Chapitre 46. Roxanne

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Serons-nous heureux un jour sans que rien ne puisse venir entraver notre bonheur ?
Je n'en suis pas certaine, permettez-moi d'en douter.
Une fois de plus Léo est rattrapé par son passé et, malheureusement, cela fragilise notre couple en construction. J'ai le sentiment de toujours devoir me battre pour nous, cela en devient pesant, fatiguant à la longue. Bien sûr, je savais que bâtir quelque chose sur un champ de ruines serait compliqué, seulement mon impuissance face à ce chantier colossal me désarme. Notre couple est comme un château de sable, la moindre rafale de vent est une menace pour sa stabilité. Toujours dans l'incertitude, jamais dans l'évidence.
Cet acharnement perpétuel cessera-t-il donc un jour ?
Je l'espère fortement, je ne crains d'être en mesure d'être assez forte pour soutenir à bout de bras l'épée de Damoclès qui se trouve au-dessus de nos têtes.
Marchant d'un pas traînant, le corps alangui par l'effort, je ne prête aucune attention à la personne qui se tient immobile contre le mur et continue ma trajectoire afin de reprendre ma place auprès des invités.

— Roxanne. M'interpelle une voix qui me fait froid dans le dos. Où est Léo ? Je dois lui parler, c'est très important.

Garreth ? Que lui veut-il bon sang ? Léo ne veut rien entendre venant de sa bouche, et moi non plus, alors pourquoi s'entête-t-il à nous pourchasser.

— Pour votre information, Léo est parti.

— J'aurais dû m'en douter. Roxanne, j'ai des choses à vous dire concernant Taylor.

Ah non, pas elle ! Je n'ai rien envie de savoir pour le moment, et encore moins venant d'un homme qui a osé trahir son frère avec cette femme.

— Écoutez Garreth, j'aimerais que vous me laissiez tranquille.

— Vous ne comprenez pas ma démarche. Je ne suis pas là pour vous causer du tort à Léo ou à vous, je suis ici contre mon gré et je dois vous mettre en garde contre Taylor.

— Et bien allez-y, expliquez-vous. Qui y a-t-il à savoir sur elle ? Mis à part qu'elle soit l'ex de Léo et qu'elle l'a trompé avec vous, je ne vois pas quoi rajouter de plus.

— Ce serait trop long à expliquer et le temps joue contre nous. Restez prudente, c'est une garce, une manipulatrice, une sociopathe qui prend un malin plaisir à détruire des vies. Je ne connais pas l'exactitude de ses intentions vous concernant, mais je reste persuadé d'une chose, c'est qu'elle vous fera du mal dès que vous baisserez la garde.

— Pourquoi venir baver sur son dos alors que vous êtes en sa compagnie ? J'ai dû mal à saisir Garreth, éclairez-moi.

— Elle me tient à cause de Mia, je ne peux pas vous en dire plus.

Mia ? Qui est cette Mia ? Pourquoi reste-t-il dans le flou concernant cette personne ? Des questions, toujours des questions auxquelles je n'obtiens jamais de réponses.

Le bruit d'une paire d'escarpins claquant sur le sol carrelé se fait entendre, je tourne la tête dans tous les sens mais ne distingue pas cette femme qui nous épie. Sans que je puisse réagir ou comprendre ce qui se passe, Garreth s'empare de mes lèvres le temps d'un instant, puis se confond en excuses avant de repartir se mêler à la foule. Complètement déstabilisée et encore sous le choc par ce baiser volé, je cours en direction des toilettes afin de vider mon estomac de tout ce dégoût et toute ma colère. Quelle surprise n'ai-je pas lorsqu'en sortant du cabinet, je découvre Taylor qui me jauge avec un sourire hypocrite plaqué sur le visage !
Que me vaut cette grimace ?
Je vais bientôt le savoir, j'en suis certaine puisqu'elle s'approche de moi en adoptant une position d'attaque.

— Eh bien, Roxanne, que vous arrive-t-il ? Vous êtes toute blanche, auriez-vous croisé un fantôme ? Braille-t-elle d'un rire machiavélique.

L'avertissement de Garreth clignote en rouge dans mon cerveau. Alerte ! Rox, tu dois fuir au plus vite. Cette femme est dangereuse, je le sens au plus profond de mon être. Je tente d'échapper à son regard noir, en me plaçant devant le miroir, afin de faire diversion en fouillant dans ma pochette pour y dénicher n'importe quoi, qui me serait utile pour me défendre en cas d'agression. Elle ne ferait tout de même pas cela ici, pas en présence d'une centaine de personnes... Si ? Quoique, j'émets des réserves maintenant.

— Vous connaissez la vérité, je suppose.

— Effectivement, Léo m'a averti dès qu'il vous a aperçu.

— Il semblait bouleversé de me revoir, peut-être même très heureux. Il n'a jamais été insensible à mon charme, vous devriez le savoir.

Qu'elle se taise ! Tout ce qu'elle raconte n'est que mensonge. Fais-toi violence Rox. M'encouragé-je avec détermination. Ne l'écoute pas, ne réponds pas et sauve-toi.

— Il a changé en onze ans, il est beaucoup plus sexy et attirant que, lorsqu'il avait vingt ans, vous ne trouvez pas ? Suis-je bête, vous ne le connaissiez pas.

— Vous jouez à quoi Taylor !? Persifflé-je entre mes dents.

— Roxanne, Roxanne, Roxanne. Répète-t-elle en boucle. Je ne joue pas, bien au contraire. Je vous préviens seulement que votre relation ne durera pas, et vous savez pourquoi ? Parce que Léo est à moi.

— Vous avez l'air bien sûr de vous, Léo vous déteste !

— C'est ce qu'il tente de faire croire. Il m'a toujours aimé d'un amour colérique, même quand nous faisions l'amour, c'était toujours sauvage, brutal, bestial. Cependant, tellement jouissif.

— Fermez-la ! Hurlé-je en agrippant la vasque qui se trouve devant moi. Vous pensez sérieusement qu'il reviendra avec le mal que vous lui avez fait !

— Un simple égarement, erreur de jeunesse. Garreth et moi étions saouls.

— Vous êtes complètement folle ! Il faut vous faire soigner. Léo ne vous aime plus !

— Il reviendra quand il apprendra que nous avons une fille ensemble. Mia lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Regardez, dit-elle en me montrant un cliché sur l'écran de son téléphone. Elle a les mêmes yeux que son père, vous ne trouvez pas ?

— Vous mentez sale garce !
Tout cela n'est que calomnie, ne la crois pas. Elle invente une histoire pour te déstabiliser, te foutre au fond du trou, me hurle ma conscience. Léo n'est pas le père de cette fillette, j'en suis convaincue. Si elle pense être crédible, elle se trompe complètement. J'en rirai avec mon homme quand il entendra parler de cette supercherie.

— Vous pensez ? Nous verrons bien. Conclut-elle avant de sortir de cette pièce de taille standard, qui me semble soudain étouffante et étriquée.

À peine la porte refermée, j'envoie valser mon poing dans le miroir. Le verre se brise en mille morceaux et s'éparpille par terre. Du sang s'échappe de ma main, cependant, toutes les coupures ne m'apportent aucune douleur, la seule émotion que je ressens est une colère noire, tellement dévastatrice qu'elle s'implante dans les profondeurs de mon âme. Toute la douceur, la compassion et l'autodérision dont je suis pourvue disparaissent comme un château de cartes soufflé par une brise venue d'ailleurs. Tout en regardant la tache de sang se former à mes pieds, je proclame haut et fort que la guerre est déclarée.

— À nous deux Taylor ! La partie ne fait que commencer.

Les joues dégoulinantes de larmes, je tente de calmer ma colère, ma tristesse en utilisant une technique de respiration apprise à un cours de yoga. Je prends de grandes inspirations par le nez que je bloque quelques secondes puis expire lentement par la bouche. Mon rythme cardiaque ralenti, je ne ressens plus les palpitations acharnées qui cognaient violemment dans ma poitrine. J'inspecte ma main de plus près, et constate que les dégâts sont assez sérieux et qu'il faudra que j'aille à l'hôpital faire des soins. C'est bien ma veine, je déteste les piqûres et les aiguilles. J'envoie un message à ma sœur afin qu'elle me rejoigne ici en lui demandant d'être discrète et de trouver un nécessaire de premiers secours pour panser mes plaies.
Non mais je rêve !! Ce n'est pas croyable ! Qu'est-ce qu'elle n'a pas compris dans le mot discrétion ? Va falloir qu'elle relise la signification... Mary rapplique avec toute la cavalerie, c'est-à-dire Barbara et Carla.

— Ô mon Dieu ! Roxanne, ta main, qu'est ce qui t'est arrivé ?

— Tu as couru un marathon Mary ? Ne puis-je que répondre pour calmer la panique que je lis dans son regard azur.

— Ne fais pas ta maligne Roxanne Harper ! Me gronde-t-elle en pointant son doigt sur moi. J'ai fait aussi vite que possible avec mes talons de douze centimètres aux pieds, tu crois que je suis comme Carrie Bradshaw, que je peux faire un sprint en gambadant sur des échasses sans être essoufflée ou décoiffée.

— Dans ce cas-là, moi, je suis la chaudasse ! S'écrit soudainement Barbara alors que ma sœur étudie mes blessures. Comment s'appelait déjà cette blondinette ?

— Samantha Jones ! Criions-nous en cœur.

— Ah oui ! Je m'en souviens maintenant. Qui de Carla ou de Roxy sera Charlotte, la petite bourgeoise coincée du cul.

— Pas moi !

— Ni moi parce que je baise, la preuve, j'ai un polichinelle dans le tiroir. Se justifie Carla.

— Pff, vous êtes chiantes, vous ne jouez même pas le jeu. Il reste la rousse, la plus moche de la bande. Amanda, je crois.

— Miranda. Tu as des soucis de mémoire Barbie, Alzheimer te guette. Peste ma sœur. Plus sérieusement arrêterons de parler de Sex and the City et concentrons-nous sur la menotte de Roxy. Raconte-nous comment c'est arrivé.

— C'est une histoire de dingue, je vous jure les filles ! Digne d'un film hollywoodien.

J'explique en détail le déroulement de la soirée, en omettant le passage de la petite gâterie fait à Léo dans un bureau qui ne fermait pas à clé. Elles écoutent attentivement sans émettre un seul commentaire. Moi-même en racontant mon récit, je n'ose toujours pas y croire. Tout cela est irréel, un foutu cauchemar dont je n'arrive pas à me réveiller.

— Quelle pétasse ! S'exclame Barbara, prête à en découdre avec Taylor. Je vais me la faire, je vous garantis que je vais la tuer !

— Tu ne feras rien. Roxanne et Léo sont assez matures pour régler cette histoire sans en venir aux mains.

— C'est son premier amour, leur fis-je constater. Et si cette gamine est vraiment la sienne, Léo partira, j'en suis sûre. N'oubliez pas qu'il a été élevé par son oncle et sa tante. Sa mère biologique a préféré l'abandonner, alors c'est impossible qu'il réitère ce qu'il a vécu.

Mon récit terminé, Mary me pousse à aller à l'hôpital pour faire recoudre ma main avant de rentrer chez moi pour discuter avec Léo. Mais avant cela, je dois m'entretenir avec une personne, celle qui m'a conseillée de me tenir éloigné de Taylor. Lui seul pourra m'apporter des réponses. J'envoie les filles en repérage pour qu'elles trouvent Garreth dans toute cette foule. Ma main me fait atrocement mal, les effets de l'adrénaline ont disparu et la douleur lancinante se propage dans la totalité de mon bras.

Que vais-je bien pouvoir dire à Léo ? Le connaissant, il va péter un plomb contre moi ou bien après cette garce qui veut faire de nos vies un enfer.
Garreth me sort de mes pensées en entrant dans les toilettes précipitamment tout en jurant des noms d'oiseaux tous plus grossier les uns que les autres.

— J'en étais sûr ! Je vous avais prévenu Roxanne. Montrer moi ça ! Merde ! Ce n'est pas beau à voir. Il va falloir faire des sutures, vous ne pouvez pas rester dans cet état, vous risquez l'infection. Je vais vous conduire aux urgences.

J'essaie de l'arrêter pour qu'il se taise et m'écoute, seulement c'est bien un Ortega lui aussi. Il n'en fait qu'à sa tête et débite un flot de paroles sans que je ne puisse placer le moindre mot.

— Garreth stop ! Ecoutez-moi bon sang ! Qui est réellement Mia ? Est-ce l'enfant de Léo ? Et pourquoi m'avoir embrassé en vous excusant par avance ?

— Partons d'ici, les murs ont des oreilles Roxanne. Je vous conduis à l'hôpital et vous raconte tout en chemin.

J'accepte de le suivre, en ayant quelques craintes, mais après tout j'ai besoin de savoir. Durant le trajet, il m'explique que Taylor est avide de pouvoir et de vengeance, qu'elle obtient toujours ce qu'elle veut de n'importe quelle manière.

— Mia est ma fille, pas celle de mon frère. Quand nous avons couché ensemble, Taylor et moi étions bourrés, et nous n'avons pas mît de protection. Neuf mois plus tard la petite est née. Taylor a voulu me faire croire que Léo était le père, ce qui était peu probable puisqu'il n'avait jamais de rapport sans préservatif. J'ai fait faire des tests ADN dans son dos et la conclusion est tombée, c'était moi le géniteur.  Depuis Taylor me fait chanter, si je n'obéis pas à ses ordres, elle m'empêche de voir la petite. C'est elle qui m'a demandé de vous embrasser pour pouvoir prendre une photo. Je suis catégorique quand j'affirme qu'elle a dû l'envoyer à Léo. Il faut que tout cela cesse, je dois parler à mon frère, seulement il refuse de m'écouter. Aidez-moi Roxanne !

J'en reste sans voix face à toute cette histoire, c'est invraisemblable. Je ne sais plus ce que je dois faire. Léo va être fou de rage quand il recevra le cliché où son frère et moi avons les lèvres scellées. Comment lui expliquer que c'est Taylor, l'investigatrice de tout ce carnage.
Garreth attend qu'un de ses confrères ausculte ma main, résultat des courses, treize points de suture auront été nécessaires pour me soigner.

— Je vous raccompagne ?

— Non merci. Je vais appeler un taxi.  C'est plus prudent que Léo ne me voit pas en votre compagnie.

Trois quarts d'heures plus tard, j'arrive à la maison. Toutes les lumières sont éteintes et la porte d'entrée est déverrouillée, ce qui n'est pas normal. Je retire mes escarpins et pars en direction de la chambre. Elle est vide, il n'y a personne et le lit n'est même pas défait. Ce qui est d'autant plus bizarre, c'est que je n'ai pas croisé Gigolo.
Mais où sont-ils ? J'inspecte toutes les pièces, l'extérieur et ne trouve aucun indice, seul le SUV a disparu et je comprends tout de suite que Léo est parti. Et je sais exactement où le trouver... dans sa cabane.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant