Chapitre 2. Roxanne

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Je stationne ma voiture à côté de celle de mon père, coupe le contact puis vérifie une dernière fois ma tignasse dans le rétroviseur avant de sortir de l'habitacle. Une mèche rebelle persiste à s'échapper de mon chignon, j'essaie en vain de la fixer, mais rien n'y fait, elle refuse d'être docile.

— Saleté de cheveux !

Cela sautera bien évidemment aux yeux de ma mère qui ne rate jamais une occasion pour me sermonner sur mon apparence. Selon elle, je me dois d'être toujours présentable. D'un côté elle n'a pas tort, je travaille dans le domaine du cosmétique. Malgré tout, j'aimerai parfois me pointer au bureau en jeans, tee-shirt et baskets. Avoir les cheveux débraillés, emmêlées comme lorsque je me réveille après une nuit de débauche intense. Malheureusement, je n'ai pas le droit d'être imparfaite. Je fouille dans mon sac à main à la recherche de ma petite trousse de maquillage, celle qui m'accompagne dans tous mes déplacements. Je la trouve enfin après avoir renversé la totalité sur le siège passager. J'extirpe mon gloss à la cerise, l'applique sur mes lèvres et comme d'habitude passe ma langue dessus pour le goûter. Je me pince les joues pour me donner bonne mine puis range tout mon bazar dans mon fourre-tout. Je saisis le dossier que je dois remettre à mon père et sors de mon véhicule en me tenant droite comme un i. Je marmonne à voix basse quelques mots d'encouragements pour me donner la force d'affronter ma mère. Je ne prends pas la peine de sonner pour m'annoncer, j'entre dans la maison familiale qui fut autrefois la mienne. Je l'ai désertée lorsque j'ai eu vingt et un ans, sans aucun regret. Cette baraque a beau être celle de mon enfance, je ne m'y suis jamais sentie chez moi. Un chez soi, c'est un lieu où il fait bon vivre, où l'on aime y passer du temps, se retrouver en famille autour d'un bon repas, mais ici tout est froid, impersonnel et ceci depuis mon plus jeune âge. Je m'avance jusqu'au patio où je trouve ma mère assise sur le sofa gris, les lunettes juchées sur le bout du nez feuilletant de la paperasse.

— Roxanne, quel bon vent t'amène. Me dit-elle sans prendre la peine de relever ses yeux sur moi.
— Bonjour mère, cela fait plaisir de constater que vous allez bien. Pesté-je avec dédain. Je passais voir père, j'ai un dossier urgent à lui transmettre pour la réunion de demain. Le fournisseur de chez Nature&Co exige de traiter avec lui personnellement.

— Il est occupé pour le moment, tu devras attendre. Annonce-t-elle une fois de plus sans un regard pour moi.

— Je vais aller m'annoncer dans ce cas.

— Il a demandé que personnes ne le dérange Roxanne. Il est dans son bureau avec Charles et tu ne feras pas exception à la règle.

— Je vais l'attendre alors ! Mary n'est pas dans les parages ? Me hasardé-je en sachant pertinemment que la réponse sera négative.

Si ma grande sœur était présente, je l'aurai déjà entendu, c'est certain. Sa voix est tellement aiguë qu'elle me fissure les tympans dès qu'elle ouvre la bouche. C'est un carnage pour les oreilles pire qu'un grincement de dents. Ma mère lève enfin le bout de son nez et grimace en me regardant. Qu'est-ce qui ne va pas encore... J'ai une tâche sur mon chemisier ? Un sourcil mal épilé ? Après tout je m'en fiche, je ne suis pas madame perfection comme elle, loin de là.

— Elle devait récupérer Andrew à son entraînement de football. Ils viendront après m'a-t-elle confié au téléphone.

— Ok ! Et Mick, vous avez de ses nouvelles ? Le mariage approche, je suppose qu'il doit angoisser, dis-je en ricanant ce qui a le don d'agacer le dragon qui fulmine de rage.

— Selon lui, tout est sous contrôle, ce qui me laisse présager le pire.

— Mick et Carla auront un beau mariage, j'en suis certaine. Affirmé-je avec conviction pour la contredire. Ils savent ce qu'ils font ne vous inquiétez pas pour eux mère.

Mon frère vient d'avoir trente ans, il a pris conscience qu'il était temps pour lui de se poser. Il s'est donc décidé à épouser la femme qui partage sa vie depuis trois ans au grand dam de ma mère qui ne supporte pas la classe sociale de sa future belle-fille. Carla est institutrice, elle ne fait pas partie de la haute bourgeoisie. Bien au contraire, c'est une fille d'agriculteurs. Leur rencontre n'a été que pur hasard. Les parents de Carla voulaient développer leur activité agricole sur Internet. Mick qui est webmaster à son compte s'est chargé de réaliser leur page web et a rencontré leur fille. Il est tombé amoureux au premier regard selon ses propos. Hélas, cela n'a pas été réciproque, il a dû ramer pour obtenir un premier rencard avec la jeune femme. Et dire que dans quelque temps, ils s'uniront devant Dieu pour l'éternité. Je me dis que Carla a bien du courage, Mick est bordélique, ronchon et fêtard. Il n'hésite pas à se bourrer la gueule après un match de rugby. La troisième mi-temps ça le connaît ! Il est aussi très taquin, il adore faire des blagues. En bref, il est tout le contraire de ma future belle-sœur qui est calme, réservée, et posée.

— Tu te rends compte, il va épouser une banale institutrice, il mérite mieux que ça !

— Eh bien, moi je pense qu'ils vont bien ensemble. Et puis être prof n'est pas dévalorisant mère. Heureusement qu'il y a des personnes comme elle pour enseigner la culture et le savoir à nos enfants, sans quoi il y aurait beaucoup d'incultes sur cette terre. Je tente par tous les moyens de la faire changer de sujet, elle m'agace à critiquer nos vies alors je l'amène sur un sujet de conversion qui lui plaira à coup sûr.
Comme dit le dicton : « la fin justifie les moyens ».

— Le gala de charité approche à grand pas, vous n'êtes pas trop anxieuse mère ?
— Pas le moins du monde, je maîtrise tout Roxanne, tu devrais le savoir.

Évidemment, comment pourrait-il en être autrement ? Elle passe sa vie à tout planifier, à tout contrôler. Je me dis souvent que mon pauvre père doit réellement s'emmerder avec elle au quotidien. Est-ce qu'elle prend des notes et programmes dans les moindres détails leur partie de jambe en l'air ? Beurk, je ne préfère pas le savoir finalement... C'est dégoûtant d'imaginer ses parents en tenue d'Adam et Ève mordant dans le fruit défendu. De toute façon c'est bien connu, les papas et les mamans ne s'accouplent pas puisque les bébés naissent dans les choux.

— Vous avez convié combien de personnes ? La questionné-je même si je me fous de le savoir.

Je n'aime pas les soirées guindées, tout le monde se sent supérieur, on y parle fric, fric et encore fric.

— Deux cents personnes sont attendues, il y aura que du beau monde.

— C'est évident, vous n'inviteriez pas de pauvres gens vêtus de vêtements bas de gamme.

Ma mère est une femme arrogante, prétentieuse, hautaine, elle n'a que des défauts à mes yeux. Et ce qui m'horripile le plus dans tout cela, c'est qu'elle n'a jamais travaillé de sa vie et se permet de critiquer ceux qui gagnent dignement leur croûte en bossant dix heures par jour pour un salaire de misère. Cela ne lui ferait pas de mal de se mettre une journée dans la peau d'un ouvrier, elle reverrait peut-être son jugement. Pour couronner le tout, madame perfection veut se la jouer mère parfaite alors qu'elle ne nous a pour ainsi dire jamais élevés. Nous avions des nurses pour le faire à sa place tandis qu'elle dilapidait l'argent de mon père en s'achetant des fringues griffées et des bijoux hors de prix. Rosa Harper à la critique facile et j'en fais souvent les frais. Elle me rappelle constamment autant dire toutes les semaines, qu'à vingt-sept ans, je suis toujours célibataire et que mon horloge biologique tourne. Elle me trouve trop carriériste, oui je le suis, à qui la faute d'après vous ? Je ne suis pas et ne veux pas être une femme entretenue. Je suis celle qui reprendra les rênes de la société quand mon père prendra sa retraite et je dirigerai l'entreprise Harper, n'en déplaise à ma mère. Depuis des générations déjà les Harper font partie de la haute bourgeoisie. Mon père a repris le flambeau de l'entreprise familiale il y a plus de trente ans et bientôt ce sera mon tour puisque Mary et Mick ont refusé d'endosser le rôle de patron. Ma sœur est totalement désintéressée par la société, elle est artiste peintre et gagne très bien sa vie. Elle est mariée à Paul depuis une décennie, et ensemble ils ont un magnifique petit garçon de sept ans, Andrew mon unique neveu. Mary est l'aînée de la fratrie, elle a trente-cinq ans, et est d'une beauté époustouflante. Mince, grande, brune aux yeux bleus avec un sacré caractère et n'a pas la langue dans sa poche, contrairement à moi. Elle arrive même à faire taire le dragon. D'ailleurs, elle a affronté notre mère sans vergogne pour suivre son choix de carrière. Il est vrai que mes parents comptaient sur elle pour reprendre l'entreprise sauf qu'elle n'a pas cédé à leurs caprices. Mick aussi a refusé de reprendre le flambeau, il ne voulait pas s'emmerder avec les chiffres, les fournisseurs et tout le reste. Toutefois il nous aide de temps en temps avec notre page web. Je patiente toujours lorsqu'un claquement parvient jusqu'à mes oreilles. Il ne peut s'agir que de Mary qui martèle le carrelage avec ses escarpins aux talons vertigineux. Ma supposition se confirme quand je l'entends pester après son fils. Visiblement il s'amuse à courir dans toute la maison, ce qui a le don de l'énerver. Mon adorable neveu déboule comme une flèche dans le patio et se jette à mon cou quand il me remarque.

— Tatie Roxy. Tu m'as manqué. dit-il en m'offrant un grand sourire édenté.

Je souris à mon tour quand je remarque qu'il lui manque une dent. Je m'empresse de lui demander si la petite souris est passée.

— Oui, elle m'a laissé quelques pièces sous l'oreiller. Je vais pouvoir acheter plein de caramel.

— Tu m'en garderas ?

— C'est d'accord, seulement si tu m'en rachètes un sachet.

— Comment s'est passé ton entraînement petit voyou ?

— C'était génial ! J'ai marqué un but et le coach a dit qu'avec les efforts fournis, que j'intégrerai l'équipe de division supérieure la saison prochaine.

— C'est super ! Répondis-je avec enthousiasme. Tu seras le plus grand footballeur du monde d'ici quelques années.

— Tu devrais aller te nettoyer Andrew gronde ma mère, tu as plein de terre sur le visage et sur tes habits, c'est répugnant !

— Mère, laissez-le vivre. Ce n'est qu'un enfant ajoute Mary. Il ira se doucher en rentrant à la maison. Va à la cuisine mon chéri, Martha a préparé un gâteau au chocolat.

Martha est la cuisinière, elle est au service de ma famille depuis des générations, cette femme est un véritable amour. Je l'aime comme si elle était ma propre mère. Mary se plante devant moi, me claque une bise sonore sur la joue et me demande comment je vais.

— Ça va et toi ?

— Je suis un peu fatiguée en ce moment, je prépare une nouvelle expo et Paul est surchargé de travail. Nous avons besoin de prendre des vacances, juge-t-elle en s'affalant dans un fauteuil.

— Je suis d'accord pour dire que ton mari travaille trop, mais toi ce n'est pas le cas ! C'est un hobby la peinture pas un métier, alors ne dis pas que tu es épuisée.

— J'en vis, figurez-vous de mon loisir ! De plus, je vous remercie mère de l'intérêt que vous portez à ma carrière.

— Ne le prends pas comme ça Mary. Tu as raison, je ne m'intéresse pas à ton art. Certes, tu gagnes de l'argent en peignant, mais ce n'est pas un métier. C'est comme le tricot ou le patchwork... cela reste un passe-temps.

Ma sœur et moi levons les yeux au ciel. Nous ne répliquons pas aux insultes de notre mère. À quoi bon, elle défendra bec et ongles ses convictions débiles.

— Roxanne, revenons-en à nos moutons, comptes-tu être accompagnée cette année au gala ? Je te pose la question alors que je connais déjà la réponse, comme c'est idiot de ma part.

Prenez-moi pour une quiche fulminé-je intérieurement, vous l'avez fait délibérément pour m'embarrasser une fois de plus.

— Mère, estimez-vous heureuse de sa présence... qu'elle vienne accompagnée ou pas, en quoi cela change-t-il, s'insurge Mary.

J'assiste au combat de coqs qui se déroule sous mes yeux en toute impuissance, je ne veux pas m'en mêler et ma sœur devrait laisser tomber, le dragon ne lâchera pas l'affaire.

— Je posais une simple question, mais c'est réglé vu qu'elle sera seule une fois de plus.

Finalement, je sors de ma torpeur et lui réplique sèchement :

— Vous vous trompez mère, un ami m'accompagnera au gala.

— Ah oui ! Qui donc ? Je dois l'ajouter au listing.

— Vous aurez la surprise quand vous le rencontrerez, c'est un homme fabuleux et riche de surcroît.

Ma sœur me lance un regard suspicieux, tandis que ma mère poursuit son interrogatoire auquel je réponds vaguement quand soudain mon père débarque dans le patio.

— Roxanne, Mary, comment allez-vous mes filles ?

Richard Harper est plus jovial que ma mère. Lui s'intéresse à nous et ne nous rabaisse pas constamment comme le dragon.

— Ça va père, je passais vous voir pour vous transmettre un dossier urgent.

— Allons dans mon bureau veux-tu, on sera plus tranquilles pour en parler.

Je le suis et m'installe sur un de ces fauteuils Chesterfield marron qui décore la pièce et dépose les documents devant lui.

— Vous trouverez les derniers détails de la transaction. Cependant, la société Nature&Co souhaite traiter avec vous personnellement.
— Très bien, je m'en occupe dans ce cas.

— Vous avez trouvé de nouveaux clients ?

— Charles part dès demain en France, il doit rencontrer le patron d'une grande chaîne de cosmétiques qui semble intéressé par notre gamme de produits.

— J'espère qu'il conclura l'affaire, qu'il ne fera pas tout capoter comme il l'a fait avec le client anglais.

— Il est prévenu, une seule erreur de sa part et il ira trier le courrier. Je pars la semaine prochaine en déplacement. Tu devras te débrouiller jusqu'à mon retour puisque Jack sera du voyage.

— Très bien, je ne vous décevrais pas.

— Je le sais Roxanne, tu fais du très bon travail au sein de la société.

Je m'étire avant de me lever. J'avertis mon père que je dois partir puisque ce soir je dîne avec mon amie Barbara.

— Je te vois demain au bureau.

— Sans faute, j'y serai à la première heure. Bonne soirée, dis-je avant de refermer la porte de son bureau.

Je percute quelqu'un en me retournant et me retrouve nez à nez avec Mary.

— Tu viens avec qui au gala ?

Je suis prise au dépourvu, je ne sais absolument pas si je serai en compagnie d'un homme, mais je me devais de clouer le bec de ma mère au moins une fois dans ma vie. Voyant ma mine déconfite, ma sœur comprend dans la seconde que j'ai menti.

— Tu n'as personne, c'est ça !?

Je secoue la tête de gauche à droite et réalise que je me suis foutu dans un sacré pétrin.

— Putain Roxanne ! Mère va te mener la vie dure si tu viens seule. Elle va te le rabâcher pendant des siècles

— Je le sais, mais ne t'inquiète pas, je viendrais avec quelqu'un. Je vais trouver.

— J'espère pour toi. Tu m'excuseras mais je dois me sauver, Paul va bientôt rentrer à la maison. J'ai un dîner à préparer et Andrew n'a pas fait ses devoirs.

— Je file aussi, je rejoins Barbara au restaurant.

— Passe-lui le bonjour de ma part et surtout Roxy, tiens-moi au courant de l'avancer de tes recherches.

Je reste planter là quelques secondes à réfléchir comment me dépêtrer de la situation. Je suis dans la panade et ma sœur a raison. Si je viens seule, mère prendra un malin plaisir à me rabaisser indéfiniment et cela, je ne le souhaite pas.
***
Quelques heures plus tard, j'arrive aux abords du restaurant qui longe le bord de mer. Je prends quelques minutes pour admirer la vue surprenante qu'offre la côte sauvage en ce début de soirée. La lune et les lumières provenant de la ville voisine reflètent comme des milliers d'étoiles sur la mer agitée. Des vagues puissantes s'écrasent sur le sable, laissant sur leur passage une légère couche d'écume blanchâtre, les voiliers tanguent sur une eau affolée par la houle. La brise s'engouffre et tourbillonne dans mes cheveux préalablement détachés, fini le chignon strict, ce soir je n'ai aucune obligation professionnelle alors ma longue chevelure a le droit de virevolter au grès du vent. Je ferme les yeux un court instant puis inhale l'air iodé qui dégage mes narines, j'en imprègne mes poumons et me sens vivante à ce moment. Un jeune couple riant à gorge déployée me tire de ce moment de quiétude. Je souris en les voyant se chamailler gentiment au bord du rivage. Ils se courent après, s'éclaboussent puis unissent leurs corps sur le sable humide pour s'embrasser.
Comme je les envie !
Je remonte l'allée en accélérant le pas pour retrouver Barbara qui doit attendre désespérément que je daigne montrer le bout du nez. Je pousse la porte battante, pénètre dans le restaurant où une chaleur agréable m'assaille et réchauffe mes joues légèrement endolories par la fraîcheur de ce début d'automne. Je jette un œil à l'intérieur et fixe ma meilleure amie pour savoir si elle est agacée de mon retard. Je la trouve installée au bar sirotant un cosmopolitan en compagnie d'un jeune homme tout à fait charmant. Je me pince les lèvres pour ne pas éclater de rire quand je vois Barbara alias Barbie la blondasse utilisée sa technique de drague infaillible sur la gent masculine. Elle croise et décroise ses longues jambes de façon très provocante, le remake du film « Basic Instinct » se joue sous mes yeux. Connaissant très bien ma meilleure amie, je sais qu'elle ne porte jamais de petite culotte sous une robe, il lui manque cependant la cigarette au bec pour être crédible en Sharon Stone. Elle en rajoute une couche en riant bêtement comme une hyène tout en battant des cils devant le gibier qui se trouve face à elle. À première vue, Barbara serait cataloguée de pétasse par n'importe qui, cependant ils n'auraient pas tout à fait tort, puisque mon amie ne passe jamais plus d'une nuit avec le même homme. Elle a une liste d'amants plus longue que le bras. C'est une jeune femme de vingt-cinq ans qui vit pleinement sa vie de célibataire. Elle s'amuse beaucoup le week-end et déniche par la même occasion sa nouvelle conquête du jour, tout en assumant ce qu'elle fait et ce qu'elle est. Je m'approche de la belle blonde à pas de loup et lui chuchote un petit coucou à l'oreille. Barbara se tourne dans ma direction, me saisit les mains puis me claque un bisou sur la joue.

— Oh, je t'attendais ! Tu es en retard comme toujours. J'ai commencé à boire sans toi. Lâcheuse !

Elle exagère, je suis toujours ponctuelle contrairement à elle, et mademoiselle se permet de me faire un reproche, c'est l'hôpital qui se fout de la charité.

— Enfin, je ne t'en veux pas puisque ce jeune homme m'a tenue compagnie en ton absence. D'ailleurs, je te présente... heu ... c'est comment ton prénom déjà ? Je ne retiens jamais rien, tu sais ce que l'on dit des blondes, n'est-ce pas, dit-elle en pouffant face à ce gars au regard éberlué.

J'ai envie de rire, c'est du Barbara tout craché, elle drague, elle prend du bon temps, mais ne s'emmerde jamais à demander le prénom des gens, trop difficile à retenir selon elle. Elle risquerait d'appeler un mec Ricky, Louis ou Daniel tandis que le garçon en question répondrait au doux nom de Léandro.

— Peu importe ton prénom mon chat, je te présente ma meilleure amie Roxanne. Rox, voici machin truque ou bidule... appelle le comme tu veux après tout, on s'en moque.

— Enchanté Rox, moi c'est Jo...

— Hé la chose ! Le coupe-t-elle sèchement, c'est Rox pour les intimes pas pour les inconnus.
Un petit rire nerveux s'échappe de ma bouche, tandis que mon ventre se tort et me fait mal. En regardant de plus près la tête du gars qui devient livide comme un fantôme, j'ai une subite envie de me rouler sur le sol en m'esclaffant sans retenu.

— Mademoiselle Jones, votre table est prête. Prévient le serveur à l'attention de Barbara.

— Très bien, merci Stan. Tu viens Rox, j'ai super faim. Ravie d'avoir fait ta connaissance machin. En d'autre circonstance, on aurait baisé ce soir, mais là tu vois, je n'ai pas le temps. Je vais garder les cuisses serrées, c'est fort dommage mon chaton, mais tu vas devoir chasser ailleurs.

Et là c'est le drame, la goutte d'eau qui fait déborder le vase puisque je pars dans un fou rire monumental.

— Excusez-moi, bafouillé-je en direction du beau gosse, vous devriez voir votre tête, je ne voulais pas rire, mais là c'est...

— Rox laisse tomber, tu t'enfonces me dit Barbara en me tirant le bras.

Nous suivons le serveur jusqu'à notre table, bras dessus bras dessous en gloussant comme deux dindes. Je prends place devant la baie vitrée, ce qui me permet de profiter la vue. Le jeune homme nous tend la carte des apéritifs puis repart à travers le restaurant.

— Tu commandes un apéro ou de l'eau ? Pour ma part, je vais reprendre un cosmo.

— Un verre de vin blanc, je bosse tôt demain matin. Si j'arrive avec la tête en vrac, mon père va me tuer.
— Rhooo, ce que tu peux être chiante parfois. Oublie ton boulot et profite de la soirée.

— Deux verres, cédé-je, et c'est seulement pour te faire plaisir.

— Enfin, mademoiselle Harper se décoince. Alléluia ! Crie-t-elle, en levant les mains au ciel.

— Arrête, tout le monde nous regarde.
                  
— Et alors, on les emmerde ces tocards. Changeons de sujet, comment s'est passée ta journée ?

— Parfaite, jusqu'au moment où je suis allée chez mes parents.

— Laisse-moi deviner... le dragon a encore fait des siennes, c'est ça ? Elle a critiqué quoi cette fois, ton poids ? Tes fringues ? Ton haleine ? M'interroge mon amie en portant à ses lèvres le cosmopolitan que le serveur lui a apporté.

— Non, bien pire encore. Elle m'a demandée si je venais avec quelqu'un au gala. Sans attendre ma réponse, elle a dit qu'elle la connaissait déjà et qu'elle n'aurait pas dû me poser la question. J'en ai eu marre d'écouter ses méchancetés alors je lui ai balancé que j'avais un cavalier pour la faire taire.

— Jure ! Qui c'est ?

— Personne, lui avoué-je dépitée.

— Merde !

Son juron lui vaut un regard foudroyant de la part de notre voisin de table qui dîne avec une jeune fille.

— Oui, c'est le cas de le dire. J'y suis et vais m'y enfoncer.

Nous continuons de papoter, je pose ma fourchette et avale une gorgée de mon second verre de vin.

— Je vais consulter ma liste d'amis pour trouver un mec, dis-je en sortant mon smartphone de mon sac.

— Ton répertoire est rempli de contact professionnel se moque Barbara.

— Je dois bien avoir le numéro d'un ou deux ex.

— Si tu le dis, vue la façon dont tes histoires d'amour se sont terminées, tu risques d'y aller vraiment seule à ce gala.

— Mes histoires se terminent bien, qu'est-ce que tu racontes ? Quand il n'y a plus de sentiment, il faut rompre, c'est tout.

— Tu leur as tous brisé le cœur Rox. Enfin bref, c'est dommage que je n'enregistre aucun numéro dans mon appareil, j'aurais pu te dépanner.

— Oh ! C'est gentil de ta part, ironisé-je. Trêve de plaisanteries, je suis dans la mouise Barbara et pas qu'un peu.

— J'ai une idée, je vais aller demander à bidule s'il veut bien t'accompagner en échange d'une petite pipe dans les chiottes.

— Quoi !? Je ne suce personne, cela ne va pas bien dans ta tête !

— Pas toi bécasse, mais moi. Je vais me sacrifier pour toi avec machin-chose.

— Cela m'étonnerait qu'il accepte, il a quitté le restaurant juste après ton humiliation.

— L'abruti, celui-là. C'est vraiment con, il aurait servi à quelque chose et puis tu ne trouves pas qu'il était quand même baisable.

L'homme de la table d'à côté rouspète une fois de plus, Barbara se tourne vers lui et lui balance sèchement :

— Qu'est-ce qu'il a papy ? Un problème de digestion ou de prostate peut-être?

— Arrête Barbara, on va se faire éjecter du restaurant.

— Impossible, j'ai déjà sucé le patron. D'ailleurs cela me fait penser que Greg ne m'a pas encore sauté.

— Jésus Marie Joseph, tu as retenu le prénom de quelqu'un, c'est un miracle.

— C'est bien le seul mis à part le tien et le mien.

— Et celui du serveur, riposté-je avec le sourire.

— Ô mais lui c'est normal Rox, il a un badge sur sa veste alors, c'était facile de se rappeler.

Tout le reste du repas se passe dans la joie et la bonne humeur, il est vingt-deux heures trente quand nous quittons la table. Barbara me propose de prendre un dernier verre chez elle, mais je décline l'offre. Je dois encore préparer mes dossiers, lire mes mails, me doucher et enfin m'effondrer dans les bras de Morphée.

— Tu m'appelles demain sans faute. 

— Je le ferai, c'est promis. Bonne nuit blondasse.

— Bonne nuit ma brunasse adorée ! Réplique Barbara en quittant le parking au volant de sa Bentley.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant