Chapitre 10. Roxanne

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Le 24 Octobre 2014

— J'ai bientôt terminé Barbara, il me reste un dossier à survoler rapidement avant de rentrer chez moi, annoncé-je à ma meilleure amie qui continue de m'enguirlander à l'autre bout du fil.

— Tu veux me faire croire ça ! Pas à moi Rox, je te connais par cœur pour savoir que tu vas décortiquer chaque paragraphe à la loupe avant de quitter ton bureau.

—Barba...tentais-je, avant qu'elle me coupe brusquement la parole.

— Je te laisse une heure Roxanne, pas une de plus. Si je me pointe chez toi et que tu n'es pas là, je te préviens que ça va barder et tu pourras dire adieu à nos soirées hebdomadaires parce que je ne viendrais plus !

Impossible qu'elle me fasse ça ! Barbara ne renoncerait jamais à nos soirées bières et pizza. Elle n'abandonnerait pas non plus nos soirées glace au chocolat devant un film romantique à chialer comme des midinettes. Quoi qu'elle en dise, elle ne sacrifiera jamais nos retrouvailles du mercredi cependant je vais lui faire croire qu'elle a gagné et que j'abdique.

— Ok garce ! Je serai chez moi lorsque tu ramèneras ton popotin, me résigné-je.

— Tu as plutôt intérêt !

Oula... j'ai peur.

— Promis ! À toute ma chérie, je t'adore.

Je ricane de ma supercherie, Barbara tombe toujours dans le panneau quand je joue la fille éplorée. Je me lève et me sers une énième tasse de café, je ne compte plus le nombre de litre que j'ai bu aujourd'hui pour tenir le coup. La semaine est à peine entamée que je suis déjà lessivée. Quoi de plus normal, j'ai un travail monstre au bureau depuis que Charles est parti en France pour finaliser une affaire qui devrait nous rapporter un maximum d'argent. Notre nouvelle gamme de produits de beauté sera constituée de raisin, c'est ce qu'on appelle la vinothérapie. Les études menées au préalable sont très satisfaisantes, alors d'ici quelques mois notre nouvelle crème antirides sortira sur le marché.

Dix minutes plus tard, alors que je me presse pour filer à la maison décompresser avec Barbara, ma mère fait irruption dans mon bureau sans s'annoncer, ce qui me vaut de renverser ma tasse sur mon nouveau chemisier blanc.

— Merde ! Pesté-je en attrapant la boîte de mouchoirs qui traine sur mon bureau. Mère vous auriez pu frapper, à cause de vous ma chemise est fichue.

— Ce n'est pas une grosse perte Roxanne, elle était moche de toute façon.

— N'importe quoi ! Vous n'y connaissez rien à la mode, elle était certainement plus jolie que la vôtre. Vous êtes démodée avec votre col Claudine mère, optez la prochaine fois pour quelque chose de plus moderne.

Elle balaie ma réflexion d'un geste de la main comme si elle se fichait de mon avis, ce qui est certainement le cas et m'annonce enfin le pourquoi de sa présence.

— J'ai vu ta sœur ce matin, elle était bizarre, je pense qu'elle avait pleuré.
— Vous êtes sûre ?

— Roxanne, je sais reconnaître quand quelque chose ne va pas.

Ah oui ! Et depuis quand ?

Notre mère n'a jamais su voir quand ses enfants allaient mal étant plus jeunes et maintenant elle se découvre un don de devin. Je n'ose y croire, pardonnez-moi, tout ceci est suspect.

— Elle vous a dit ce qui n'allait pas ?

— Du tout ! Et je comptais sur toi pour m'en dire plus.

— Je ne sais absolument rien, je suis désolée mère.

— Tant pis ! J'ai une excellente idée pour son anniversaire, je pense que ça devrait beaucoup lui plaire.

— Quoi donc ? Demandé-je en rangeant minutieusement mes dossiers dans le tiroir de mon bureau.

— Un petit week-end entre filles. Qu'en penses-tu?

Oh la vache !
Passer deux jours avec ma sœur ça serait super, mais avec notre mère en plus, donnez-moi un flingue que je me bute de suite, elle va nous faire vivre un véritable enfer.
— Vous venez avec nous ?

— Roxanne, tu penses vraiment que je pourrais dormir sous une toile de tente à même le sol ?

Quoi !? Mais qu'est-ce que c'est encore que ces conneries. Je sens que la suite ne va pas me plaire.

— Du camping... sérieusement mère. Nous n'avons plus dix-huit ans.

— Justement, un peu de dépaysement vous fera du bien.

— Euh...vous êtes certaine d'aller bien, pas de fièvre ou autre chose me risqué-je à demander.

— Du tout, je vais très bien. Barbara et Carla pourront vous accompagner. Penses-y ma chérie, deux jours à l'état sauvage entre filles ne pourront que vous faire du bien à toutes les quatre.

— Laissez-moi y réfléchir quelques jours et je vous appellerai.

— N'oublie pas Roxanne de me tenir au courant. Je me sauve, je vais rendre une petite visite surprise à ton père. Il ne sait pas que je suis ici, je vais le distraire cinq minutes, jubile-t-elle avant de quitter la pièce en faisant claquer ses talons sur le parquet.

Cinq minutes pour distraire mon père, je ne vois pas ce qu'elle peut lui dire ou lui faire en si peu de temps... à moins que... Non c'est impensable, Roxanne chasse cette idée de ta tête me dis-je avant que des images dégueulasses te vrillent les neurones. Mes parents ne peuvent plus avoir ce genre de relation... ils sont beaucoup trop vieux pour jouer au docteur. Je n'arrive plus à réfléchir correctement et préfère m'en aller afin d'ignorer cet épisode où madame Harper ferait une gâterie sous le bureau de mon père.

Beurk, c'est dégoûtant !

J'attrape ma veste noire sur le dossier de la chaise, l'enfile et la boutonne complètement jusqu'au cou pour camoufler l'énorme tâche de café qui est aussi voyante que le nez en plein milieu de la figure. Je passe la sangle de mon sac sur mon épaule et ferme la porte de mon bureau. Je salue Olivia au passage et l'informe qu'elle peut disposer, d'ailleurs elle ne se fait pas prier pour partir plus tôt. J'envoie un message à Barbara, l'informant que je quitte mon travail et que je file rapidement chez l'épicier acheter de la bière, des pizzas industrielles ainsi que des pots de glace Ben & Jerry's.

J'arrive chez moi un peu avant dix-huit heures trente, range les courses et entreprends un rapide tour des pièces pour ranger tout ce qui traine. Je me rends à la salle de bain, me déshabille et fourre mon linge dans la machine à laver. J'enfile ma grenouillère hyper sexy, celle que je porte chaque mercredi soir lorsque Barbara débarque ou lorsque j'ai un coup de blues. Pour dire vrai, mon pyjama est un véritable tue-l'amour, jaune avec des petits lapins, mais comparé à celui de Barbara, je peux vraiment vous affirmer que le mien est cent fois mieux que le sien. Celui de ma meilleure amie est rose fluo, avec d'énormes cochons dessus, dix fois trop grand pour elle... alors vous choisissez lequel des deux ? Barbara se pointe vers dix-neuf heures quinze, une bouteille de tequila à la main, je l'interroge silencieusement en dirigeant mon regard sur l'objet du délit. Elle me confie qu'elle a eu une journée de merde au boulot et voudrait juste décompresser avec quelque chose de plus fort que de la bière. Elle retire son imperméable et laisse apparaître sa silhouette de bimbo dans son joli pyjama rose. Ses escarpins valsent dans l'entrée, elle récupère ses chaussons licorne dans le placard de l'entrée, les enfile et pousse un soupir de soulagement lorsqu'elle se glisse à l'intérieur.

— Oh quel pied ! Me confie-t-elle en se jetant sur le canapé, j'ai attendu ce moment toute la journée.
— À ce point !? Qu'est ce qui t'a achevé ainsi ? Demandé-je en me vautrant à mon tour sur le divan.

— Une cliente insupportable ! En moins d'une minute, elle a ruiné trois mois de dur labeur. Du coup, je dois tout reprendre sinon elle donne la rénovation de sa villa à une autre entreprise. Donc imagine la gueule que tirait ma patronne quand elle a eu vent de cette information, je me suis fait remonter les bretelles. J'étais à deux doigts de lui donner ma démission, elle gueulait comme une hystérique. Bref, journée de merde en somme et toi ?

Que dire à part boulot, boulot et boulot...et bah rien ! Rien d'intéressant à lui raconter, comme d'habitude en fait. Ah mais si ! J'ai du lourd pour une fois, la petite visite de ma chère mère et son idée absurde de nous envoyer camper. Voilà un sujet à aborder.

— Tu as quelque chose de prévu pour le deuxième week-end de Janvier ? L'interrogé-je en récupérant le verre de tequila que Barbara vient de me servir.

— Roxy, comment veux-tu que je sache, je vis au jour le jour ma chérie.

Tu parles, elle prévoit déjà les fêtes de fin d'année, elle ne se fout pas un peu de ma poire la blondasse avec ses «  je vis au jour le jour »

— Réserve ton week-end, on part camper avec Mary et Carla.

— Tu es sérieuse ?!  Pas de massage, pas de pédicure, et pas de bain de boue, humm laisse-moi réfléchir... Un peu que je suis partante, ça va être génial, comme on bon vieux temps ! Tu as eu une idée de génie, on va pouvoir choper des mâles ma belle. On jouera les parfaites idiotes ne sachant pas enfoncer un piquet pour monter la tente.

Barbara et les hommes, c'est une grande histoire d'amour ou comment dirais-je pour être proche de la vérité... une histoire de fesses. Une vraie collectionneuse. Voilà le terme est plus approprié.

— Ok ! Comme tu voudras. On passera pour des crétines enfin surtout toi miss blondie.

— Chacun sa tente ou on squatte la même ?
Bonne question, c'est Rosa Harper qui gère toute l'organisation, alors je n'en ai aucune idée.

— Je vais demander à ma mère, dis-je en grignotant ma part de pizza.

— Quoi ! Ta mère vient aussi !?

— Ça ne va pas ! Mais c'est son idée.

— Demande plusieurs toiles parce que si je ramasse un ou deux gars, vous serez aux premières loges pour assister aux festivités. Remarque, si vous voulez participer, pas de soucis. Plus on est de fous, plus on rit.

Je manque de m'étouffer et recrache ce qui se trouve dans ma bouche, il est hors de question que j'assiste ou participe à un tournage de film x où ma meilleure amie serait l'actrice vedette.

— On va éviter la partouze.

— Tu louperais l'occasion Rox, je suis un très bon coup tu sais !

— Arrête de suite, tu es dégueulasse.

— Tu verrais ta tête, c'est à mourir de rire. Depuis quand je partage mon morceau de viande.

— Tu m'agaces, espèce de bourrique !

— Moi aussi je t'aime. Au fait, tu sais que tu m'excites avec tes petits lapins.
D'ailleurs va chercher celui que tu planques dans ton tiroir, j'ai envie de jouer.

— Barbie la chaudasse, tu vas te calmer un peu ! Roger reste à sa place.

— Roger, comme Roger Rabbit ? Le petit lapin de Jessica ? M'interroge-t-elle avec curiosité.

— Il avait besoin d'un prénom. Alors, quoi de mieux que Roger la grosse b...

Celui de Barbara s'appelle bien Hercule et je ne me marre pas. Son engin est énorme et puissant selon ses dires.  C'est un dieu de l'orgasme... Oh My God, je veux le même jouet !

— Stop ! Mangeons, la pizza va refroidir. On oublie Roger et Hercule pour la soirée. Les pénis sont bannis pour ce soir. Dis-je en croquant dans la pâte croustillante recouverte de sauce tomate et de fromage.

— Ok comme tu voudras !!

Un peu plus tard dans la soirée, chacune emmitouflée dans un plaid, le pot de glace à la main, les mouchoirs dans l'autre, nous pleurnichons devant un film que nous avons vu et revu une bonne dizaine de fois au cours de la dernière année. Sur la route de Madison, un chef d'œuvre où l'on retrouve Meryl Streep et Clint Eastwood pour un duo d'une excellence rare. Alors que je verse un torrent de larmes devant cette scène mythique où Francesca et Robert se regardent une dernière fois sous cette pluie battante, lui espérant qu'elle sorte de la camionnette pour le retrouver, elle luttant contre ses sentiments les plus forts, qu'elle se résigne à faire taire pour rester la digne épouse et mère de famille modèle... C'est alors que quelqu'un cogne à ma porte.

— Tu attends du monde ?

— Pas que je sache, dis-je en me levant du canapé.

— Dis-moi que tu as appelé discrètement des stripteaseurs Rox.

— Désolée de te décevoir, ce n'est que Mary. Constaté-je après avoir jeté un coup d'œil dans le judas.

La porte à peine ouverte que ma sœur me tombe dans les bras évacuant sur mon épaule toute sa détresse.

— Qu'est-ce qui se passe ? Tu m'inquiètes Mary.

Ma sœur est un roc, elle est la femme la plus forte que je connaisse et la voir ainsi me déstabilise et me perturbe énormément puisque je ne sais pas comment m'y prendre avec elle. Mary est celle qui me console d'habitude, et aujourd'hui je suis incapable de gérer sa crise de larmes.

— Oh ! Je dérange. Je repasserai plus tard Roxanne, je ne veux pas m'imposer. Excuse-moi dit-elle en éclatant à nouveau en sanglots.

— Raconte-nous tes misères et installe-toi sur le canapé entre Barbara et moi.

— Tequila ou bière ? Propose Barbara en tenant deux bouteilles dans ses mains.

— Sers-moi le plus fort, j'en ai besoin pour encaisser ce qu'il vient de se passer.

— C'est si grave que cela ?

— C'est à propos de Paul. On a eu une violente dispute. Je veux un autre enfant et il refuse. Il ne comprend pas que je prends de l'âge, j'aurai bientôt trente-six ans et mon horloge biologique tourne. C'est maintenant ou jamais pour avoir un autre bébé.

— Finalement un verre ce n'est pas assez pour ton chagrin. Vous savez quoi les deux frangines, on va sortir faire la fête, boire, chanter et danser toute la nuit. Demain, nous n'irons pas travailler puisqu'on aura une gueule de bois de malade, mais notre petite escapade en club en voudra la peine.

— Bien chef ! Allons-nous éclater ! Par contre les filles on a chacune besoin d'un ravalement de façade sinon on sera recalées à l'entrée vu nos tronches de sorcières.

— Tu rêves Rox. Avec moi à tes côtés, tu entres n'importe où même en étant la plus laide du monde ! Alors maintenant on se bouge les miches et on part faire la fête et lever des mecs ! Crie Barbara excitée à l'idée de s'envoyer en l'air.

C'est bien ce que je disais, c'est une véritable nymphomane, et malgré tout, je l'aime comme elle est. C'est ma blondasse, ma Barbie, ma meilleure amie et quoi qu'il arrive elle le restera à vie.

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