens si faible en face d'elle ? J'ai juste à lui dire que j'ai changé d'avis sur nous deux, pour la laisser avec l'autre abruti.

—Ça va pas ?

Tout doucement, elle se pose sur le canapé en gardant tout de même une certaine distance.
Ma haine est si visible ?

—Tu l'as embrassé ?

Ma voix froide la fait sursauter.

Un silence étouffant entoure le Sas.
Je continue mes lancés en attendant une réponse qui ne vient pas.

—C'est lui, répond-elle enfin dans un murmure. Je voulais pas...

La colère jaillit, explose dans mon corps tout entier.
Il l'a vraiment embrassée ?

Ma balle atterrit sur l'écran plat et le pulvérise en deux.

Jeanne commence à pleurer silencieusement, mais je me sens trop trahi pour la regarder.

—Tu l'aimes ? je demande froidement.

—Non !

—Alors pourquoi tu l'as laissé faire ? je hurle en braquant mon regard noir sur elle.

Ses yeux chocolats sont emplis de larmes de tristesse. Elle est mal, vraiment mal, mais ma colère est telle que je préfère sortir d'ici avant de faire une connerie.

___

Just Play 2  (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant