Martini e limoncello - Martini et Limoncello

47 3 0
                                    

Inviter un homme à danser alors qu'on est un homme ? Pourquoi pas, me dis-je en haussant les épaules. Mais dans une fraction de seconde ralentie par l'ambiance festive régnant ici, deux ou trois têtes se décalent et j'arrive à voir la silhouette entièrement jusqu'aux genoux. Mon sang ne fait qu'un tour, mon corps reste figé alors que mon esprit s'agite si vite. La mystérieuse silhouette agite la tête négativement en se donnant un air désolé pour s'excuser auprès de l'homme sans doutes déçu. Moi, je ne réfléchis pas et avance en coupant à travers la foule, vainement retenu par Nino pour arriver au pied de cette scène de laquelle la silhouette descend pour rejoindre sans doutes sa famille.

Je pensais trouver un homme, l'héritier dont j'ai tant entendu parlé depuis seulement une journée. Mais au lieu de ça, j'ai trouvé une vieille femme un peu plus petite que Reina. Une femme habillée d'une robe grise, les épaules couvertes d'un châle bleu et doré de luxe. Ses cheveux gris parfaitement coiffés en un chignon banane dégagent son visage arrondi mais avec une force dans le regard qui me trouble. Je croyais avoir vu la silhouette de Reina, avoir entendu sa voix, je m'attendais à trouver un homme même mais pas une femme de cet âge. Elle me regarde alors que je reste bête sans bouger, le corps stoïque devant elle. Les gens autour nous regardent alors que ceux restes un peu loin dansent encore. Un homme d'une bonne quarantaine d'années s'approche et attrape doucement le bras de la femme qui me fixe sans émotions.

-: Viens, le reste de la famille t'attend.

Elle ne répond rien et suit finalement l'homme au complet vert sapin. Nino arrive ensuite à mon niveau et me tire à son tour mais plus violemment. Je me sens vivement trainé jusqu'à une rue non loin de la place, puis on entre dans un bâtiment et on monte à l'étage. Je ne me débats pas parce que je ne comprends pas et parce que l'alcool a créé un enivrement auquel je ne m'attendais pas. J'ai peut-être bu un peu plus que j'en avais l'impression.
La pièce est une chambre sombre car peu éclairée, uniquement composée d'un lit surplombé d'une croix en bois sculptée, d'un bureau modeste et d'une chaise empaillée. Il n'y a pas d'odeur spéciale mais le bruit de la joie extérieure parvient tout de même jusqu'à nous. Nino ferme la porte à clé derrière lui puis traverse la pièce pour fermer la fenêtre. Il se remet face à moi et fume de colère. Pourquoi d'ailleurs ?

Nino: Tu as beaucoup trop bu !

Il m'attrape pour m'assoir sur la petite chaise sans que je tombe. Je ne suis pas là mais je me sens tout de même un peu absent. Sa voix forte et énervée me réveille.

Nino: Que penserait-on en te voyant dans cet état en sachant que tu as les mains brûlées ?!
Moi: Comment savez-vous cela ?
Nino: Ça se voit, nigaud ! Tu crois que je suis né de la dernière récolte d'olives ? Tu as juré de te préserver de l'ivresse et de l'alcoolisme.
Moi: Je ne suis pas alcoolique, oui j'ai un peu trop bu mais c'est tout.
Nino: Et qu'est-ce qui t'as pris d'aller vers cette femme ? Qu'est-ce que tu croyais ?
Moi: Je croyais avoir vu... la femme que je cherches, en robe blanche, je croyais avoir entendu sa voix.
Nino: Une femme héritière ?! Tu n'y penses pas !
Moi: Alors pourquoi c'est cette vieille femme qui est descendue de l'estrade ?

Je vois qu'il soupire et son regard change. Il a compris quelque chose que mon esprit enivré n'arrive pas à assembler pour le moment. Un silence s'empare maintenant de l'environnement.

Nino: Je vais te ramener à l'hôtel, tu as besoin de dormir mon garçon.

Sa colère s'évanouit aussi vite qu'elle est venue et j'ai l'impression de le voir un peu paniqué. Il m'aide à me lever et me tient par l'épaule fermement mais amicalement. L'hôtel est à deux pas de là, on marche un peu puis on y arrive. Nino me monte dans ma chambre puis cherches un bout de papier sur lequel il commence a noter quelques mots.

Moi: Qu'est-ce que tu écris ?
Nino: Là ou tu peux me trouver demain, je ne te le dis pas tu risquerais d'oublier. Maintenant vas te coucher.

Je me laisses tomber assis comme une masse sur le matelas double de mon lit alors qu'il prend le chemin de la sortie. Il se retourne et le pli de sa veste laisse entrevoir un pistolet rutilant range dans sa poche intérieure, brillant à la lumière du lustre. Cette vision m'interpelle mais je ne dis rien.

Nino: Ça va aller mon garçon ?
Moi: Hum quoi... ah, oui oui ! Merci, bonne nuit Nino.
Nino: Bonne nuit mon garçon.

Il ferme la porte et j'entends ses pas dans les escaliers puis plus rien à part la musique qui se joue encore sur la place. Je me change et retourne m'avaler en boxer sur mon lit douillet. Les bras derrière la tête, je fixe le plafond en me frottant quelques fois les yeux.
J'ai vraiment poussé sur le Martini et le limoncello. Pourtant, je suis sûr d'avoir vu et entendu Reina. Je suis certain que c'était elle. Et puis pourquoi cette vieille femme en bas de la scène ? Pourquoi est ce qu'elle m'a perturbé ainsi ? Pourquoi m'a-t-elle fixé ? Pourquoi Nino était énervé à ce point ? Oui j'ai forcé mais pas au point de s'énerver comme il l'a fait. J'ai vu aussi dans son regard que mes agissements et mes derniers mots l'avaient affolé d'une certaine façon, comme si j'avais touché à une chose extrêmement fragile. Me reste à savoir quelle est cette chose. Je regarde le mot sur lequel il a écrit le nom d'une rue et un numéro.
Il faut que je découvre ce qui se cache derrière tout ça : je suis certain que les secrets de cette ville sont les secrets de la famille Cortesi. Reina est le centre d'un engouement et d'un mystère épais que je ne peux pas percer sans savoir où elle est. Dès demain, je me mets sérieusement à sa recherche même si cela doit me valoir une réputation de petit fouineur impertinent, je travaille pour Angelo Cortesi après tout et ma mission est de protéger Reina quoiqu'il arrive.

TronoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant