2- L'aléatoire de la vie

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Étrangement, le garçon ne répondait pas de suite. Il maintenait le contact visuel, que je m'efforçais à mon tour de ne pas rompre. Je m'en voulais à ce point d'être victime de ma timidité. Car, je dois bien le reconnaître, cela était déroutant pour moi de fixer quelqu'un que je ne connaissais absolument pas. Et, qui soit dit en passant, possédait un regard charismatique. Tellement charismatique, qu'aucun mot ne pourrait décrire ce que je ressentais précisément lorsque son regard me scrutait.

— Je... euh... je crois qu'on t'as appelé, soufflais-je d'une voix légère, si légère qu'elle en devenait presque inaudible.

Soudain, il se redressait, avant de prendre la parole, en serrant les poings. Instinctivement, je faisais un pas en arrière, en me crispant. Il le remarquait aussitôt. En cet instant, il paraissait si dangereux, me dépassant d'une tête. Comment ne m'en étais-je point aperçu plus tôt ? C'était à cause de ses jolis yeux bleutés ça !
À quoi jouait-il ?
Il commençait à m'effrayer.

— Tu sais où passer la nuit ? Demanda-t-il timidement, en relâchant ses mains.

— Bon on ne va pas camper là nous ! Relança son pote, aux cheveux mi-longs. On décale. Au pire tu nous rejoins avec ta princesse ?

— J'arrive les gars, je vous rejoins ! Soupira-t-il en leur jetant un bref coup d'œil. Et elle n'est pas ma princesse.

Je reportais mon attention sur lui.
Est-ce qu'il venait réellement de me prendre pour une sans domicile fixe ou bien, je l'avais simplement rêvé ?
Énervée, et déçue de passer pour quelqu'un vivant à la rue, alors que j'avais fait l'effort de me maquiller et de me coiffer pour mes vingt ans, je lançais d'une voix sèche, qui m'étonnait, les mots suivants :

— Je ne suis pas une fille de rue, je partage un appartement en colocation ! Je ne suis pas seule ! Ta curiosité déplacée tu peux donc la garder pour toi. Je commençais à me retourner, avant de m'arrêter. Je lui jetais un regard pas très sympathique. Ah, et pour info, je fête mes vingt ans ce soir, et... (Il venait de tout gâcher. Mais je ne pouvais pas reprocher à un inconnu d'avoir foutu en l'air toute ma soirée.) Et je m'en vais de ce pas retrouver mes amis, qui sont sans aucun doute plus cool que les tiens.

Pourquoi est-ce que j'avais dit ça ? Je n'en savais rien. Je crois bien que je n'aurais jamais aucune réponse. C'était sous l'effet de la colère. Je me sentais humiliée.
Ce que je venais de dire était pitoyable, du premier mot jusqu'au dernier. Cela n'avait ni queue ni tête. Pourtant je venais de lui cracher tout ce que j'avais sur le coeur.
Ça fait donc ça de dire réellement ce qu'on pense ? C'est une sensation étrange que j'éprouvais là.
Le pauvre garçon me regardait, les yeux grands ouverts ; il ne comprenait rien. Ça tombait bien, moi non plus, je ne me comprenais pas.

Je faisais donc demi-tour pour de bon, décidant de ne pas passer outre le fait que je venais sûrement de lui confirmer sa première impression vis à vis de moi : j'étais folle.

— J'essayais juste de vaincre ma timidité, soufflait-il sur un ton d'amertume, juste avant que je ne sois trop loin pour pouvoir l'entendre.

Je ne m'arrêtais pas. Pourtant, j'aurai dû en y repensant. J'aurai dû faire demi-tour et m'excuser de mon comportement excessif, car oui, je le clamais, sans fierté bien évidemment, mais j'étais excessive.
Lorsque je me sentais vexée ou totalement désarmée face à une situation qui m'était encore inconnue ; comme celle qui venait juste de se produire, je réagissais toujours de manière excessive. Et bien souvent, les mots dépassaient mes pensées.
Quelle nulle ! pensais-je.
Je venais de vexer un pauvre garçon, qui tentait juste de vaincre sa timidité.
Ce que je pouvais me trouver idiote, me haïssant beaucoup trop. J'avais une telle fierté que je ne pouvais pas m'excuser, alors je pressais le pas. Quittant les lieux du crime telle une voleuse. J'en étais absolument pas fière. Je venais de décourager un pauvre garçon.

Quelle soirée de merde pour mes vingt ans. En même temps, avec mon pessimisme je n'avais rien mit en œuvre pour passer une excellente soirée. J'espérais qu'une chose c'était de ne jamais le recroiser.
Pourtant, ce que j'appréciais avec l'aléatoire de la vie, c'est ce que d'un instant à un autre tout peut cesser. Ton coeur peut s'arrêter de battre comme redémarrer dans la seconde qui suit. Tu peux cesser d'exister. Mais tu peux aussi rencontrer des gens à un moment de ta vie où tu ne devais pas te trouver. Tu peux même sauver des gens sans en avoir conscience, tu peux provoquer des situations.

Continuant ma route, je me laisser engloutir par mes pensées, plus ou moins sombres.
Pourrais-je cesser de me prendre la tête, ne serait-ce que pour un instant ? pensais-je en m'asseyant sur un banc, dans le parc juste à côté de chez moi.
Brusquement, l'inspiration me prenait et je ressentais le besoin de mettre mon mal être à plat. Je m'en voulais beaucoup pour ce qu'il venait de se passer, je m'emportais trop facilement, et je déballais ma colère contre des gens innocents. Mon problème était là : j'avais beau critiquer toutes les filles qui deviennent rapidement accros à des garçons dont elles ont uniquement croisé le regard ténébreux, et voilà qu'elles s'emportent déjà ; la robe, le choix des prénoms, l'appartement ou la maison, et puis, pourquoi pas un animal de compagnie, tant qu'on y est !
Le voilà mon problème, j'ai beau critiquer ce genre de filles qui me sort par les yeux, mais j'en faisais moi aussi parti. Malgré cette pensée qui me faisait mal au coeur, je me rendais compte que je me détestais toujours autant. J'avais naïvement pensé qu'en quittant mes parents, j'arrivais à trouver un terrain d'entente avec l'autre moi. Ce qu'on peut être naïf lorsqu'on est jeune. On est jeune et con.

— Je ne suis que le reflet des autres, soupirais-je dans le noir.

Je jetais un coup d'œil à ce que j'avais écrit il y a une semaine déjà, dans l'application "mes notes" sur mon cellulaire.

J'ai envie de tout foutre en l'air.
D'envoyer tout ce que j'ai construit en l'air.
Je sais même pas ce que j'écris, d'façon c'est de la merde tout comme moi,
Ça rime à rien et ça sert à rien, mais pourtant je le crie, mais je sais que j'en suis capable moi,
De tout foutre en l'air
Ça fait trop longtemps q'je veux le faire,
J'aimerai bien voir les conséquences de mes actes,
Mais je manque trop de tact pour oser passer à l'acte,
Alors je me contente de le mettre à l'écris sur une feuille de papier,
Comme enfermé dans un coffre fort sous mes pieds,
Là où je sais que personne ne viendra me lire,
Parce qu'ils aurait trop peur de me découvrir,
Sous un nouveau jour,
Et dans une nouvelle cour,
Je cris, je pleure, j'explose,
Et j'expose ma rage au grand jour,
Où je suis certaine que personne ne pourra s'y introduire.

C'était bien dépressif tout ça. Mais malheureusement ce n'était autre que mes tristes pensées.

〉𝑭𝒆́𝒍𝒊𝒏𝒔 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒍'𝒂𝒖𝒕𝒓𝒆 [𝑻𝒆𝒓𝒎𝒊𝒏𝒆́]〈Où les histoires vivent. Découvrez maintenant