Chapitre 62. Roxanne

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Juin 2017

Pour la troisième fois consécutive, je contemple mon reflet dans le miroir, et à ma grande surprise, ce soir je me trouve belle. Cela ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Il m'aura tout de même fallu une bonne heure de préparation pour que le résultat final soit juste bluffant. La tâche s'est avérée difficile, fort heureusement je peux dire merci au maquillage qui m'a permis de camoufler mes cernes et le masque de grossesse que je me coltine depuis quelques semaines sur le visage. Je peigne mes cheveux, et étonnement ils ne me donnent pas de fil à retordre, au contraire ils restent disciplinés... un vrai miracle.
Je perds vite le sourire lorsqu'une légère contraction se fait sentir en mon bas-ventre, cela arrive assez fréquemment depuis deux jours, cependant je ne m'affole pas, puisqu'il me reste encore un mois avant le terme. Tout en prenant une grande inspiration, je ferme les yeux, bloque l'oxygène dans mes poumons puis expire lentement tout en gardant mon calme comme me l'a conseillé mon gynécologue.
Une fois la douleur passée, je sors de la salle de bains comme si de rien n'était pour ne pas alarmer Léo, puis le rejoins au salon où il m'attend. Son regard s'illumine à ma vue, le fourreau que je porte pour l'occasion semble lui faire beaucoup d'effet et me ravit d'avoir opté pour cette robe bleue électrique, alors que je n'étais pas certaine d'avoir fait le bon choix. L'aspect satiné de ma tenue accentue les courbes de mon corps. Mon ventre rond, mes hanches élargies et ma poitrine opulente sont mis en valeur dans cette magnifique toilette. Je suis agréablement surprise de voir que je fais encore de l'effet à mon mari, et ce malgré les treize kilos que j'ai pris lors des huit derniers mois.

— Tu es magnifique ma chérie. Si nous n'étions pas attendus, je t'aurais fait l'amour sur-le-champ.

— Dans ce cas, nous verrons cela en rentrant à la maison... en espérant que je ne sois pas trop fatiguée.

Léo encaisse la nouvelle avec le sourire, pourtant, je sais qu'au fond de lui il est malheureux de ne pas pouvoir disposer de mon corps comme il le voudrait. Bien que je fasse des efforts pour le satisfaire, cela reste insuffisant pour l'insatiable qu'il est. Néanmoins il ne me fait aucun reproche, Léo sait que ma libido est en berne à cause de ma grossesse. Et j'avoue qu'il me tarde d'accoucher pour retrouver mon appétit sexuel. Je détaille mon mari de la tête aux pieds, le costume gris qu'il porte est d'une élégance à en couper le souffle. Ses muscles saillants se dessinent sous le tissu de sa chemise, son pantalon épouse ses cuisses et son postérieur à la perfection. Je me délecte de sa perfection, seulement je constate qu'il y a une ombre au tableau et pas des moindre. Sa coupe de cheveux me chiffonne, je déteste lorsqu'ils les plaquent et il le sait. Je trouve que cela ne colle pas avec son côté rebelle... ce trait de caractère que j'affectionne tant. J'aime que sa tignasse soit désordonnée, il est beaucoup plus attirant, et sexy à souhait avec sa coupe à l'allure d'après baise. Je me plante devant lui et sans qu'il ne s'y attende, je plonge ma main dans sa masse brune et l'ébouriffe.

— Hé ! Pourquoi tu fais ça ? J'ai mis une plombe à les dompter. Ce que tu peux être chiante parfois.

— Je préfère quand tu as les cheveux en bataille. Et arrête de te plaindre, sinon tu risques de me contrarier. Et tu sais ce qui se passe lorsque je suis vexée ?

— Pas besoin de me le rappeler. Je n'ai pas envie de t'entendre râler et chialer toute la soirée.

— Voilà qui est raisonnable.

Léo encercle ma taille de ses grands bras, il pose ses lèvres sur ma bouche filmée de rouge et me confie que je suis une belle emmerdeuse.

— Mon pauvre chéri. Et dire que tu vas passer le restant de tes jours avec moi. Tu sais ce qu'il y a de plus drôle dans tout ça, c'est que je continuerais de t'en faire voir des vertes et des pas mures. Tu m'as épousé pour le meilleur et pour le pire, alors tu dois t'y habituer. Le nargué-je en lui volant un baiser.

— Quelle connerie ! J'aurais dû réfléchir à deux fois avant de passer devant le curé. Me répond-il en souriant.

— Espèce de...  Tu vas regretter tes mots, crois-moi ! J'avais une surprise pour toi sous cette jolie robe. Et bien mon cher mari, tu vas ramer pour voir ce qui s'y cache et encore si j'obtempère pour te le montrer.

— Petite rectification madame Ortega. Tu as oublié une chose primordiale. C'est moi qui descendrai la fermeture de ta robe en fin de soirée puisque tu en es incapable, et à ce moment-là, je pourrais t'admirer sans avoir aucun effort à fournir.

Merde ! Il a raison. Sans lui je n'aurais pas pu fermer ma robe, alors il en va de soi que pour la retirer, j'aurai bien évidemment besoin de ses mains. Zut, zut, et re zut !

— Tu as gagné... seulement pour cette fois. L'avertis-je. Maintenant on devrait y aller avant que Mary ne pique une crise. On a déjà quinze minutes de retard.

Nous quittons la maison vers dix-neuf heures quinze. Trente minutes plus tard, nous arrivons sur le lieu où ma sœur organise son vernissage. La salle d'exposition est bondée, ce qui ne m'étonne guère puisqu'elle a du talent et qu'elle s'est lancée dans un registre où personne ne l'attendait. Le nu artistique... un pari audacieux qui s'avère être une grande réussite vue le monde qui s'agglutine devant ses toiles. Les collectionneurs d'art ont fait le déplacement spécialement pour l'occasion, ainsi que des anonymes, et des journalistes qui sont là pour juger le travail de ma sœur.
En découvrant la peinture qu'elle a réalisée de moi, Léo en reste bouche bée.
— Waouh ! C'est magnifique... tu es splendide mon amour. Mary a un très bon coup de pinceau.

— Je suis d'accord, néanmoins le modèle y est pour beaucoup.

— Je dois trouver ta frangine tout de suite.

— Pourquoi ?

— Cette peinture est à moi Roxanne. Personne ne l'achètera, elle m'appartient.

— Tu as peur qu'un mec bourré de fric achète cette œuvre pour se rincer l'œil sur ta femme. Rassure-toi mon amour... elle est déjà à toi. Je l'ai acheté.

— Tu m'en vois ravi et soulagé.

— Allons découvrir le reste de l'exposition. Proposé-je en le tirant par le bras.

Nous parcourons la salle main dans la main, tout en prenant notre temps pour détailler chaque tableau. Mon regard s'arrête sur une œuvre qui me subjugue. Il s'agit d'un homme nu comme un ver. Une rose rouge repose sur son sexe. Ce qui est sublime et dommage à la fois, puisque j'aurais aimé voir la bête en action. Ne dites rien à mon mari, il en ferait une syncope. Je scrute la peinture un long moment, les muscles du modèle sont dessinés avec une telle précision que j'ai le sentiment d'avoir cet homme en face de moi. Le travail est impressionnant.

— Il te plaît ?
— Je l'adore.

— Je suis jaloux. Qu'est-ce qu'il a de plus que moi ce type ?

— Rien... absolument rien ! Même si je le trouve époustouflant, toi tu es bien plus attirant... et réel qui plus est.

Un serveur nous propose des petits fours et du champagne. Je refuse poliment puisque je ne bois plus d'alcool et que j'ai très envie de faire pipi. J'avertis Léo qu'il faut que je passe au petit coin. Le poids de mon fils appuie de plus en plus sur ma vessie, si bien que j'ai pris une carte d'abonnement pour aller aux toilettes toutes les dix minutes. Tout en slalomant entre les convives, j'aperçois une silhouette familière, accompagnée d'un sublime jeune homme blond qui avoisine les trente ans. Dès que j'entrevois son visage se tournant dans ma direction, je reconnais aussitôt Marjorie. Qu'est-ce qu'elle fout là ? J'espère que Léo n'est pas au courant ou il risque de faire un esclandre. Il ne manquerait plus ça ! Je me dois de demander des explications à Mary sur sa présence. Mais cela attendra, j'ai vraiment besoin de me rendre aux toilettes de toute urgence. J'arrive difficilement dans le couloir où un dédale de portes s'entasse les unes sur les autres. J'en ouvre une demi-douzaine avant de trouver le saint-Graal. À mon grand soulagement, les commodités sont vides. Je me soulage rapidement pour ne pas faire attendre mon mari et sors du cabinet aussi vite que j'y suis entrée. Une nouvelle contraction se fait sentir, je mets en pratique mes exercices de respiration et retourne auprès de mon homme, lorsque la douleur cesse enfin. Je cherche mon homme dans la foule, seulement je ne l'aperçois pas.
Mes yeux vacillent sur un visage qui ne met pas inconnu, loin de là. Il me semble reconnaître cette garce, mais je n'en suis pas certaine puisque la femme qui me dévisage au loin est rousse alors que l'ex de Léo est brune. C'est bien ma veine, je divague complètement, serait ce mes hormones qui me jouent des tours et me font halluciner sur le fait d'imaginer Taylor sous les traits de cette personne. Je ne cesse de la regarder avec insistance, j'espère vraiment me tromper, seulement je la perds de vue lorsqu'un homme un peu éméché me bouscule sans le faire exprès.

— Je suis désolé ma petite dame. Je ne vous avais pas vu.

Il a besoin de lunettes celui-là, je suis loin d'être transparente avec le bide que j'ai. Je lui dis que ce n'est rien et reprend mon chemin.

J'entends quelqu'un m'appeler, faiblement certes, mais je le perçois. Je tourne sur moi-même et ne vois pas qui est cet individu qui hurle mon prénom à travers la foule. Il y a beaucoup trop de brouhaha pour que je repère d'où vient cette voix féminine. Mes pas me guident à nouveau vers l'endroit où j'ai laissé mon mari, sauf que les cris redoublent d'intensité.
Je me tourne et découvre avec stupeur que je ne m'étais pas trompé sur l'identité de cette rousse qui me surveillait au loin.

— Taylor. Soufflé-je estomaquée de la voir ici... près de moi, trop près de moi.

Un petit mètre nous sépare, son regard meurtrier est noir, colérique, sa mâchoire est serrée, ses lèvres tremblent. Je remarque qu'elle tient quelque chose dans sa main qui n'est autre qu'un revolver et je n'arrive pas à bouger. Mais une question me taraude... Comment a-t-elle pu introduire une arme et déjouer le vigile à l'entrée que ma sœur à engager pour le vernissage pour assurer la protection des convives ? Mon corps refuse de faire quoi que ce soit. Je suis pétrifiée, horrifiée. Instinctivement, mes mains se placent sur mon ventre pour protéger mon enfant, et je fais abstraction des voix qui me hurlent de m'abaisser.

Soudain, une détonation résonne, puis une deuxième qui fait écho dans la salle où les invités courent dans tous les sens pour se mettre à l'abri.

Taylor est plaqué au sol par plusieurs individus ainsi que l'agent de sécurité qui la neutralise. Elle se débat, vocifère que Léo est à elle. Elle est dans un état de folie qui frôle l'indécence. Elle hurle qu'elle l'a toujours aimé et qu'à présent ils peuvent se retrouver comme au bon vieux temps, puisqu'elle s'est débarrassée de moi et de mon bâtard de gosse.
Mon mari, ma sœur, mon beau-frère, et mes parents s'agglutinent à mes côtés. Je ne comprends pas ce qu'ils me disent. Je ne les entends pas, néanmoins je vois leurs lèvres se mouvoir. Je suis dans un état second, apeurée et constate que mes mains sont chaudes, humides et poisseuses. Mon regard se porte sur elles et perçois une masse rouge... du sang.
Je saigne, cependant le liquide visqueux qui se propage sur elle ne vient pas de mon abdomen. Dans un dernier réflexe, mes yeux balaient le haut de mon corps, et enfin je découvre d'où provient toute cette hémoglobine. Je réalise soudain ce qu'il m'arrive. Taylor m'a tiré dessus à plusieurs reprises et je suis touchée à la poitrine.

— Ne bouge pas mon amour, les secours arrivent. Me supplie mon mari en pleurs. Roxanne reste avec moi, je t'en supplie. Ne ferme pas les yeux ! Non, non, non !  Parle-moi ma puce. Putain, qu'est-ce qu'elle fout cette ambulance !

Sous le choc, la douleur m'assaille, mon corps me lâche et mes membres m'abandonnent un à un. Je peine à garder les yeux ouverts et sens que peu à peu je m'enfonce dans le néant. C'est comme si la terre s'ouvrait sous mes pieds et qu'une force indescriptible et trop puissante pour que je réussisse à la vaincre, m'attirait avec elle dans les profondeurs des abysses. Je me laisse happer par cette sensation d'abandon. L'obscurité... Voilà tout ce que je perçois en cet instant. Des murmures atteignent mes oreilles, mais je ne les comprends pas. Je continue ma chute dans un trou toujours plus sombre sans jamais en voir le bout. Mon corps et mon esprit m'abandonnent sans que je ne puisse rien y faire.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant