Troppo tardi - Trop tard

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Point de vue Cristiano

Je remonte de mon petit-déjeuner à la cuisine pour retourner dans ma chambre mais avant je voudrais aller chercher Reina et la réconforter si il faut. Tout est si froid en ce matin de juin.
La nuit précédente a été une des plus sinistres de ma vie : les cris et les pleurs de Reina m'ont déchiré le cœur puis il a fallu prévenir les parents d'Enzo. Constancia et son mari Mario se sont effondrés sans aucun bruit sur des chaises. Puis, nous avons prévenu sa sœur Anna et Paolo, Anna qui est enceinte a pleuré en silence tandis que Paolo la berçait doucement sur ses genoux. Giulia a été mise au courant tôt ce matin car elle dormait encore au moment de la réception du colis.
Hier soir, j'ai été chargé d'accompagner Reina à son lit. Elle avait hurlé longtemps le nom de son si cher cousin, et elle a tant pleuré que sa gorge en était desséchée. Je lui ai apporté trois verres d'eau avant qu'elle ne se couche finalement vers trois heures du matin. Je l'ai veillée une demie heure assis dans un fauteuil tout en pensant au peu de moments que j'ai partagé avec Enzo. Il m'avait touché, aidé à me mettre face à la réalité de mes propres sentiments. Il était très mature et il était prêt lui aussi à s'investir avec quelqu'un. Quand je pense que j'ai été jaloux de lui...

Je me passe une main sur le visage avant de frapper à la porte de Reina. Pas de réponse, elle doit dormir encore sans doutes. Je pousse alors la porte et découvre le lit défait mais vide. J'avance de quelques pas et regarde tour à tour dans le dressing puis la salle de bain puis le balcon. Mais rien ni personne. Alors je fais demi tour et réfléchis avant de foncer vers son bureau qui est juste à l'autre bout du couloir. Je cours mais me stoppe net en approchant de la porte. J'entends sa voix, elle parle au téléphone. Je patiente quelques secondes avant de frapper à la porte. Je veux faire des efforts pour ne pas l'énerver.

Reina: Entrez !

Sa voix est sèche, dure, tranchante. J'entre puis referme la porte derrière moi sans vraiment la regarder. Mais lorsque je pose enfin les yeux sur elle, je suis interloqué à tel point que j'écarquille tant les yeux qu'ils pourraient prendre leur indépendance. Elle me regarde elle aussi, les bras posés sur le bord du bureau au plateau de marbre gris, la tête haute et droite.

Reina: Me regarde pas comme ça, assieds-toi.

J'avance très lentement vers le fauteuil en velours bordeaux qui est disposé en face de son bureau. Je marque une pause avant de m'assoir. Je l'observe en fronçant les sourcils. Elle est en tailleur noir très strict avec une broche Chanel en perle sur le pan de sa veste. Ses médailles de baptême sont la seule touche de lumière sur son ensemble foncé. Les chaussures grises en daim sont à peine visibles sous le pantalon palazzo qu'elle porte. Ses cheveux sont remontés en un chignon banane et son maquillage est parfait. Il ne cache pas toutes les traces de larmes mais il est efficaces. Son visage est fermé, il ne laisse passer aucune émotion quant à ses yeux, ils sont perçants, froids.

Reina: Qu'est-ce qui a ?
Moi: Qu'est-ce que tu fais ?
Reina: Je travaille comme tu vois, je viens d'avoir Paco. L'équipe pour retrouver Enzo est arrivée sur les lieux de la photo, ils sont en train de chercher.
Moi: Je veux dire, c'est bizarre de te voir comme ça.

Elle me regarde intensément dans les yeux un instant et finit par comprendre ce que signifie les paroles.

Reina: Enzo n'aurait pas voulu que je me laisse aller. J'ai un clan à diriger maintenant, des familles aussi endeuillées comptent sur moi et je dois m'occuper de ceux qui ont fait cela à mon cousin.

Je sens la haine et la colère dans sa voix. Elle est passée de l'extrême émotion à l'extrême impassibilité. Dans le fond, ça ne me surprend pas tellement que ça quand on connaît le personnage. Elle décroche le téléphone et me fait signe d'approcher. Je me lève alors et contourne le bureau pour me retrouver à côté d'elle. Je m'appuie d'une main sur le dossier de son siège et de l'autre sur le bureau. Elle se met à taper un numéro de téléphone quand quelqu'un vient frapper à sa porte.
Nous relevons tout les deux la tête avant qu'elle autorise l'entrée. La porte s'ouvre puis se referme, laissant entrer ses cousines Chiara et Gina, des jumelles parfaites. Cheveux châtains très longs et lisses, yeux noisettes, légères taches de rousseur sur le haut des pommettes, des corps bien formés mais pas aussi beaux que celui de Reina. Elles ont peu de caractère, elles sont cependant très gentilles et douces, souvent ennuyées mais sans force dans les paroles et les gestes. Les filles du frère d'Angelo, Giorgio et sa femme Maria s'avancent jusque devant le bureau. À voir leurs visages baissés, elles sont préoccupées. Reina attend leurs mots en fronçant légèrement ses sourcils.

Chiara: Nous venons te voir pour, pour te dire quelque chose que nous devions dire depuis longtemps. Maintenant, il est trop tard mais mieux vaux tard que jamais...

Elles ont du culot pour venir dire ça à dix heures du matin, dans le bureau de Reina après la mort de leur cousin. Mais elle ne bouge pas, ne dit rien et attend encore. Les deux filles se tortillent le doigts mais finissent par parler chacune leur tour.

Gina: Il y'a plus d'un an et demi, nous avons rencontré deux garçons dans un lounge de Rome. Ils étaient gentils, drôles, doux. On les a revus souvent chacune de notre côté puis, nous sommes tombées amoureuses.
Reina: Vous venez me demander ma bénédiction ?
Chiara: Pas vraiment... On sait que tu cherches une solution pour réunifier les familles. Et, on l'a peut-être...
Reina: Et bien, parlez.
Gina: C'est que... on ne pense pas que cela t'enchante. Je veux dire que notre situation avec ces garçons se croise avec la situation du clan.

Je vois les doigts de Reina se crisper sur le bureau, ses ongles pourraient rayer le marbre tellement elle est tendue. J'ai du mal à comprendre mais en réfléchissant une minute, j'ai soudain un éclair de lucidité et je me dis que les minutes qui vont suivre risque de ressembler à une forme d'apocalypse. Je n'ai plus très envie d'être là et je ne suis pas sûr de vouloir assister à cette conversation. Mais Reina à besoin de quelqu'un pour l'épauler et puis je suis incapable de la laisser donc je reste.

Chiara: Je suis tombé amoureuse de Carlo et Gina de Tullio. Carlo Vigoda et Tullio Cazale.

Je m'écarte du bureau, plus que perplexe même si c'est exactement ce à quoi j'avais pensé. Reina se lève brusquement et pointé du doigt ses cousines qui baissent la tête et ne bougent pas d'un cheveu.

Reina: Vous vous foutez de ma gueule ?! Enzo vient de mourrir de la main de ces chiens et vous, vous ne trouvez rien de mieux à faire que de m'annoncer que vous voulez épouser les meurtriers de membres du clan et de votre cousin ! Mais vous êtes folles !
Gina: On voulait en parler avant mais les garçons disaient que ce n'était pas le bon moment...
Reina: Fermes la ! Bien sûr que ce n'était pas le bon moment ! Leurs pères prévoyaient de me tuer ! Comment ?! Comment avez-vous fait pour tomber amoureuses D'EUX ?!
Chiara: C'était par hasard, à l'époque il n'y avait pas de tensions. Nous n'étions pas au courant des plans de leurs pères tout simplement parce qu'eux mêmes ne savaient rien.
Reina: Vous allez me faire croire qu'ils sont totalement innocents ?!
Chiara: Ils le sont, nous devions nous réfugier en Sicile il y'a deux mois, venir près de toi pour que tu les rencontre puis on aurait demander ta bénédiction et on serait tous restés ici. Ils ne voulaient, ni l'un ni l'autre prendre la place de leurs pères.

L'émotion dont font preuve Chiara et Gina est peut-être due en partie aux cris de Reina qui se contient pour ne pas détruire entièrement la pièce. Mais aussi au fait de leur projet manqué et de leur tristesse.

TronoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant