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Une semaine plus tard

JEANNE

Je me gare devant la maison de retraite en plein centre-ville de Nice. Sous le magnifique soleil estival, je m'apprête à débuter mon service de cette après-midi.

Les portes coulissantes s'ouvrent et je pénètre dans mon univers merveilleux. L'entrée donne sur un immense salon de cent mètres carrés, dont les murs sont recouverts de lambris en bois foncé, avec plusieurs lumières tamisées. C'est mon endroit préféré de cette maison de retraite. Le parfum boisé qui entoure ce lieu m'apporte un sentiment de sérénité que j'affectionne tout particulièrement.

Comme d'habitude, je vais m'asseoir avec les résidents qui ont déjà fini de déjeuner. Je ne pense plus à l'enterrement d'Alex qui a eu lieu hier, ni à la douleur de sa mère.
Je pense même plus à Sam et à la claque magistrale que je lui ai mis il y a déjà une semaine. Il s'y attendait pas, mais purée ça m'a fait un bien fou. Je lui ai juste dit « voilà », avant de sauter dans ma voiture pour partir.

Bien évidemment il m'a pas retenue. Aucun mot n'est sorti de sa bouche qui est restée sidérée.

Je glousse intérieurement en repensant à sa réaction, même si mon coeur vit un véritable supplice. Il m'a pas recontactée. Ni un sms, rien.
Ptit con.

Heureusement mes deux mamies préférées me sortent de mes pensées. Grâce à elles, j'oublie ma vie de merde et me consacre à 200% à mon boulot d'animatrice ici. J'occupe aussi mon temps avec mes courses de moto illicites, mais ça c'est une autre histoire.

Après avoir échangé des banalités, je me lève pour me diriger vers mon petit cagibi où trônent toutes mes affaires. Des pots de peintures, de colles, des grandes feuilles de dessin, des rubans multicolores, des craies, des ardoises...Mais ce qui m'intéresse particulièrement aujourd'hui, c'est une petite boite en carton.

Je ressors dans le couloir pour me diriger dans le salon, et retrouver les participants du jour. Hier ils étaient douze, j'espère en avoir plus cette après-midi.
À peine arrivée, je croise Marion, ma meilleure amie ici, qui est aide-soignante. Ça fait trois mois qu'elle me connaît, moi et toute ma drôle de vie. Elle est un peu enrobée, avec une allure de garçon manqué, mais elle est très gentille, très à l'écoute, et surtout douée pour me donner des conseils pertinents.

—Toujours ok pour le cinéma ce soir ?

Je lui fais trois bises, avant de lui confirmer.

—Alors t'as prévu quoi cette aprèm ?

—Cache-cache.

—T'es pas sérieuse ? lâche-t-elle en rigolant.

—Si. Mais je vais changer l'intitulé pour éviter que ça fasse trop enfantin. L'animation s'appellera: « Trouve-moi si tu peux ».

Devant mon air fier, elle éclate de rire.

—T'es folle ! Tu peux pas demander aux vieux de se cacher, tu les retrouveras jamais !

—C'est là qu'intervient ma petite boite magique.

Je l'ouvre tout doucement, et des dizaines de clochettes lui sourient.

—Tu vas leur mettre ces trucs autour du cou ?

—Mais non ! Ils vont devoir les agiter quand ils m'entendront rentrer dans la pièce où ils sont cachés.

—Ça va jamais marcher ton truc, soupire-t-elle d'un air halluciné.

—Tu verras !

Avec un sourire malicieux aux lèvres, je referme ma précieuse boite, avant d'aller rejoindre joyeusement ma troupe de joueurs.

Quand je présente l'idée de la partie de cache-cache, trente-quatre personnes âgées lèvent immédiatement la main, de manière très enthousiaste.

Le jeu débute que vers quinze heures car il a fallu que j'insiste sur les règles, notamment la plus importante : se cacher qu'au niveau du rez-de-chaussée.
Je suis certaine que la moitié d'entre eux ont fait semblant d'acquiescer, trop impatients de commencer. Mais au moins ils partent tous se cacher avec leurs clochettes en main.

Les dix premières minutes, l'établissement vibre avec des sons délicieux, des tintements de toutes les clochettes.

Quand l'heure arrive d'aller les chercher, le directeur m'arrête dans mon élan.

—Pouvez-vous m'expliquer Mademoiselle Castello, pourquoi j'ai l'impression d'être dans une prairie ?

Les bras croisés sur son torse, son visage n'émet aucun sourire. Il me toise d'un air un peu furieux.

—Bonjour Monsieur, je réponds poliment. Nous jouons à cache-cache.

Un toux forte et incontrôlable s'échappe de sa gorge. Comme s'il allait s'étouffer.
Puis sa mine se décompose, noircie, si bien que je préfère garder mon sourire au fond de moi.

J'ai le sentiment que pleins de phrases se bousculent dans sa tête et qu'il sait pas laquelle choisir. Ses yeux me fixent grands ouverts, et comme un grand débat intérieur semble l'animer, j'en profite pour vite m'éloigner.

Mais il saisit mon bras et retrouve la parole.

—Vous viendrez me voir à la fin de votre service.

J'acquiesce avec un sourire innocent, avant de tourner les talons pour aller jouer.

Trente minutes plus tard, voici le constat. Sur les trente-quatre personnes âgées, huit n'ont pas eu le temps de se cacher, ou n'ont pas compris les règles.
Je les ai trouvé assises ou allongées dans leur chambre, d'autres debout dans les couloirs, et enfin deux étaient affalés devant la télévision d'un autre petit salon.

À présent il me reste encore vingt-six vrais joueurs à trouver.

L'heure passe, je réussis à en démasquer vingt-deux. Ils ont bien joué le jeu avec leurs clochettes. Dès qu'ils ont entendu que je m'approchais, ils l'ont fait sonner. Des vrais Gamers, cachés dans des recoins de leur chambre, derrière des arbres du jardin, dans la salle de kinésithérapie ou encore dans les toilettes communes.

Mais les quatre derniers semblent volatilisés.
Je mobilise alors d'autres personnes âgées pour qu'ils m'aident.
Mais je les perds aussi de vue.

La partie devient de plus en plus intéressante. Plus passionnante que jamais.

—Je crois que tu fais ça pour perdre ton job, me lance Marion alors qu'elle cherche avec moi dans le restaurant de l'établissement. Je vois pas d'autre explication.

—Ça va, il en manque plus que onze, c'est pas la fin du monde.

Je soulève les nappes pour chercher sous les tables, pendant que mon amie continue de marmonner.

Après des minutes de recherches intensives, on ressort du restaurant. Je lui demande d'aller refaire un tour au rez-de-chaussée, pendant que je vais vérifier les étages.

D'un pas excité, je me rue vers l'ascenseur avant que le directeur constate que des résidents ont disparus, mais un bras attrape mon poignet.

Je me tourne pour tomber nez à nez sur Sam.

Just Play 2  (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant