Chapitre 64. Roxanne

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Dix jours après l'accident

Par pitié, faites taire ces voix. Je n'en peux plus d'entendre toutes ces personnes qui spéculent à mon sujet. Qu'est-ce qu'il se passe bon sang !
Qui sont-elles ? Que me veulent-elles ?  Il faut croire que ça les amuse de faire du bruit alors que j'essaie de me reposer.

— Roxanne entre en phase de réveil. Lorsqu'elle ouvrira les yeux, ne la brusquez surtout pas. Laissez-lui du temps pour qu'elle revienne à elle. Son cerveau devra se reconnecter avec la réalité tout doucement. N'oubliez pas qu'il était sur pause depuis cinq jours.

— Très bien. Et vous pensez qu'elle mettra combien de temps docteur Davis ? Demande une voix féminine que je crois reconnaître.

Ma mère... Non impossible. Je dois faire fausse route. La seule personne dont elle se soucie, c'est d'elle-même. Juste improbable qu'il s'agisse du dragon.

— C'est difficile de vous donner une heure précise. Ce que je peux vous dire, c'est que le traitement a été arrêté ce matin puisque son état est stable. Il faut juste être patient.

— Il n'y a plus aucun danger alors ?

— Ses signes vitaux ne montrent plus aucun état de faiblesse. Ce qui est très encourageant pour la suite à venir. À priori, votre fille devrait se réveiller dans les vingt-quatre prochaines heures.

— D'accord. Je vous remercie docteur. Je vais aller avertir son mari. Il sera heureux d'apprendre la grande nouvelle.

— Je dois continuer ma ronde dans le service. Néanmoins, je ne serais pas très loin si vous avez besoin de moi. Au moindre changement, n'hésitez pas à me biper.

— Ne vous inquiétez pas. J'y veillerais personnellement.

J'entends des pas s'éloigner, une porte s'ouvrir avec poigne et se refermer avec douceur. Enfin ! J'en avais assez de ces piaillements qui perturbent mon repos. Je replonge dans un silence apaisant. Celui-ci m'englobe de ses bras et je m'y sens en sécurité. Je n'ai plus envie de partir de cet état cotonneux. Je suis bien, en paix et je n'ai plus mal. Je me sens plus forte ici et rien ne m'effraie, pas même l'obscurité dans laquelle j'étais plongée quelques jours plus tôt. J'ai vaincu le néant. Ma force, je la dois à Léo. Je n'ai jamais cessé de m'accrocher à l'idée de retrouver mon mari et d'enfin faire la connaissance de notre fils. Léo m'a tellement parlé de lui lors de ses visites. Même si je ne pouvais pas répondre, j'étais consciente des moindres paroles qu'il me racontait. Sans eux, j'aurai lâché prise. Je ne me serai pas battue pour rester en vie. La douleur était si forte, désagréable et insupportable que je voulais la faire taire par n'importe quel moyen, quitte à mourir. Mais je ne pouvais pas concevoir de ne pas vivre aux côtés des deux hommes de ma vie. Alors je l'ai fait, je me suis battue.

Une main chaude, douce et réconfortante caresse mon visage. Cette sensation est très agréable. Elle est identique à celle du vent qui effleure ma peau lorsque la houle se lève.

— Je suis désolée Roxanne. Je ne sais pas si tu m'entends, mais sache que je te présente mes excuses. Je n'ai jamais été une très bonne mère avec toi. Pourtant je te jure d'avoir essayé... à ma façon. Je n'ai pas su m'y prendre, et je le regrette aujourd'hui. J'ai mis du temps à comprendre que j'avais échoué dans mon rôle de maman. Si je pouvais faire un saut dans le temps, je reviendrais trente-huit ans en arrière. J'aurai dû vous élever moi-même. Vous apprendre à faire du vélo par exemple ou même cuisiner des gâteaux pour vos anniversaires. Hélas, j'étais trop imbue de ma personne pour me soucier de votre éducation. Vous confiez à des nourrices était une bonne chose à mes yeux. Elles vous guidaient, vous aimaient, alors que moi j'en étais incapable. Tu sais que j'ai jalousé Gloria. Je ne supportais pas que ton frère l'appelle maman. Sans raison, je l'ai licenciée. Mike m'en a voulu et ton père était fou de colère. Gloria n'avait que ce petit boulot pour nourrir sa famille, et comme j'étais piquée au vif, je me suis vengé en la jetant dehors comme une moins que rien.

Si je m'attendais à ça... Les révélations de ma mère me surprennent et m'attristent. Je constate qu'elle a souffert de cette situation. Néanmoins, cela était au-dessus de ses forces de nous couver comme une maman poule. Le dragon a un cœur finalement et il n'est pas fait que de pierres. À ces mots je comprends qu'elle nous aime, Mary, Mick et moi... à sa manière mais qu'elle ne l'avouera jamais.

— Ne fais pas les mêmes erreurs que moi Roxanne. Protège ton fils, apprends-lui les bonnes choses de la vie et surtout dis-lui chaque matin et chaque soir que tu l'aimes plus que tout. Je dois partir puisque c'est la fin des visites, mais je reviendrais demain. Je vais prévenir Léo. Je t'aime dit-elle en posant ses lèvres sur mon front.

Un sentiment d'abandon et de froid s'immisce dans tout mon corps lorsqu'elle s'éloigne de moi. Je ne veux pas qu'elle me laisse seule sur ce lit d'hôpital. Je veux qu'elle reste, qu'elle me parle et me répète qu'elle m'aime jusqu'à ce que je finisse par m'en lasser.
Je vous en supplie mère, ne partez pas ! Essayé je de lui dire. Pourquoi ne puis-je pas lui répondre ? J'essaie, encore et encore mais en vain. Malheureusement mes lèvres restent scellées et ne semblent pas prêtes à vouloir bouger Que m'arrive-t-il ? Pourquoi suis-je incapable de répondre ? Je suis lasse de tout ça. Intérieurement je pleure tant son départ me bouleverse. J'ai besoin de ma maman.
Je sens quelque chose d'humide glisser sur ma joue et venir s'échouer sur mes lèvres. Une larme... Je ne pleure pas qu'à l'intérieur. Un signe que je suis en vie. Que je ressens, éprouve des émotions. J'espère que quelqu'un le remarquera et me viendra en aide. Je voudrais balayer ma frustration, me lever et courir à travers tout le centre hospitalier pour rejoindre ma mère, la serrer fort dans mes bras pour lui dire que je l'aime moi aussi.
La fatigue émotionnelle étant trop intense, je plonge de nouveau dans mes songes. Mon sommeil est agité par ce qui se joue dans ma tête. Fini la sensation de bien-être dans laquelle je suis plongée. Cette fois, c'est une scène dramatique qui vient perturber ma quiétude. Elle n'a rien de joyeuse ni de réconfortante. Un épisode que je n'ai jamais vécu, du moins pas tout à fait. Mon corps est agité de plusieurs spasmes. Mes muscles se raidissent, j'entends des Bip. Bip. Bip au loin. Des bribes de différentes scènes se mélangent et font remonter de douloureux souvenirs dans mon esprit.
J'aperçois et entends Taylor hurler le nom de mon mari à l'entrée de l'église où nous venons tout juste de nous unir. Son sourire diabolique me fait froid dans le dos. Ses propos sont incohérents. Je vois sa main plonger dans la poche de sa veste et en sortir quelque chose... Oh mon dieu ! C'est une arme. Cette folle nous observe tour à tour, mais son regard est rivé sur moi. Elle tremble de tout son être, hurle que Léo lui appartient. Son révolver toujours enjoue dans notre direction, elle ne me quitte pas du regard et là je perçois le bruit des détonations, elle vient de tirer sur mon mari sans même sourciller. Tous nos invités crient de peur et je regarde les larmes couler sur les joues de West qui tente de garder Léo en vie en lui prodiguant un massage cardiaque. J'assiste la scène sans aucune émotion, impuissante. Mon mari se vide de son sang et tout ce que j'arrive à faire à ce moment précis, c'est de rejoindre Taylor dans son fou rire. Aide-moi Roxanne... Entendis-je à plusieurs reprises. C'est la voix de Léo qui me supplie de lui venir en aide. Mais je reste là, à ne rien faire. Il est mort, son corps gît sur le parvis de l'église. Je ferme les paupières pour faire le vide et bloque chaque son, chaque geste pour ne pas être dérangé dans cette phase de transe qui s'empare de moi. Mes yeux s'ouvrent à nouveau. Tout a disparu. Je suis de retour dans cette chambre aseptisée. Il n'y a personne, pas de cris, pas de sang. Il n'y a vraiment plus rien sauf un immense mur blanc qui se dresse devant moi.

Qu'est-ce que...

Mon regard se porte sur une ombre floue... celle-ci n'est pas vraiment distincte. Est-ce un homme ? Une femme ?  Je ne saurai le dire. Je ne reconnais pas tout de suite qui se cache derrière ces traits qui se dessinent plus clairement à mesure que mes paupières clignotent.

Un homme... oui c'est bien cela.

Un individu masculin se dessine dans le halo d'une lumière qui m'éblouit. Je bats à nouveau des paupières pour chasser la clarté qui agresse ma vision puis reporte mon regard sur cette personne qui se tient debout, son visage tourné vers la fenêtre, si mon esprit ne me fait pas défaut. Je fais quelques mouvements, essaie de faire bouger mon corps engourdi. J'essaie d'ouvrir la bouche, ma langue est pâteuse et refuse de se mouvoir. Je n'arrive pas à parler et cela commence à me faire paniquer.

Ai-je perdu la parole ? Cela est-il dû à la balle qui a perforé ma poitrine ? Non, non, non. C'est impossible !

Je sais que je vais réussir à dire quelque chose, il le faut. Il doit savoir que je suis réveillée. Bordel ! Je n'y arrive pas. La tête de l'homme se tourne, je reconnais son profil... c'est Léo. Il est là, avec moi dans cette chambre. Je dois essayer de marmonner quelque chose, n'importe quoi. Je dois réussir coûte que coûte à lui faire savoir que j'ai repris mes esprits et que je suis revenue dans la réalité.
Mon cœur s'emballe follement, mon corps s'agite sans que je ne puisse le contrôler.
Un son incessant résonne dans la pièce. Je panique, je perds le contrôle.

Aidez-moi ! Je vous en supplie.

Bip. Bip. Bip...

Léo sort de la pièce à la vitesse de l'éclair, je l'entends hurler dans le couloir.
Non, ne pars pas mon amour. Reste là, je t'en prie !

Lui aussi m'abandonne à mon sort, comme l'a fait ma mère plus tôt. S'il vous plait, revenez... Léo, maman ! Je suis là !

Bon sang ! Faites taire cette foutue machine !

Biiiiip. Biiiiiiip. Biiiiiiip...

Et puis soudain... tout s'arrête. Le néant...

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant