Bella Ciao

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Il est trois heures et demi de l'après-midi et cela fait quatre jours que je suis à Corleone. Hier, j'ai vu Nino deux ou trois heures. Il a fait comme si rien ne s'était passé, comme si il ne m'avait pas vu et m'a emmené dans les montagnes découvrir les pâturages et les champs d'oliviers. Jai fait comme si je ne l'avais pas vu non plus, pour voir si il allait m'en parler.
On a parlé de tout et de rien, il m'a fait gouté l'huile extra vierge fraîchement pressée et m'a reparlé de Reina. Il sait ce que je penses, comment je la vois mais il ne connaît pas son nom, ni de quelle famille elle fait partie. Parler tous les deux d'elle sans prononcer son nom ni quoi que ce soit qui l'identifie clairement, ça la rend plus mystique qu'elle pouvait déjà l'être. Il ne m'a pas beaucoup parlé de sa vie à lui, seulement de la vie ici, à la ville. Je sais qu'il est marié et qu'il a des enfants, qu'il a travaillé jeune et qu'il a su en tirer profit. Je sais que son père a fait la guerre pour la révolution, la fameuse où Bella Ciao est née.
Sa stature est imposante, c'est un homme grand et robuste. Son visage puissant laisse échapper une voix roulante et rauque. Ses cheveux sont presque tous blancs mais joliment tirés tout de même vers l'arrière de son crâne. Sa fine moustache peu épaisse apporte une touche de charme supplémentaire à son visage. Ses yeux sont furtifs, malicieux mais sages. Ses grandes mains usées par le travail et la vie accompagnent toujours par des gestes rapides ses paroles. Manie italienne.

Aujourd'hui, je ne l'ai pas encore vu et j'espère qu'il ne va pas tarder. J'ai plusieurs questions à lui poser. Hier, il a évité le plus possible de parler des habitants et de la veillée. Mais je compte inverser la tendance en cherchant définitivement mes réponses. Cette nuit, mes questions m'ont rendues fou, j'ai cru devoir décrocher ma tête du reste de mon corps. Je me suis tourné encore et encore dans les draps. Elle conquiert au fil des jours des parties supplémentaires de mon cerveau, ce qui contraste avec son absence et ce qui la rend de plus en plus horrible. Je n'arrive plus à tenir l'attente et l'ignorance. Penser à tout ça me donne la migraine, je passes alors mes mains sur mon visage fatigué par cette nuit agitée.
Soudain, Nino apparaît en pantalon crème et chemise bleue, chaussé de magnifiques chaussures italiennes noires parfaitement cirées, au bout de la rue. Il marche jusqu'à moi et me fait une accolade amicale. Cet homme est affreusement mystérieux et cachotier mais il est tout autant chaleureux et paternel. Il pourrait être mon grand-père et c'est pour ça qu'il m'est aimable.

Nino: Alors mon garçon ? Tu as invité une fille chez toi hier soir ?
Moi: Non, j'ai été assailli par mes pensées...
Nino: Comment s'appelle-t-elle d'ailleurs ?

Si il y'a un moyen de commencer à avoir des réponses, c'est maintenant ou jamais.

Moi: Reina.

Aussi vite que j'ai prononcé son nom, Nino m'entraîne avec la vitesse d'un de ces tourbillons américains que l'on voit parfois à la télévision dans la même maison que l'autre soir et nous montons cette fois au deuxième étage. Il ferme la porte à clé et s'installe dans un fauteuil en cuir marron, apparement nerveux. En tout cas, la pièce où nous sommes maintenant n'est pas du tout dans le même genre que la petite chambre au niveau inférieur. C'est une pièce plus large, bien décorée, composée d'un beau bureau, de fauteuils en cuir marron, d'armoires et de commodes en bois précieux et un grand lustre vieilli par le temps éclaire l'endroit qui ne dispose que d'une petite fenêtre de toit.
Je ne comprends pas pourquoi il m'a emmené ici mais ce bureau sent le tabac à cigares et le bourbon. Mais franchement, je n'en attendais pas moins de lui après ce qui s'est passé aux chutes d'eau car je suis maintenant sûr qu'il fait partie de notre clan.

Nino: Comment connais-tu Reina ?
Moi: Et toi alors ?

Je vois qu'il est nerveux et que quelque chose le tracasse, seulement pourquoi autant de précautions, de discrétion si toute la ville est au courant de la venue de l'héritier.

TronoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant