88 - LEONHARD

60 5 0
                                    

Ma cigarette coincée entre les lèvres, un bras ramené contre moi, je me gratte la joue de ma main libre sans y penser, geste machinal dès que j'ai un peu de barbe qui commence à pousser. Je jette un œil circonspect à l'étudiante alors qu'elle m'expose sa théorie plus en détail - ah ouais quand même. C'est à se demander comment elle a pas terminé obèse avec un credo pareil... parce que bizarrement, je ne la vois pas du tout, mais alors pas du tout du genre sportive. Je connais bien les cérébraux dans son genre – tout dans le crâne, rien dans les muscles. Je pense que si je la mettais au défi de participer à mes séances de sport, j'aurais de quoi me payer quelques belles tranches de rire.

Mais je n'ai pas vraiment le cœur à rire, là tout de suite, alors je la laisse parler, esquissant juste l'ombre d'un sourire à son commentaire sur Ross. Je sais qu'elle plaisante... mais je ne trouve pas ça drôle, c'est tout. Je me sens... vide. Au bout de mes forces. Et je sais que si la jeune femme n'était pas venue me rejoindre dehors... peut-être... peut-être que j'aurais recommencé à réfléchir un peu trop. Sur le meilleur moyen d'abréger mes souffrances. Elle l'ignore sans doute, mais c'est peut-être la deuxième fois qu'elle me sauve la vie sans faire exprès. A croire que chaque fois que je vais mal, elle est sur mon chemin. Et c'est à la fois à cause d'elle et grâce à elle que tout arrive... un vrai paradoxe.

- Hum... impossible d'envisager un quelconque juste milieu avec vous, n'est-ce pas miss Barns ?... relevais-je simplement en guise de réponse.

Mais rien n'est jamais ou tout noir ou tout blanc... le monde est un camaïeu de gris. Mais elle est sans doute encore un peu jeune pour arriver à le concevoir... je sais pas, j'avoue qu'au final je sais même pas quel age elle a en fait. Minimum 20 piges vu son cursus... 25 peut-être... Je n'ose pas lui demander, principalement parce que je ne sais plus si j'ai déjà posé la question ou pas, et que j'ai pas envie de me donner l'air encore plus con pour aujourd'hui. Ça ira bien, j'ai eu ma dose pour un moment. Lorsque je prends finalement mon courage à deux mains et que je m'excuse pour mon comportement, je tourne la tête à son coup d'épaule - elle me regarde d'un drôle d'air, un mélange d'amusement forcé, de peine... et de quelque chose d'autre, peut-être. C'est étrange.

- Ne vous excusez pas miss Barns, murmurais-je en soufflant la fumée de ma cigarette, le regard perdu devant moi. C'est pas votre faute si je suis complètement cinglé... Rien de tout cela n'est votre faute. Et je pense que vous êtes quelqu'un de très intelligent, miss Barns. Vraiment, ajoutais-je en baissant les yeux pour croiser son regard.

Je pense ce que je dis. Moi... je suis juste un pantin mécanique, si jeune et pourtant déjà trop vieux. Elle... c'est une brillante scientifique, qui a un avenir glorieux devant elle. Elle fera de grandes choses pour les amplifiés, j'en suis certain.

- Quand on est comme moi, miss Barns... quand on est coupable comme je le suis, on ne s'excuse jamais vraiment assez, répondis-je à mi-voix.

Je hoche doucement la tête alors qu'elle me propose encore un roulé – je n'avais déjà pas faim à la base, un seul m'a suffit. A vrai dire, à cet instant, je tuerais pour un bon whisky. Mais après ce qui vient de se passer, j'ai honte rien que d'en avoir envie - dépressif, suicidaire, et alcoolique par dessus le marché. Tu parles d'un portrait rêvé... Encore une fois, la jeune femme me distrait de mes sombres pensées lorsque je l'entends me demander mon briquet. Je l'ai glissé dans ma manche vu que je l'utilise toutes les dix secondes, alors je l'attrape et je le lui tends sans réfléchir. Je repense à la scène avec l'araignée, à sa phobie, et curieusement, je me sens l'envie de lui en demander plus - alors, avant de réfléchir, la question franchit mes lèvres.

- C'est une phobie que vous avez découvert comme ça, sans raison... ou il y a une histoire derrière ?... demandais-je tout en allumant une énième cigarette.

Puis je me rends compte de ma propre connerie, et je tourne la tête sèchement, agacé.

- Rah désolé de poser la question, vous n'avez sans doute pas du tout envie d'en parler. Et puis ça me regarde pas. Désolé.

Autant pour ma résolution de ne pas me donner l'air encore plus con pour aujourd'hui. Elle vient de me dire qu'elle veut plus en parler en plus.

Franchement mec, t'as encore tout bon.

Heart's Mechanic - Saison 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant