32- Un retour à la réalité difficile

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— En tout cas tu as l'air d'être en forme mec !

Je mettais quelques minutes à revenir à moi, entendant très nettement deux voix s'élever dans la pièce. Mes yeux rencontraient en premier lieu un plafond blanc. Prise d'une panique, je me redressais aussitôt ; avant d'observer deux paires de yeux entrain de me fixer. Penaude, je me frottais les yeux. Théo. Puis Idriss.
Idriss.
Je me redressais aussitôt, manquant de tomber, je venais de me lever trop vite. Lorsque ma vue se dégageait, je me hâtais vers le lit.
Théo rigolait tandis que je saluais timidement le blessé. Le fait de le revoir sain et sauf, me faisait infiniment plaisir ; mais l'image de mon cauchemar où il me suppliait de le tuer, me revenait bien trop vite en mémoire. Une grimace s'étirait sur mon visage, grimace qui ne le laissait point indifférent ; puisqu'il me demandait si ça allait.

— C'est plutôt à moi de te poser la question, souriais-je.

Idriss ne releva pas le fait que je ne lui donne pas de réponse. Il se contenta simplement de froncer légèrement les sourcils. Théo était entrain de pianoter sur son portable afin de prévenir les garçons que leur pote était tiré d'affaire. Je ne le quittais pas du regard. Il était en vie. J'avais encore du mal à y croire, tant les abominables images de la veille ne cessaient de me revenir en mémoire. Idriss était tiré d'affaire et en parfaite santé. Il me fixait lui aussi, ses yeux semblaient vouloir me dire quelque chose mais un cri soudain m'obligea à détourner précipitamment le regard.
Idriss se redressa à son tour, empoignant les barrières grises de chaque côtés de son matelas. Au même instant, Théo relevait doucement la tête avant de se mordre la lèvre inférieure. Son regard allait de son ami à moi, il semblait aussi surprit que nous puis soudain, il lâcha son portable.

— C'était quoi ça ? Demanda précipitamment Idriss.

— Quoi quoi ? Questionna son pote en haussant les épaules.

— Ce cri. C'était de toi ? Intervenais-je le plus calmement possible.

Théo comprenait alors ce qui nous avait dérangé. Depuis la veille, j'étais très sensible à chaque bruits que j'entendais et les cris ne m'indiquaient plus rien de bon à présent. Théo  se frotta rapidement les mains après avoir fourré son téléphone dans sa poche avant. Il se baladait sur Facebook et une pub vidéo s'y était affiché, il avait oublié d'enlever le son.

— Oh ! Je suis sincèrement désolé, je ne tenais pas à vous effrayer et...

— C'est rien, le coupa brusquement Idriss.

— Les gars, poursuivit-il en ignorant son ami, ils sont en route.

Mais j'observais les paupières du blessé commencer à se fermer. Je remarquais alors qu'il était encore sous morphine pour faire passer la douleur. Idriss me lança un dernier regard avant de balancer sa tête en arrière ; il se laissa emporter par le sommeil.
Théo me jeta un coup d'œil perplexe, puis il secoua son cellulaire en se forçant un léger sourire.

— Bon... ils arrivent quand même.

Je restais un instant figé sur place, ne sachant que faire ni même si je devais rester là, avant de finalement quitter la pièce.

— Tu vas où ? S'inquiéta aussitôt Théo.

— Je vais me chercher de l'eau. Je reviens.

Je descendais m'acheter une boisson, j'avais la gorge sèche. Depuis combien de temps je n'avais pas bu ? Plusieurs heures en tout cas ! Je m'empressais de me prendre une bouteille d'eau, avant de tirer une chaise et de m'y assoir. En buvant quelques gorgées, mes pensées s'égaraient tandis que j'observais d'un œil distrait des patients passer devant moi.

C'est quoi la vie ? C'est quoi vivre au fond ? Pourquoi on est là ? Est-ce que c'est nécessaire de ressentir cette putain de souffrance ? Est-ce nécessaire pour se sentir vivant ? Pourquoi je suis là ? Pourquoi est-ce que j'ai autant mal ? Genre tout le temps ? Pourquoi je suis moi ? Pourquoi est-ce que j'ai le sentiment que c'est la petite fille qui pense et non l'adulte ? Est-ce qu'au fond l'adulte est aussi douée qu'elle ? Ou il n'y a qu'elle qui pense ? Dans ces cas là il ne faut pas que je la laisse partir. C'est vrai, qu'est-ce que je suis sans mes pensées moi ? D'un côté c'est cool si elle se calme parce que ma douleur s'apaisera mais de l'autre, si je ne suis plus capable de penser ça ne sert à rien. Toutes mes pensées s'emmêlent et au final, je vois tout sombre. Comme d'habitude. Je n'arrive jamais à décerner le positif du négatif, soit-il tenté qu'il n'y ait pas de négatif non plus... Bref je suis une merde depuis vingt ans et c'est pas près d'évoluer.
Que faire quand la douleur est trop forte, et qu'elle l'emporte sur la raison ? pensais-je. Peut-être qu'il faut passer par de grandes périodes de tristesse avant de goûter au bonheur ?
Mon portable vibrait et je reprenais aussitôt conscience de mon environnement. J'avais encore eu une absence, et en baissant les yeux sur mon cellulaire j'observais que c'était Théo qui me demandait où j'étais. Je ne prenais guère la peine de répondre, m'engageant déjà dans le long couloir qui empestait la souffrance ; afin de retrouver les garçons.
Je me sens vide. Vidée de toute émotion. Je ressens encore des choses mais plus rien ne m'atteint vraiment.

J'ouvrais la porte, les garçons étaient déjà tous là, entrain de discuter autour du lit du blessé. Aucun d'eux ne semblaient avoir remarqué ma présence et c'était sûrement mieux ainsi. J'hésitais pendant un bref instant à déguerpir, à prendre la fuite comme je le faisais à chaque fois que je trouvais une situation trop dérangeante. Mais alors que je m'apprêtais à faire volte-face, la voix de Hakim m'interpellait dans mes mouvements.

— Là voilà enfin.

Il m'invita à entrer, je pénétrais dans la chambre où Idriss était réveillé. Il discutait gaiement avec Ken et Théo. Il me lançait un coup d'œil en coin alors que je me postais devant son aîné.
Lorsque je me trouvais à sa hauteur, Hakim inclina légèrement la tête de façon à ce que seulement moi puisse l'entendre.

— J'ai besoin de te parler seul à seul.

Je fronçais les sourcils en commençant à me poser mille et une questions.

— Tout de suite. C'est possible ?

J'acquiesçais cependant malgré mon air méfiant. Le ton sur lequel son frère venait de me parler, ne me disait rien qui aille. Mais j'acceptais tout de même. Je n'avais rien à perdre à écouter ce qu'il avait à me dire.
Est-ce qu'il m'en voulait encore par rapport à hier ?  pensais-je.
Je ne pense pas, pas après la discussion que nous avions partagé tard dans la nuit.
On s'éloigna alors sous les coups d'œil furtif de la part de son cadet, puis je refermais la porte. Hakim m'invita à me décaler de la porte puis il ouvrit grand ses bras.

— Viens là.

Sans comprendre ce qu'il se passait, je restais figé.

— Je sais que tu en as chié la veille, tu as le droit de craquer, indiqua-t-il doucement.

Ce fut le mot de trop et je faisais un pas en avant, avant de me jeter dans ses bras qu'il refermait aussitôt autour de mes épaules. Hakim était vraiment quelqu'un de rassurant et je me sentais bien et surtout à l'abri dans ses bras. À l'abri des autres mais surtout à l'abri de leurs regards qui m'étaient devenu insupportables. J'avais comme l'impression qu'ils attendaient tous que je craque, le moment propice pour me parler et me rassurer. Moi, tout ce que je voulais c'était qu'on me foute la paix et que je puisse gérer moi-même mon chagrin et ma colère. Mais Hakim n'était pas de cet avis, il ne tenait à me laisser seule. Et maintenant je comprenais pourquoi il voulait tant être là pour moi, pourquoi il ne tenait pas à ce que je sois seule durant cette épreuve ; c'est qu'il l'avait vécu lui même. Il était déjà passé par ce chemin plusieurs fois et à chacune d'entre elles, il avait toujours été seul. Et Hakim pouvait supporter la solitude ou du moins c'est l'image qu'il se donnait mais il savait que moi, contrairement à lui, j'en étais incapable. Je le remerciais en le serrant un peu plus fort dans mes bras, de me comprendre sans me parler. Son silence était reposant et je me sentais bien ; je laissais sortir ma tristesse et ma colère, quelques larmes s'échappèrent mais je me sentais déjà plus à l'aise. Finalement, je n'avais peut-être pas à traverser cela toute seule.

〉𝑭𝒆́𝒍𝒊𝒏𝒔 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒍'𝒂𝒖𝒕𝒓𝒆 [𝑻𝒆𝒓𝒎𝒊𝒏𝒆́]〈Où les histoires vivent. Découvrez maintenant