Chapitre 6. Roxanne

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Déambulant comme un zombie à travers la maison, je me dirige à la cuisine avec l'infime espoir de trouver de quoi me préparer un café bien corsé. Je fouille dans les placards, récupère un sachet de pur arabica et l'inspecte de plus près puisque celui-ci me paraît plutôt léger. Mon regard bloque et je désespère puisqu'il n'y ait plus un grain à l'intérieur. Je rage contre moi-même d'avoir oublié d'aller en racheter et jette finalement mon dévolu sur un sachet de thé à la menthe. Je sors une tasse, remplis la bouilloire puis attends, adossée contre le comptoir de la cuisine que l'eau chauffe. Je m'apprête à avaler la première gorgée lorsqu'un opportun brise le silence dans lequel j'étais plongée. Je peste contre cette personne qui ose venir me déranger un samedi matin. Je me précipite jusqu'à la porte et au moment où je m'apprête à ouvrir, je prends conscience que je suis un peu trop dévêtue pour être présentable, je ne porte qu'un débardeur blanc et une petite culotte assortie. Ce n'est pas la tenue idéale pour recevoir un inconnu chez soi, pensé-je mal à l'aise.

Je monte les escaliers à toute vitesse afin de récupérer mon peignoir dans la salle de bain et alors que j'appuie sur l'interrupteur pour allumer la lumière, mes yeux tombent nez à nez avec une grosse bestiole qui gambade tranquillement sur le rebord du lavabo.

— Aaaah ! C'est quoi ce monstre.

Je crie, fais des bonds de deux mètres et pars en courant pour fuir cet arachnide qui me scrute de ses yeux pour me dévorer toute crue. Les coups se réitèrent sur le bois de la porte, j'ouvre sans me soucier une seconde de mon apparence et sauterai presque dans les bras du coursier qui m'apporte un pli dont je connais la provenance. Il s'agit d'une lettre envoyée par madame Rosa Harper alias le dragon. Je ne peux pas me tromper, puisqu'il y a le sceau de la fondation que dirige ma mère sur l'enveloppe. Je suis à deux doigts de faire une crise de panique et agrippe le pauvre gars par la veste avant de le supplier de monter là-haut avec moi.

— Euh merci pour la proposition, mais je vais décliner. Je suis un homme marié madame. Me balance-t-il au visage.

Hein !? Mais qu'est-ce qu'il s'imagine cet abruti ? Que j'ai envie de le remercier en le payant en nature.

— Il y a méprise. J'ai simplement une énorme mygale poilue qui se promène dans ma salle de bains et je suis terrifiée à l'idée de la voir se balader tranquillement alors que je serai dans mon bain.

— Ah oui, effectivement il y a quiproquo. Je suis désolé, j'ai cru que...

— On s'en fout ! Aidez-moi je vous en prie. Je suis prête à vous donner vingt dollars si vous m'en débarrassez.

Le gars d'une trentaine d'années prend tout son temps pour réfléchir, et lorsqu'il semble avoir la réponse, ce goujat ne se gêne pas pour négocier le prix de l'extermination.

— Cinquante dollars !

— Et puis quoi encore ! Vingt ou rien du tout.

— Dans ce cas, veuillez signer ici pour que je puisse vous remettre cette lettre et partir en vous laissant seule face à la best...

— C'est bon ! C'est bon ! Le coupais-je. Vous êtes un escroc.
— Non madame, simplement un bon négociateur, réplique-t-il amusé. Alors où se trouve la petite bête ?

— Dans la salle de bains.
            
Je fouille dans mon portefeuille, extirpe un billet, puis le donne au voleur qui m'a rendu service en écrasant l'intrus.

— Au plaisir. Me dit-il en prenant l'argent de mes mains.

— C'est ça ! Sifflé-je entre mes dents.

Note pour moi-même:
Penser à acheter du répulsif au centre commercial, ça me coûtera moins cher.

J'ouvre l'enveloppe que m'a remise le coursier et découvre deux cartons d'invitation pour le gala qui aura lieu ce soir. C'est une première venant de ma mère, jamais auparavant je n'avais eu besoin de ces fichus cartons pour intégrer un de ses événements. Je suis certaine qu'elle l'a fait exprès, elle doit se douter que je serai seule, et c'est une façon pour elle de remuer le couteau dans la plaie et ainsi m'humilier.

— Regardez ce que j'en fais de vos invitations, mère ! Fulminé-je en faisant un tas de confettis avec.

Je bredouille une tonne de jurons en montant à l'étage, ça me permet d'évacuer ma colère. Pénétrant dans la salle de bain, je règle le mitigeur d'eau pour obtenir la température souhaitée et laisse couler mon bain. Pendant l'attente du remplissage de la baignoire, j'inspecte ma tête dans le miroir. Mon reflet est effrayant, cela dit beaucoup moins que celui de l'araignée que j'ai croisé une demi-heure plus tôt. Une fois le volume d'eau suffisant, je m'immerge complètement en posant la tête sur le rebord, le regard rivé au plafond, je réfléchis à comment berner ma mère. Je pourrais simuler la panne de voiture, quoique, j'ai déjà essayé cette ruse une fois, et le dragon m'avait fait envoyer un chauffeur. Je dois trouver autre chose... allez Roxanne, fais travailler tes méninges. Et pourquoi ne pas feindre la maladie ? Mauvaise idée... elle se ramènerait chez moi avec une pharmacie entière pour me remettre sur pied.

— Arggggh ! Comment vais-je faire pour me sortir de cette panade ?

Si j'avais su, je serais partie en déplacement avec l'associé de mon père, Charles. Il m'aurait fourni un alibi en béton.

Je sors du bain, toute fripée mais détendue après avoir fait trempette durant plus d'une heure. Je m'essuie et m'enduis de crème hydratante. J'enfile des sous-vêtements, une robe portefeuille beige puis attachent mes longs cheveux en un chignon désordonné. J'applique un peu de mascara sur mes cils, tartine du gloss sur mes lèvres puis quitte la salle de bain pour retourner au rez-de-chaussée, afin d'enfiler mes escarpins marron. Je récupère les clés de ma voiture ainsi que mon sac à main afin d'aller finaliser mes essayages chez ma couturière. Au moment de claquer la porte d'entrée, mon portable émet un signal sonore, je le consulte et remarque qu'il y a plusieurs SMS en attente. Je lis le premier sans y répondre. Le dragon me demande si j'ai bien réceptionné ses invitations. Le second est de ma sœur qui vient aux nouvelles. Je rédige un message lui racontant la dernière stupidité de notre génitrice puis réponds aussi à mon amie Barbara qui veut savoir si j'ai eu des nouvelles de l'Escort. Non... le beau brun est resté muet face à ma proposition. Tant pis pour lui, j'estime avoir été assez généreuse en lui proposant dix mille dollars la soirée. Cette fois, je quitte réellement la maison puisque l'heure tourne. J'ai tellement à faire aujourd'hui que j'émets de sérieux doutes concernant ma ponctualité pour me rendre au gala. Ni une ni deux, miss catastrophe comme j'aime me nommer, dévale les marches du perron sur les fesses. Un de mes talons s'est coincé dans une lame de bois, j'ai bien tenté de me retenir à la rambarde, malheureusement comme toujours, j'ai fini les quatre fers en l'air. Je me relève, me masse le fessier puis pars dans un fou rire incontrôlable. La journée a merveilleusement commencé. Que peut-il m'arriver de pire que de rencontrer une araignée, sauter dans les bras d'un coursier et me casser la figure ?

Je m'installe au volant de mon bolide, fais hurler le moteur puis démarre sur des chapeaux de roue. Avant de passer voir Heather ma couturière, je m'arrête dans un bar à salades pour avaler quelques feuilles. Je ne traine pas, paie l'addition et file dans les rues de New York, perchée sur mes talons puisque sa boutique n'est qu'à deux pâtés de maisons. La chaleur est étouffante, je transpire comme un bœuf, les quelques mèches de cheveux qui s'échappent de mon chignon se collent à mon visage. Je ne cesse de les retirer mais c'est peine perdue, ils ne sont pas dociles, comme d'habitude. J'arrive enfin à la boutique, Heather m'accueille chaleureusement en me serrant dans ses bras. Ce petit bout de femme de quarante-deux ans est devenu une bonne amie au fil du temps. Je ne jure que par ses créations, elle réalise des merveilles avec ses doigts de fée et cela ne me coûte pas plus cher qu'une robe de grand couturier. Ma mère qui voue une adoration pour Gucci, Dior et autres est exaspérée que je puisse utiliser mon argent pour des vêtements qui ne portent pas un nom luxueux. Cependant, je m'en contrefiche, j'achète et porte ce que j'aime et les fringues d'Heather sont de vrais petits bijoux à avoir dans son dressing.

— Coucou ma belle, comment vas-tu ?

— C'est la folie aujourd'hui, je n'arrête pas de courir. Tu viens pour ta robe je suppose.

— Tu supposes bien, j'ai hâte de découvrir le résultat.

— J'ai eu un petit contretemps Roxanne, ta robe n'est pas tout à fait prête.

— Ce n'est pas vrai ! Comment vais-je faire ? Murmurais-je abasourdi par sa confidence.

— Porte en une autre.

— Il n'en est pas question ! J'avais prévu d'épater la galerie avec mon fourreau de soie rouge et pourquoi pas dénicher un prince charmant pour l'occasion.

Heather pouffe d'un rire sadique, la garce me fait marcher depuis le début et moi, sombre idiote, je crois en sa connerie.

— T'es vraiment une belle sal...

— Salope, je sais. Cependant, tu verrais ta tête ma chérie, c'est tellement jouissif.

— Tu m'agaces. Alors où est cette création de rêve ?

— Viens avec moi dans l'arrière-boutique. J'ai bossé comme une dingue toute la nuit pour la terminer, elle est sublime. Je ne pense pas me vanter en disant que c'est ma plus belle pièce.

— Je te fais confiance montre-moi ton chef-d'œuvre dans ce cas.

Nous nous rendons dans son antre où un bazar monstre y règne. Je me demande parfois comment elle fait pour s'y retrouver, je serai incapable de dénicher le moindre bouton. Elle récupère une housse dans une armoire dont je n'avais jamais remarqué l'existence, puis l'ouvre afin de me présenter la fameuse robe. J'en suis subjuguée, elle est absolument parfaite. La soie d'un rouge vif est minutieusement travaillée, des perles et des strass sont cousus sur l'ensemble du bustier. Je ne peux qu'être d'accord avec elle, il s'agit de sa plus belle réalisation.

— Heather, elle est magnifique... C'est un petit bijou.

— Essaye-la ! Je dois voir s'il te faut des retouches.

Je passe derrière un paravent, me déshabille et enfile la robe avec précaution, j'ai l'impression d'avoir un trésor inestimable sur la peau. Je suis ébahie par tous les petits détails qu'elle a apportés. Elle est parfaite ! Elle est longue, fluide, ouverte jusqu'à mi-cuisse et par-dessus tout, elle me va comme un gant. Je sors sous le regard approbateur de mon amie qui applaudit et siffle en me découvrant.

— Je le savais, c'est vraiment ma plus belle réussite. Tu es resplendissante Roxanne, et regarde comment la soie épouse tes formes. C'est clair qu'elle a été faite pour toi. Les hommes vont te manger dans la main ma chérie.

— Je dirais plutôt qu'ils vont me bouffer des yeux, regarde ma poitrine... on ne voit qu'elle !

— De quoi te plains-tu, j'aimerais bien en avoir autant que toi mais dame nature m'a un peu oubliée sur ce coup-là.

Nous papotons et rions ensemble devant une tasse de café, puis je l'avertis qu'il faut vraiment que je me sauve, sinon je risque d'être vraiment à la bourre si on continue de blablater.

Je me rends ensuite chez le coiffeur, Antonio qui s'occupe de ma tignasse depuis des années, me conseille de boucler mes cheveux afin de les laisser cascader sauvagement dans mon dos. Pourquoi pas, après tout, c'est lui l'expert capillaire, pas moi. J'admire le résultat dans le miroir et ce que j'y vois me plaît énormément.

— Merci Antonio, une fois de plus, tu fais de moi une princesse.

— Bella, tu vas mettre le grappin sur un beau mâle ce soir, je te le garantis.

— Tu parles, personne ne veut de moi. Même toi Tonio, tu refuses de me foutre dans ton lit.

— Ah ma chérie ! Si tu avais un pénis et des seins en moins, tu serais mon genre.

— Tu es bête, je vais en toucher un mot à ton petit ami. Je doute qu'il apprécie une troisième personne dans votre lit.

— Cafteuse ! La prochaine fois, je te rase la tête !

— Chiche... Annoncé-je en lui tendant la main pour concrétiser notre accord.

— Ne me tente pas vilaine fille ! Allez, oust du balai, tu vas être en retard à ta soirée.

De retour à la maison vers dix-sept heures, je me dis que je me maquillerai un peu plus tard puisqu'il me reste encore du temps pour jeter un œil sur un dossier d'une extrême importance. Ma mère a raison, même lorsque je me mets au vert le temps d'un week-end, je ne peux m'empêcher de penser au travail. J'allume mon ordinateur pour envoyer un mail à Charles, l'associé de mon père, je lui confirme que j'approuve les détails du contrat qu'il a rédigé avec une des enseignes françaises qui souhaite commercialiser notre gamme de produit de beauté. Je suis à deux doigts de refermer l'ordinateur, néanmoins comme ma boîte mail clignote, je prends le temps de lire les messages. Mon attention se focalise uniquement sur un mail provenant de l'Escort que j'ai contacté hier soir. Celui-ci n'était pas disponible, peut-être me propose-t-il un de ses collègues ? Ce qui serait vraiment très sympa de sa part. Je clique sur le message, mes yeux sortent de leurs orbites lorsque je prends connaissance de son contenu. Il me propose ses services, ses plans ayant changés, il me prévient qu'il est totalement libre si je cherche toujours un accompagnateur.
C'est un miracle !
Je sautille, entame une danse de la joie en chantant Super Freak, le célèbre tube de Rick James. On pourrait me comparer à Calista Flockhart, l'actrice qui jouait Ally McBeal dans une série que j'ai dévorée adolescente. Je rédige une réponse à Léo, j'espère que ses plans n'ont pas changé puisque son message date de quelques heures. Sa réponse ne se fait pas attendre, il est d'accord pour vingt mille dollars la soirée. Ça fait une sacrée somme d'argent certes, mais j'aurai enfin le plaisir de clouer le bec de ma mère en me pointant au gala avec un charmant jeune homme. Je lui communique mon adresse, regarde l'heure et peste contre moi-même. Il me reste moins de soixante minutes pour enfiler ma robe, dompter à nouveau mes boucles, parfaire un maquillage sobre et lumineux avant que mon chevalier servant du moment ne débarque.          

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