Epilogue

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5 ans plus tard, Léo


Debout face à la baie vitrée à boire mon café, j'observe d'un œil avisé et inquiet le ciel qui s'obscurcit en ce tout premier jour d'automne. De nombreux nuages noirs prédominent l'atmosphère, et le vent souffle si fort qu'il emporte sur son passage le tas de feuilles mortes que j'ai amassé le week-end dernier. L'intensité de la bise est si puissante qu'elle forme de petites bourrasques dans les airs. Le grondement du tonnerre se fait entendre, il se rapproche et chante de plus en plus fort. Bientôt Manhattan n'entendra plus que le son de sa voix, sans que quiconque ne puisse le faire taire. Si je n'étais pas si terre à terre, je pourrais croire aux idioties que débitent les scientifiques en nous annonçant que la fin du monde est proche. Fort heureusement ce n'est pas le cas.
J'avale d'un trait le contenu de ma tasse, et retourne à la cuisine où je trouve Aidan qui traîne une fois de plus à manger son bol de céréales. Je consulte ma montre et constate qu'il est presque huit heures. S'il ne se presse pas pour finir son petit déjeuner, il sera en retard à l'école et moi au travail par la même occasion. Je le somme d'accélérer le pas au risque d'être privé de télé pour les deux prochains jours. Mon avertissement a l'effet escompté puisqu'il enclenche la vitesse supérieure et s'empiffre avant se rendre à la salle de bain pour se brosser les dents. Je lui conseille au passage de prendre l'imperméable qui est dans sa penderie puisque la météo a décidé d'être capricieuse aujourd'hui. Et comme à son habitude, ma petite tête brune n'en fait qu'à sa tête en revenant avec un simple sweat à capuche. Je le gronde, hélas ce que je dis entre par une oreille et ressort par l'autre.
Aidan est mon portrait craché, que ce soit physiquement ou caractériellement, il a hérité de mes nombreuses qualités... mais aussi de mes quelques défauts. Mon fils est beau garçon, drôle, curieux, aventurier, mais aussi intrépide et futé comme un renard. Il mène tout son petit monde par le bout du nez avec sa tête d'ange. D'ailleurs on lui donnerait le bon Dieu sans confession alors qu'il est loin d'être un saint puisque pour faire des bêtises il n'est pas le dernier.

J'enfile ma veste, récupère la clé de voiture sur la console d'entrée et m'apprête à sortir de la maison avec Aidan, lorsque les femmes de ma vie apparaissent en haut de l'escalier. En apercevant Roxanne descendant les marches avec Lily et Ava dans les bras, un sourire franc se dessine sur mes lèvres et me paralyse. Malgré la fatigue qui se lit sur son visage, ma femme est toujours aussi belle et désirable comme au premier jour. Mes pieds me portent à sa hauteur, je laisse mes doigts glisser sur sa joue et l'embrasse furtivement avec amour. Les effusions de sens, très peu pour nous devant les enfants. Nous savons nous tenir quand cela s'avère nécessaire. Rox me révèle qu'elle a passé une nuit éreintante. Ava n'a pas fermé l'œil avant quatre heures du matin. Je lui suggère de retourner au lit, elle doit se ménager si elle ne veut pas faire un baby blues comme elle l'a fait après la naissance de Lily deux ans plus tôt. Cependant, elle décline l'offre puisque la petite est fiévreuse et préfère donc l'amener voir le pédiatre dans la matinée. Aidan s'impatiente devant l'entrée, Roxanne en profite pour le réprimander puisqu'il n'a pas vissé le bouchon sur le tube de dentifrice... comme à son habitude. Je tente de cacher le sourire qui s'étire sur mes lèvres, voir ma femme en pétard est hilarant, mais elle remarque ma moquerie et à mon tour je me fais remonter les bretelles. Elle me reproche de jeter les couches du bébé dans la poubelle de la cuisine alors que nous avons une benne spéciale. Je n'en mène pas large face à elle qui râle de bon matin, alors je préfère m'éclipser en lui soufflant que je ne rentrerai pas trop tard avant de claquer la porte.

Ce que je craignais arriva, la pluie diluvienne inonde les routes et de ce fait, la circulation est au ralenti alors que je suis pressé. Des éclairs d'une grande violence se livrent une bataille acharnée dans le ciel. Aidan se couvre les oreilles, malgré sa témérité et son courage, mon fils a une peur bleue de l'orage. Nous arrivons à l'école un peu après neuf heures, et nous trouvons le portail clos, ce qui est compréhensible vu que nous ne sommes pas en avance. Je sonne pour que l'on vienne nous ouvrir, et rouspète puisque les minutes s'égrènent et que personne n'est encore là alors qu'une averse de grêle s'abat sur nous. La directrice sort sans précipitation avec un énorme parapluie au-dessus de la tête, j'ai envie de lui dire d'accélérer la cadence puisque nous sommes trempés et qu'il fait froid. Cependant, je doute que ses énormes fesses l'aident à aller plus vite. Je devrais lui conseiller de venir faire un peu d'exercices à la salle de sport, mais je m'abstiens vu le regard qu'elle me jette. Elle ouvre et ne manque pas de me faire remarquer mon manque de ponctualité.
Quelle conne !
Toujours à faire la morale alors qu'elle nous rend nos enfants avec une dizaine de minutes de retard chaque soir sans aucune explication. Je m'excuse et lui dis que cela ne se reproduira pas avant de lui souhaiter une bonne journée. Je retourne à ma voiture, mouillé comme un chien et m'insère à nouveau dans la circulation altérée par les intempéries.
J'arrive à la salle vers neuf heures trente, heureusement que les coachs que j'emploie ont fait l'ouverture, sans quoi les clients n'auraient pas pu faire leur séance de sport avant de se rendre eux-mêmes au boulot. Je salue mon personnel, puis pars m'isoler dans mon bureau afin de régler la paperasse qui s'amasse sur mon bureau.  Je passe les commandes, vérifie que les dossiers d'inscription sont complets, contacte le dépanneur puisque nous avons deux machines en hors-service. Contre toute attente, il me propose de passer en fin de journée, puisqu'il part en vacances le lendemain.
J'accepte et lui suis reconnaissant de venir réparer les vélos elliptiques si rapidement. La journée défile à une allure folle. Je ne cesse de courir à droite et à gauche afin de rentrer plus tôt à la maison pour aider Roxanne avec les enfants. Ces derniers temps lui sont difficiles, elle se remet à peine de son accouchement et doit gérer toute seule notre grande tribu. Je lui envoie un message pour avoir des nouvelles de Lily. Elle me répond dans la foulée que le pédiatre n'a rien décelé de grave, qu'il s'agit d'un vilain rhume et que cela passera très vite avec le bon traitement. Me voilà rassuré, j'avais peur que cela ne soit plus grave. Notre petite princesse est souvent malade, sa santé est très fragile et ce depuis sa naissance. Elle enchaîne les otites, angines et bronchites, c'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons pris la décision de la faire opérer le mois prochain. J'espère qu'après la pose de diabolos et le retrait de ses végétations, que tout cela ne sera plus qu'un lointain souvenir pour elle comme pour nous.
Je reçois un autre sms de ma femme, elle m'informe que Mary ira chercher Aidan à l'école puisque l'établissement où est scolarisé son fils Anton se trouve sur son chemin et que par la même occasion elle gardera notre bambin à dormir ce soir. Je lui en suis reconnaissant. Roxanne a besoin de souffler un peu et je m'en veux d'être constamment loin de la maison pour l'aider comme je devrais le faire. Suite à sa troisième grossesse, ma femme a mis sa carrière entre parenthèse pour se consacrer exclusivement à sa famille. Cependant, ma working girl gère à distance la société Harper et délègue un peu plus ses fonctions à Charles qui est aujourd'hui à la tête de la compagnie par intérim jusqu'à ce que Rox reprenne le travail à temps complet. Las de cette journée de merde, je m'affale dans mon fauteuil, cale ma nuque sur le repose-tête et étale mes jambes sur mon bureau pour évacuer la tension qui s'immisce dans tous mes membres. Je souffle d'exaspération en voyant les minutes qui défilent. Le technicien qui doit intervenir sur les machines n'est pas encore passé alors qu'il est plus de dix-neuf heures trente. J'avertis Rox que j'aurai du retard et qu'elle ne doit pas m'attendre pour dîner. Je me contenterai d'un sandwich et d'une bière avant d'aller au lit. Elle réfute en me disant qu'elle m'attendra pour qu'on mange en tête à tête comme au bon vieux temps. Il est vrai que depuis que nous sommes parents, nos moments à deux se font rares voire inexistants. Nous sortons peu, nous sommes devenus de vrais pantouflards tellement nos journées sont éreintantes.
Il est quasiment vingt heures lorsque le dépanneur daigne pointer le bout de son nez. En moins de trente minutes les deux machines sont réparées et de nouveau fonctionnelles pour le lendemain. Quel soulagement ! Après avoir fait le tour et vérifier que tout était en ordre, je ferme la salle, remercie l'agent de maintenance et quitte les lieux avec précipitation pour retrouver mon cocon familial.
Lorsque j'arrive à la maison, je suis accueilli par un silence de mort. Personne à l'horizon. Je retire mes chaussures, dépose mon blouson sur une chaise et me rends à la cuisine où je trouve une assiette de crudités posée sur le comptoir accompagné d'un petit mot de ma femme qui s'excuse de ne pas m'avoir attendu tant la fatigue l'a englouti. J'avale la salade, les tomates et les carottes râpées en quelques minutes, puis dépose mon assiette et mes couverts dans l'évier. Je ferai la vaisselle demain matin, pour le moment je n'en ai pas la force. Je suis épuisé par cette journée.
À pas de loup, je monte les escaliers et m'arrête devant la porte de ma chambre qui est entrouverte. Appuyé contre le chambranle et bras croisés, je m'émerveille du tableau qui s'offre à moi. Ava est endormie sur le sein de Roxanne qui elle-même roupille profondément. Quant à Lily, elle dort à côté de sa petite sœur avec son doudou lapin dans une main et son pouce en bouche.
L'émotion mêlée à la fatigue me fait monter les larmes aux yeux. Si on m'avait dit que j'assisterai à un tel spectacle il y a quelques années, je n'y aurai jamais cru. À l'aube de mes quarante ans, si on me demandait de faire un constat sur ma vie, je dirais que je suis un homme heureux, comblé et fou amoureux. J'ai une femme formidable dont je suis raide dingue, des enfants adorables, une famille aimante sur qui je peux compter en cas de coup dur. Mais surtout, j'ai un métier honnête et ça je n'en suis pas peu fier. Elles sont loin les années où je vendais mes charmes pour camoufler les fissures qui avaient abîmés mon cœur. Grâce à Roxanne, j'ai compris que l'amour n'était pas qu'un sentiment destructeur comme je m'évertuais à le penser. L'amour peut faire mal quelques fois, j'en ai fait l'amère expérience. Mais celui que je vis avec Roxanne est quelque chose de merveilleux, doux et euphorisant. Il mérite d'être vécu. On pourrait le comparer à un élixir puissant qui vous met chaos. Il vous pousse à faire des choses que vous n'auriez jamais imaginées. A vous surpasser, et faire en sorte que les êtres aimés ne soient jamais déçus. De toujours veiller à les faire passer avant. C'est un sentiment de plénitude, l'impression d'être enfin entier. C'est une drogue dont on ne peut plus se passer... Elle vous percute et ne vous lâche plus. Elle s'insinue au plus profond de votre âme et vous consume jusqu'à en avoir le tournis. Je ne pourrais concevoir de finir mes jours sans Roxanne et nos enfants. Ils sont à eux quatre mon oxygène. Ils me maintiennent en vie. Ils sont mon point d'ancrage. Ceux qui font battre mon cœur et couler le sang dans mes veines. Leur amour est le signe de ma résurrection. De ma rédemption. 
J'essuie d'un geste tendre la larme qui roule sur ma joue et m'approche du lit doucement. Je soulève délicatement Ava qui tète dans le vide. Je l'embrasse sur le front, je ne me lasserai jamais de cette odeur de bébé qui gonfle mon cœur. Je la dépose dans son berceau puis recommence la même action avec Lily qui tient fermement son doudou dans sa petite main potelée. Sans un bruit, je la porte jusqu'à sa chambre qui se trouve au bout du couloir et l'allonge sur le matelas duveteux avant de la recouvrir de sa couette. Je m'éloigne aussi discrètement que possible quand sa petite voix ensommeillée me stoppe net dans ma lancée. Je retourne à côté d'elle, caresse ses cheveux bouclés et lui murmure de faire de beaux rêves.

— Ze t'aime papa. Zozote-elle, en refermant les paupières.

Avant de sortir de sa chambre pour retrouver les bras chaleureux de ma femme, je l'embrasse une dernière fois et regarde ma fille qui s'est rendormie. Je souffle avec tout l'amour inconditionnel que je lui porte :

— Idem ma princesse. 

                        *FIN*

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant