Alors comme ça, on parle de moi à quatre heures de l'après-midi alors que je suis arrivé il y'a seulement cinq heures.
Apparement, quelqu'un a entendu ou rapporté la conversation que j'ai eu ce matin avec les hommes qui m'ont accueilli. J'ai comme la nette impression qu'on ne voudra pas vraiment m'aider ici ; et je sais que l'Omertà est présente partout, même dans les villes. Cela sera un obstacle de plus. Mais j'ai aussi entendu qu'il y avait un grand-père dans cette histoire et qu'il était dehors en ce moment. Enfin quelque chose qui serait susceptible de m'aider ! Mais il me reste à le trouver parmi tous les hommes qui sont dehors, à boire un verre dans les bars.
Tant pis ! Je me lève et range les papiers dans la poche intérieure de ma veste que je tiens à mon bras avant de repartir en exploration. Je n'ai pas la moindre idée de la tête de l'homme que je cherche mais j'entame quand même une petite marche pour me familiariser et si possible, glaner quelques infos. Je marche lentement pendant une heure en empruntant toutes les rues que je rencontre. Je suis de plus en plus émerveillé par le charme certain de la ville mais la chaleur est toujours présente, pourtant aucune conversation, aucune personne n'a attiré mon attention. J'ai l'impression de tourner en rond et poser des questions risquerait de me griller encore plus. Je juge alors bon de faire une pause et entre dans un petit bar sur la partie haute de la ville pour me désaltérer.
Un petit rez de chaussée de maison à trois niveaux collé entre deux autres bâtiments, aux balcons décorés de fleurs rouges plantées dans des pots en terre anciens. La décoration à l'intérieur du bar est rustique, dans l'univers du village : tout dans la tradition. Je demande un verre d'eau citronnée et m'assois sur une table à l'extérieur. L'ombre des rues est appréciable même lorsque le soleil commence déjà à descendre lentement vers l'Ouest. Il n'y a pratiquement personne : le propriétaire, un duo d'amis qui ont à peu près la cinquantaine et un homme plus âgé, assis à l'extérieur comme moi. Je ressors mes papiers pour analyser une fois de plus les recherches de Reina, j'essaie de trouver quelque chose dans ce flot de notes et de recherches effectuées en si peu de temps.
Ça me prend la tête au point de me donner une bouffée de chaleur immense, insupportable. Je sors alors une des photos que j'avais emmenée avec moi. Sur cette photo, Reina est en portrait. Elle a les cheveux lâches tombant sur ses épaules, un maquillage impeccable révélant de longs cils et une bouche parfaite. Son regard perçant me fait pétiller le cerveau même en photo. Je caresse ses joues en 2D tout en souriant, sans m'en rendre compte. J'ai envie de la retrouver pour pouvoir la prendre dans mes bras pour ne plus jamais la laisser s'échapper. Mais le voudra-t-elle seulement ? Cristiano, mon vieux, n'oublies pas qu'elle est venue ici aussi pour t'oublier ! Et toi, tu sais ce que tu lui as dit, tu peux pas croire qu'elle va zapper ça comme ça !
J'inspire pleinement avant de reprendre une gorgée de mon verre, je n'aurais jamais autant bu en si peu de temps. Je me frotte le front quand la bande d'amis quitte le bar et que le propriétaire apporte un café au vieil homme assis sur la table voisine à la mienne. Il ne reste plus que nous trois maintenant.Propriétaire: Tout le monde parle de l'hériter de retour en ville.
Homme: Oui, c'est ce que j'ai entendu. Je ne pensais pas que les gens seraient aussi heureux de le voir revenir.Le propriétaire repart derrière son comptoir, laissant l'homme siroter son café. Mais de qui est-ce qu'ils parlent tous ?! Ils disent « il » ou « l'hériter », mais Reina est une femme, on ne devrait pas parler d'elle ainsi. Et si on parlait de quelqu'un d'autre ? Trop de questions, il faut que j'en ai le coeur net, quitte à me faire griller. Je me penche vers lui et l'interpelle.
Moi: Excusez-moi, mais qui est cet héritier dont tout le monde parle ?
Homme: Toi, tu n'es pas d'ici.Dit il en regardant par dessus sa tasse. Un regard sage et bienveillant qui me rappelle celui d'Angelo, mais l'homme est plus âgé.
Moi: Pas d'ici, mais du coin. Je viens de Palerme, j'y travaille au service d'un homme d'affaires.
Homme: Ah oui ? C'est un domaine près de la côte ?
Moi: Hum, oui mais comment savez-vous que...
Homme: Qu'est-ce que tu fais ici mon garçon ?
Moi: Et bien, je cherches quelqu'un.
Homme: Tu es celui dont tout le monde parle alors ?
Moi: Je m'appelle Cristiano.Cette conversation est juste trop bizarre mais je sens qu'elle va m'aider.
Homme: Alors tu es le bienvenu, je m'appelle Nino. Tu poses beaucoup de questions, tu dois en avoir tout autant.
Moi: J'ai besoin de réponses et de retrouver quelqu'un qui m'est cher, je pense que c'est de cette... personne dont vous parlez en tant « qu'héritier ».
Nino: Ah vraiment ?
Moi: Mais ce n'est pas un homme...
Nino: Tu sais, je penses que nous parlons de la même personne.
Moi: Comment pouvez-vous en être certain ?Il sourit d'un coin de lèvres et pose sa tasse sur le plateau de la petite table en bois. Sa voix rauque et chaleureuse est mystérieuse mais totalement typique. Il roule les R en parlant doucement. On arrive à ressentir la sagesse de ses mots. Il inspire profondément, comme pour se replonger dans un souvenir lointain, son regard noir et brillant fixe un point devant lui.
Nino: Je l'ai vu naître ce petit.
Moi: L'héritier ?Il hoche la tête une fois et continue :
Nino: Les cris de sa pauvre mère ne faisaient qu'annoncer l'arrivée du déluge... On a dit d'son père qu'il était né au creux de l'Etna, lui, dans une marre de sang. Il était espéré, comme la lumière après l'orage, le lion qui rugirait sur nos montagnes. Les lions font des lions y basta ! Et ce ptit lion, il a bien grandi, c'est vrai ça. L'appétit et les crocs lui ont poussé, tout aussi férocement que son ambition et sa force étaient déjà présents. Il a été élevé et taillé dans le seul but qui mènerait sa vie. Il a vite compris comment tourne le monde et, le sens des affaires. Les valeurs de la terre, de la famille, oh ça oui !
Il fait beaucoup de pauses entre ses phrases, comme si il revoyait toutes les choses qu'il me décrit. Son discours est empreint de nostalgie et je me montre à l'écoute pour récupérer le plus de détails possibles.
Nino: Maintenant, l'air que nous respirons et la terre sur laquelle nous vivons lui appartiennent. Une seule odeur sur les murs de sa maison et la ville, la sienne. Tout ploie devant lui. Et il se répand comme le déluge divin sur le globe.
Il marque encore une longue pause pour reprendre une inspiration en allumant une cigarette. Il tire dessus une fois puis recrache en bouffée une fumée blanchâtre qui s'élève dans l'atmosphère encore pleine de soleil.
Nino: Oui, j'l'ai vu naître ce ptit, à deux pas d'ici, pas loin. A quelques pas de Dieu, ce même Dieu qui l'a béni et l'a préservé jusque là. Pourtant, c'est vrai qu'il a répandu la mort parfois, la justice souvent. Ce n'est pas toujours ce que la foi nous conseille de faire... On a dit aussi que la croix qu'on a posée sur sa poitrine le jour où il a poussé son premier rugissement lui portera chance toujours et verra ses ennemis mourir. Elle lui a permis de garder les yeux ouverts.
Moi: Qu'est-ce qu'est devenu ce, cet... homme ?
Nino: Aujourd'hui, un seul geste, un seul mot ou un seul bruit suffit à tout pacifier. Quand il passe, pas un corps oserait mal agir. Les détonations qu'il a déclenchées sont les plus surprenantes que j'ai connues, à peine deux mètres entre le canon brillant et sa cible. Trop rapide, trop près, trop cruel. Assez efficace. Apaisant. Mais le plus frissonnant, le plus fascinant, c'est son nom.
Moi: C'est peut-être la personne que je cherches. Vous avez eu de la chance de le côtoyer.
Nino: C'est vrai que l'avoir vu naître peut paraître irréel quand on le connaît mais, Sì je l'ai vu naître, et grandir. Maintenant, une seule question me préoccupe : est-ce que quelqu'un le verra mourir un jour ?
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Trono
Novela JuvenilRégner sur le monde, voilà ce que désire la moitié de la planète. Seulement quelques êtres sont capables d'accéder au trône. J'en fais parti, je suis née et j'ai été élevée pour ça. Je compte bien atteindre mon objectif malgré que ce soit dangereux...