76 - LEONHARD

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Ben voyons, manquait plus que ça. J'échappe malgré moi un soupir, et je ferme les yeux d'agacement, les sourcils froncés. Le doc est clairement pas disposé à nous faciliter la tache aujourd'hui... très bien, qu'on en finisse. Elle s'excuse pour l'attente, mais bon, je ne suis plus à ça prêt - elle a repris quelques couleurs, mais autant qu'elle prenne un peu son temps si elle doit me bricoler, j'ai pas envie qu'elle fasse une connerie. Les yeux clos, j'écoute sa respiration, encore légèrement hachée - bon sang, tout ce cinéma pour une pauvre araignée...

Je suis excédé. Il vaudrait peut-être mieux que je revienne un autre jour, j'ai vraiment pas envie qu'elle me touche en fait. Puis j'entends des pas dans le couloir, je reconnais la démarche chaloupée et tranquille d'Eldridge, et je me détends imperceptiblement - oh bon sang le voilà enfin... je suis sauvé. Même l'étudiante le regarde arriver comme le messie - j'avoue, sur ce coup là, il a vraiment bien fait de se décider à venir. Nous étions encore dans une impasse, et au moins sa présence fait tampon entre nous. Il pousse Barns à se mettre au travail, et moi, je me recale un peu dans le fauteuil dur et froid – eh ben, c'est pas trop tôt.

Le visage fermé, je ne salue même pas Eldridge, mais son sourire en coin en dit long - lui, ça l'amuse clairement nos chamailleries perpétuelles, ça doit mettre un peu de vie dans son labo. Moi, j'avoue que je m'en passerais bien, une fois sur deux elle me fiche les nerfs en pelote. Mais progressivement et bien malgré moi, je me détends petit à petit - maintenant que je prends mes médicaments avec beaucoup plus de rigueur, je suis quand même plus calme. Je bois moins aussi, et sans doute que ça aide mon tempérament à se modérer. Le bruit des instruments et des machines est familier, le travail sur mes bras est simple et pas douloureux. En plus à un bras chacun, ça devrait aller vite.

Écartelé sur mon fauteuil, les côtes douloureuses, j'attends juste que ça passe. Le silence est apaisant, enfin, c'est surtout dû au fait que miss Barns a cessé de parler, et ça c'est quand même un grand plus. Les yeux clos, j'attends le moment où Eldridge m'annoncera que je pourrais aller me rhabiller... et puis... et puis. Je ne sais pas ce qui se passe, je n'ai rien vu venir - mais j'entends un bruit sourd, et juste en suivant, un fracas de verre brisé sur le carrelage du laboratoire.

« ... Des cris, des pleurs, une masse de gens en panique totale se rue dans la direction opposée aux explosions, et je fends la foule dans une formation en V serré avec mon équipe pour aller contrer les attaques des amplifiés tombés sous le contrôle de Hydra. Très vite, nous dépassons la masse des civils pour traverser les rues désertées - nous avons ordre d'abattre tous les amplifiés hors de contrôle, mais j'espère que nous pourrons quand même en sauver certain en détruisant leurs greffes.

Ma vision est augmentée par les différentes données envoyées par les logiciels de l'armée, le radar qui m'indique la position du prochain amplifié, les statistiques des pertes actuelles, les attaques en cours, les secteurs concernés, l'état de mes armement, de mes munitions, et mes stats biologiques comme mon rythme cardiaque, mon taux d'adrénaline et mes blessures actuelles.

Dans l'ensemble, nous n'avons essuyé que peu de pertes pour l'instant au sein de mon équipe, et j'en suis assez fier. On nous a assuré que nos programme militaires étaient à l'épreuve des attaques informatiques, alors même quand mes écrans se brouillent un peu, je ne m'inquiète pas, concentré sur ma mission. Je suis en ligne radio directe avec une équipe interne qui nous guide et nous couvre, nous n'avons rien à craindre, c'est une mission tranquille comparé à ce que nous sommes habitués à affronter. Et puis... et puis.

Tout devient noir. Je ne comprends pas, je perds le contact radio. J'entends des cris, mes gars se disperser, la formation est rompue. J'appelle mes hommes, je leur dit que je crois que je suis piraté, je ne vois plus rien, je n'entends plus rien - mon signal radio grésille, se rompt, de ce que j'ai entendu, c'est la panique totale à l'autre bout du fil. Moi, je marche, bien malgré moi - je sens mes bras bouger, mes canons tirer, sur quoi ? Je ne sais pas, tout est noir. Je ne contrôle plus rien, une alarme interne se déclenche, mon canon à plasma est activé à pleine puissance - le souffle de l'explosion me rejette en arrière, j'entends le crépitement des flammes, les vitres exploser sous le coup de la chaleur, et une pluie de verre brisé s'abat sur moi.

J'entends les cris, les hurlements, la peur, les gargouillements étranglés, les gémissements d'agonie. Et soudain tombe un silence de mort. Mes prothèses auditives ont cessé de fonctionner. J'essaye de reprendre le contrôle, d'empêcher mes bras de bouger, d'arrêter d'avancer, mais je ne peux pas... Je ne peux rien faire, tout est hors de contrôle... je n'entends plus rien... Je ne peux rien faire... »

... Mon souffle se bloque dans ma gorge, je me lève précipitamment, m'arrachant aux soins de l'étudiante et du doc. Mon bras jailli et saisi Eldridge à la gorge. Mais le médecin est de formation militaire, et plante immédiatement son tournevis dans l'articulation de mon coude, ce qui limite la portée de mon geste. Il attrape une épaisse clef à molette avec l'autre main, et m'en assène sans hésiter un coup en plein visage, ce qui me surprend et me fait lâcher prise. Sonné, je porte une main à mon visage, reculant d'un pas - je ne sais plus où je suis, ni avec qui, ni pourquoi... je ne comprends pas ce qui se passe...

- Dehors miss Barns, ordonne Eldridge d'une voix rauque et sans appel. Et envoyez-moi Ross immédiatement.

Heart's Mechanic - Saison 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant