Chapitre 31. Léo

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Deux jours plus tard

— Tu es sûr de ne pas vouloir rester ? M'implore Roxanne, alors qu'elle sait pertinemment qu'une fois de plus je déclinerais sa proposition.

Je n'ose me confronter à son regard attristé pour lui avouer que je ne souhaite pas m'attarder chez elle. Non, le lâche que je suis, préfère observer ses chaussures en espérant qu'un lacet soit défait, afin de faire diversion pour gagner du temps et ainsi trouver une excuse valable pour prendre le large. Hélas, ces autres sont correctement noués, alors je bredouille le seul prétexte qui me traverse l'esprit en espérant qu'elle tombera dans le panneau.

— Pas ce soir, Roxanne. Je dois récupérer Gigolo chez West.

— Tu pourrais aller le chercher et revenir avec lui, il ne me dérange pas, tu sais.

— Je ne préfère pas. Il a besoin de retrouver ses repères. Deux jours chez West ont dû le perturber.

— Foutaises ! Tu trouves toujours un alibi pour éviter de dormir à la maison. Je ne vais pas me rabaisser à te supplier. Cependant je te préviens que tant que tu t'obstineras à ne pas vouloir partager mon lit, je n'en passerai plus une seule chez toi.

— Roxanne. Écoute, c'est compliqué. Tenté-je de me justifier en baissant l'intonation de ma voix.

— Tu te moques de moi j'espère !? Rien n'est difficile quand on y met du sien. La preuve en est, j'ai passé un week-end entier avec toi sans parler boulot. Je constate que toi non plus tu ne fais pas d'effort pour passer du temps avec moi. Cela va toujours que dans un sens finalement.

— West m'attend, il a une prestation dans moins de deux heures. Viens à la maison si tu veux ?

— Non ! J'ai mieux à faire chez moi. Me dit-elle en croisant ses bras autour de sa poitrine.

— Très bien ! Dans ce cas, je te téléphone demain.

Je réduis la distance qui nous sépare pour l'embrasser, seulement elle détourne la tête, et mes lèvres percutent sa joue.

— Tu comptes faire ta tête de mule ou tu préfères me faire un câlin.

Roxanne ne bronche pas, c'est pourquoi je l'attrape par la taille, l'encercle de toutes mes forces afin qu'elle ne se dérobe pas, il n'en est pas question, je n'en ai pas fini avec elle. Je ne partirai pas avant d'être certain qu'aucun couac n'entachera notre relation naissante. Je respire les effluves de sa peau aux douces notes fruitées, son odeur est comme un calmant, elle m'apaise. Je saisis ses joues entre mes paumes tremblantes puis pose mon front contre le sien afin d'ancrer mon regard dans ses yeux embués de larmes. Son air triste me broie le cœur, je suis à deux doigts de céder face à sa peine, cependant je me fais violence et me contente de chasser cette vision en déposant mes lèvres sur sa bouche. Je me repais de ce baiser volé, c'est comme s'il sonnait la dernière bouffée d'air que mes poumons pouvaient inspirer. Roxanne glisse ses mains fraîches sous mon pull en cachemire, arrête sa course au niveau de mes pectoraux qui se contractent à son toucher, puis, elle me repousse gentiment en mettant fin à notre proximité.

— Il se fait tard et West va s'impatienter.

— Tu as raison. Malgré tout, il patientera quelques minutes de plus. Je veux encore te garder contre moi.

Je profite du moment présent, j'ai l'intime conviction que dans peu de temps quelque chose de mauvais nous tombera dessus, mon instinct ne me trompe jamais.  J'embrasse Roxanne, me recule et lui promet que j'appellerai le lendemain avant de monter dans ma voiture.

Je roule sans prudence, feu rouge, stop, priorités... je les grille tous. J'ai l'esprit torturé, je repense au week-end que j'ai passé en compagnie de ma belle brune et cogite encore sur les mots que j'ai prononcés spontanément.
Qu'est-ce qui m'a pris de lui dire, je t'aime après une pipe phénoménale ?
Je n'en ai aucune idée et ne trouve pas d'explications, enfin c'est ce que je tente de me faire croire. Est-ce que j'ai des sentiments pour elle ? Vraisemblablement. Mais de là à dire que j'en suis amoureux, il y a encore du chemin... puisque l'amour et moi sommes en conflit depuis une décennie.
J'arrive devant l'immeuble de chez mon ami qui attend mon retour avec impatience. Non pas pour que je récupère mon chien, seulement pour connaître les détails de mon escapade. Je tourne en rond un long quart d'heure avant de dénicher une place sur le parking. Je descends, verrouille les portières de ma voiture et m'aventure dans l'immeuble vétuste où demeure mon ami.
J'appuie sur la sonnette et entre sans attendre qu'il vienne m'ouvrir la porte. Après tout, je suis comme chez moi ici, tout comme il l'est quand il passe à la maison. Une petite boule de poils me saute dessus, aboie et me lèche pour m'accueillir avec beaucoup de joie.

— Eh ! Mon petit gars, tu es content de voir papa. Ne t'inquiète pas, je suis venu t'arracher des mains du monstre qui t'a servi de nounou tout le week-end.

— Qu'est-ce tu racontes connard ! Gigolo m'adore et tu sais pourquoi mon pote ?

—Tu lui as filé double ration de croquettes, tes chaussettes sales ou tes boxers pour qu'il s'amuse avec ?

— Non ! Il s'est trouvé un harem de petites chiennes dans mon lotissement. Je peux te dire qu'il a du succès ton cabot, et par la même occasion, il m'a rendu service avec quelques nanas que j'ai pu m'envoyer. Je te le garde quand tu veux. Alors c'était comment ton séjour ?

Hop, hop, hop ! Stop, on rembobine.

Je remonte le fil de la conversation dans ma mémoire et m'arrête de nouveau sur :
« Il m'a rendu service avec quelques nanas que j'ai pu m'envoyer. »
Aux dernières nouvelles, West fricotait avec l'amie de Roxanne et cela avait l'air sérieux, alors pourquoi il drague et baise ailleurs celui-là ? Il va falloir que j'aille à la pêche aux informations, puisque là je suis à la ramasse complète.

— Stop ! Récapitule s'il te plaît. J'ai dû louper un truc. Il s'est passé quelque chose avec ta blonde.

Mon ami m'invite à passer au salon, il apporte deux bières et s'installe face à moi sur l'autre fauteuil en daim défraîchi qui décore son appartement. West vit modestement, il n'y a pas d'objets de valeurs, ni de meuble fait de bois rare et cher. Il se contente d'un minimum pour vivre ou enfin survivre. Frigo, micro-ondes, télévision, lit, fauteuils, et deux trois babioles sont ce qui agrémente son petit logis aux tapisseries ringardes qui me rappelle familièrement la maison de ma grand-mère.

— Barbara et moi c'est fini, enfin si tu considères que l'on était un couple. Bref, je préfère te parler des deux chaudières que je me suis chopé hier soir. Des sœurs jumelles. Des bombes sexuelles qui n'avaient pas froid aux yeux, loin de là, si tu vois ce que je veux dire. J'ai baisé les deux à tour de rôle, putain mon pote c'était puissant !

— Tant mieux pour toi. Mais explique-moi plutôt l'embrouille que tu as eue avec Barbara.

— Elle voulait que je m'implique dans une relation stable, malheureusement c'est impossible pour le moment. Je l'aime bien, voire beaucoup, mais je ne peux pas lui être fidèle. J'ai encore besoin d'argent pour rembourser mon emprunt, alors je ne peux pas mettre fin à mon boulot d'Escort pour elle.

J'en reste sur le cul, West se prive de vivre une histoire qui est potentiellement durable, cet imbécile préfère rompre pour une question d'argent, c'est du grand n'importe quoi. Je lui propose à nouveau de recouvrir sa dette à la banque, comme je m'y attendais, il réfute ma proposition par question de fierté.

— C'est comme tu veux. Seulement ne gâche pas tout pour quelques billets, cela n'en vaut sûrement pas la peine.

— Ce n'est qu'une fille, je m'en remettrais, ne t'en fais pas. Alors ton week-end ?

J'avale une grande rasade de bière avant de me lancer dans le récit de mes frasques quelque peu déroutantes qui risquent de faire pâlir mon ami. Je ne sais pas par où commencer en évitant de lui révéler les détails croustillants.

— C'était sympa.

— Et c'est tout ? Léo, tu ne me dis pas tout. Crache le morceau !

Je me lève du fauteuil, impossible de rester assis à le regarder dans les yeux pour lui conter mon périple. Je m'avance jusqu'à la fenêtre, tire le rideau afin d'observer ce qui se passe sur le trottoir d'en face. Rien de croustillant à se mettre sous la dent, il n'y a pas un chat aux alentours.

— J'ai merdé.

— Non ! Explique.

— Ça t'es déjà arrivé de dire je t'aime à une femme après un coït ?

— Euh... Je n'en ai pas le souvenir. Ne me dis pas que tu as lâché cette bombe pendant que tu baisais Roxanne ?

Je lui confie les détails, alors qu'il m'écoute sans ouvrir la bouche, ce qui ne lui ressemble pas, lui qui parle sans cesse. On pourrait même le comparer à un perroquet habituellement, sauf que là, il est totalement muet, les pupilles écarquillées et qu'il a une bière à la main.

— Il faut croire. Et le pire dans tout ça, c'est que je n'en suis absolument pas certain. C'est sorti tout seul sans que je ne me force ou me prépare à le dire. Tu en penses quoi ?

— Tu es dans la merde Ortega. Je crois que tu es tombé sous le charme de la jolie brunette et qu'elle a réussi à atteindre ton petit cœur de pierre. Qu'est-ce qui s'est passé juste après ça ?

J'avale une lampée de ma bière, me remémore l'instant T, et aux souvenirs de celui-ci, je prends conscience que j'ai réagi comme un salopard après ma révélation. J'ai fait comme si de rien n'était, j'ai remonté mon pantalon, détourné le regard pour ne pas affronter le sien et Roxanne m'a aidé à sortir de ce moment de gêne en hurlant faussement pour me faire croire qu'une araignée lui montait sur la jambe. Elle a été forte, alors que moi j'ai été faible, je n'ai pas su me dépêtrer de la situation, heureusement qu'elle était là. Par la suite, nous avons quitté le bois sans reparler de cet épisode délicat. Le soir venu, nous avons fait un feu sur la plage où nous avons grillé les marshmallows qu'elle m'a fait ramener de l'épicerie. Pour finir en beauté, nous avons fait l'amour, il y avait quelque chose de différent entre nous, mais quoi ? Je n'arrive pas à mettre de mot dessus. Je peux simplement dire que mon estomac était noué, que ma gorge était asséchée et que mon cœur battait la chamade sous les paumes de Roxanne qui s'appuyaient sur mon torse, alors qu'elle me chevauchait comme une belle amazone.

— Tu es fou d'elle ! Tu as les yeux brillants quand tu la regardes, frisonnes quand tu évoques ses courbes et souris quand tu parles d'elle. Tu l'admires, la désires, alors ne dis pas que tu n'es pas amoureux Léo. Reconnais-le, cela t'enlèvera un poids.

Jamais ! Plus jamais je ne dirai de vive voix que j'aime une femme. Cela n'apporte que des problèmes, j'ai bien trop souffert par amour. Alors même si je veux y croire avec elle, je préfère me convaincre du contraire pour ne pas être déçu de nouveau, puisque cette fois, je ne le supporterai pas.

— Impossible. Ce n'est qu'une bonne copine avec qui je m'éclate au pieu.

— Tu dis je t'aime à beaucoup d'amies ? Arrête tes salades Léo, tu peux t'en persuader, mais moi tu ne me convaincras pas.

— C'était en guise de remerciement, enfin je crois.

West éclate d'un rire communicatif, je ne peux m'empêcher de me bidonner à mon tour face à mes explications bidon. Je ne veux pas me l'avouer, ni lui confesser, mais il a peut-être raison finalement. J'aime Roxanne d'un amour bien plus profond que je ne veux l'admettre, et cela me terrifie comme jamais je ne l'ai été auparavant.
Moi Léo Ortega, épris de Roxanne Harper, est-ce vraiment possible ?
Qui aurait pu parier que le connard arrogant, prétentieux et anciennement prostitué que j'étais, serait tombé sous le charme de la jeune femme, alors que tous les opposent. Honnêtement, je n'aurai pas misé un seul dollar sur cette histoire, et j'aurai probablement eu tort à l'heure qu'il est !

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant